Naky Sy Savané, qui a récemment brillé à l’écran dans la série populaire « Arsène Lupin », s’efforce depuis longtemps d’utiliser sa renommée pour combattre les mutilations sexuelles féminines, un problème qui touche de nombreuses femmes y compris en Europe.
Augmentation alarmante des mutilations génitales féminines
Selon un rapport des Nations unies, plus de 4,4 millions de fillettes courent le risque de subir des mutilations génitales féminines à travers le globe chaque année. Cela se traduit par environ 12 200 filles chaque jour. Cette pratique qui consiste notamment en l’enlèvement partiel ou total du clitoris génère également un fardeau économique massif, les dépenses de santé pour les personnes qui en sont victimes étant estimées à 1,4 milliard de dollars par an. Une figure notable qui lutte contre cette tragédie est la comédienne Naky Sy Savané, connue pour son rôle récent de la mère d’Omar Sy dans la série « Arsène Lupin. » Elle mène ce combat à Marseille et dans le sud de la France via l’organisation qu’elle a fondée en 2007 : l’Union des femmes du monde-GAMS Sud. En lien avec la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines qui se déroule chaque 6 février, son association organise la campagne du Train Ategban Zéro Excision 2025. Cette initiative symbolique unit Paris et Marseille aux capitales africaines du 7 au 10 février, rendant hommage aux militantes gambiennes ayant empêché l’abolition d’une loi interdisant l’excision dans leur pays. Voici une rencontre avec l’actrice et militante ivoirienne Naky Sy Savané.
L’engagement artistique de Naky Sy Savané contre les MGF
Franceinfo Culture : La lutte contre les mutilations génitales féminines est devenue une vraie mission pour vous, en parallèle de votre carrière artistique. Qu’est-ce qui vous a poussée dans cette voie ?
Naky Sy Savané : J’ai choisi d’utiliser l’art pour défendre ces combats féministes, autrement dit, pour lutter contre les violences basées sur les traditions et revendiquer les droits des femmes dans nos sociétés. Dès mon plus jeune âge, vers 3 ans, j’ai remarqué que ce sont nos mères qui se levaient les premières pour travailler, souvent en allant dès l’aube puiser de l’eau au marigot. En leur emboîtant le pas avec mon petit seau, j’ai pris conscience de cette réalité. Cela m’a incitée à opter pour un métier qui me permettrait de plaider en faveur de leurs causes. Je crois en l’art comme un puissant moyen de communication : non seulement il diffuse des messages percutants, mais il donne aussi la voix aux personnes qui attirent l’attention. Je ne voulais pas être simplement une actrice des tapis rouges ; je souhaitais utiliser ma lumière pour faire connaître ces questions et prendre la parole.
Votre carrière, tant au cinéma ivoirien qu’à Marseille, va de pair avec votre engagement militant. Récemment vue dans « Le Marchand de sable » et « Arsène Lupin », vous avez aussi fondé une association en 2007 à Marseille pour lutter contre les mutilations génitales. Qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt à ce sujet spécifique ?
Avant même de m’installer à Marseille en 2001, à un moment où la Côte d’Ivoire traversait une guerre civile, je militais déjà au sein d’associations où j’écrivais et mettais en scène des pièces sur la condition féminine. En arrivant en France, j’ai été attirée par le monde culturel et les mouvements féministes. C’est alors que j’ai découvert la Marche mondiale des femmes (MMF) et j’ai assisté à leurs conventions. J’ai été particulièrement surprise de constater que l’excision était également pratiquée en France, une réalité que j’associais exclusivement à l’Afrique. Mes amies féministes m’ont expliqué qu’elles en avaient été informées, mais qu’elles se sentaient mal préparées pour s’attaquer à cet enjeu. Étant déjà sensibilisée à ce problème, j’ai fondé l’Union des femmes du monde-GAMS Sud en 2007, rendant hommage au GAMS qui combat les violences contre les femmes et les mutilations. Notre association met en place des programmes de sensibilisation pour les victimes et celles potentiellement à risque. Nous travaillons à Marseille et dans tout le sud de la France, également avec des femmes excisées, notamment durant leur grossesse où elles affrontent des défis spécifiques. L’association assure une présence dans les maternités et les PMI.
Victoire collective et mobilisation internationale
Cette année, dans le cadre de la Journée internationale pour l’éradication des mutilations génitales, vous accueillez des femmes gambiennes ayant contré l’abrogation de la loi interdisant l’excision dans leur pays. Vous avez pris part à ce combat, en lançant une pétition et dirigeant un collectif. Comment avez-vous orchestré cette mobilisation ?
J’ai été alertée par des pionnières de la lutte en Gambie. Pour leur prêter main-forte, j’ai lancé le 8 mars 2024 à Marseille une pétition, peu après que la Gambie ait commencé l’examen de la loi. J’ai sollicité toutes les associations de mon réseau, en Afrique et ailleurs. Un collectif a été mis sur pied et nous nous sommes réunies à Dakar, au Sénégal, avec une centaine d’associations africaines pour soutenir les femmes gambiennes et appeler leur gouvernement à préserver l’interdiction de l’excision. Finalement, le président gambien a décidé de suspendre cette initiative législative. Cette année, nous accueillons les femmes gambiennes qui se sont battues courageusement, notamment l’ancienne vice-présidente de Gambie, Isatou Touray, pour fêter cette victoire féminine contre l’excision. Il est crucial de reconnaître ces succès, souvent sous-estimés par des femmes africaines, des femmes en général. Puisque je viens du monde du cinéma, je tenais à ne pas laisser cette victoire passer inaperçue. Nous invitons chacun à nous rejoindre dans la lutte contre l’excision avec le Train Ategban. Sans notre intervention en Gambie, d’autres pays auraient pu suivre un exemple qui nuit à notre cause. Ce combat est mondial.