Ce projet, en préparation depuis une année, se veut une réplique face à l’indignation des producteurs agricoles. Plusieurs partis de gauche ainsi que diverses organisations expriment leurs préoccupations concernant de possibles régressions en matière de protection environnementale, justifiées par la volonté de rendre les processus plus simples.
Tout a été préparé pour que la loi soit adoptée juste avant l’inauguration du Salon de l’agriculture. Le jeudi 20 février, la loi d’orientation agricole doit recevoir son approbation définitive, le Sénat devant voter dans l’après-midi avec un résultat certain. Ce texte, élaboré à partir d’un compromis trouvé mardi soir en commission mixte paritaire entre députés et sénateurs, a été largement validé par l’Assemblée nationale le mercredi. Cette loi, dont l’adoption avait été retardée par des événements politiques tels que la dissolution et la censure du gouvernement Barnier, est présentée comme une réponse aux agriculteurs mécontents, visibles lors des récentes manifestations de début 2024. Toutefois, elle est vivement critiquée par la gauche et de nombreuses associations environnementales, qui dénoncent certains retours en arrière. Voici en quoi consiste ce projet de loi.
L’agriculture reconnue comme un « intérêt général prioritaire »
Répondant à une demande clé de la FNSEA, principal syndicat agricole, une des dispositions majeures de cette loi vise à élever « la protection, le soutien et l’avancement de l’agriculture » au statut d' »intérêt général prioritaire ». L’objectif est d’orienter les décisions des juges administratifs et de faciliter l’élaboration de projets comme les bassins de retenue ou les élevages en bâtiment, notamment lorsqu’ils entrent en concurrence avec des objectifs de protection environnementale.
Certains élus et spécialistes du droit s’interrogent sur la réelle portée d’une telle mesure, car la protection de l’environnement bénéficie déjà d’une reconnaissance constitutionnelle, tandis que cet « intérêt général prioritaire » est seulement intégré dans une loi ordinaire. Dans une tentative de renforcer le texte, un principe controversé de « non-régression de la souveraineté alimentaire » a été ajouté à l’initiative des sénateurs, en écho à la non-régression environnementale déjà existante dans la législation.
Le texte introduit aussi une présomption d’urgence lors de litiges relatifs à la construction de réserves d’eau pour l’irrigation, avec pour but de raccourcir les délais des procédures. Cela s’appliquera également aux projets de bâtiments d’élevage, dont les permis de construire sont fréquemment contestés par des associations environnementales.
L’ONG Greenpeace considère cette proposition de loi comme « dangereuse », soulignant notamment ces points spécifiques. Selon eux, derrière ce langage juridique vague se cache une volonté politique explicite du gouvernement et de certains syndicats agricoles : contourner certaines lois environnementales pour prioriser des projets ayant un impact écologique important, tels que les grands réservoirs d’eau et les installations d’élevage classées.
Absence d’agroécologie et pas d’interdiction de pesticides sans alternative
La version originale du projet de loi comprenait des objectifs pour promouvoir l’agroécologie, c’est-à-dire des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Cependant, à la demande du Sénat, cette mention a été retirée de la version finale. L’objectif initial de dédier 21 % des terres agricoles françaises au bio d’ici 2030, également supprimé par les sénateurs, a cependant été réintroduit dans le texte.
De plus, le principe du « pas d’interdiction sans alternative », cher à la FNSEA concernant les pesticides, a trouvé sa place dans cette nouvelle réglementation agricole. La loi suggère que le gouvernement ne devrait pas interdire des produits phytopharmaceutiques approuvés par l’Union européenne tant qu’il n’existe pas de solutions alternatives viables. Cette disposition a provoqué la colère des associations environnementales. Selon la Fondation pour la nature et l’homme, en revalorisant les pesticides, les élus mettent en péril la santé des sols ainsi que celle des agriculteurs et des citoyens.
Simplicité accrue pour les installations et transmissions
Le projet vise à fournir un cadre clair pour aider le secteur agricole à faire face à un défi pressant : le besoin d’attirer de nouveaux travailleurs pour remplacer ceux qui prendront leur retraite massivement dans la prochaine décennie. Le texte fixe l’objectif de maintenir environ « 400 000 exploitations agricoles » en France d’ici 2035, avec 500 000 agriculteurs actifs dessus.
Il propose ainsi de créer un point de contact unique au niveau départemental, nommé France services agriculture, destiné à accompagner tant ceux qui souhaitent démarrer une activité agricole que ceux qui envisagent de transmettre leur exploitation. Un nouveau diplôme de niveau bac +3, le Bachelor agro, sera également instauré.
En outre, le plan inclut un « diagnostic modulaire de l’exploitation agricole » pour aider les jeunes agriculteurs intéressés par la reprise d’une ferme, en leur fournissant des informations sur la viabilité économique, environnementale et sociale de celle-ci. Enfin, le Sénat a encouragé le gouvernement à instituer en 2026 une « aide au passage de relais » pour les agriculteurs en fin de carrière qui préfèrent céder leurs terres.
Gestion des haies simplifiée
Bien que souvent négligée, la question du statut des haies avait été fréquemment critiquée par les agriculteurs lors des mobilisations de 2024 en raison de sa complexité et des imprécisions réglementaires. Ce statut a maintenant été normalisé, avec des restrictions allégées pour leur suppression, qui nécessite désormais seulement une « déclaration préalable unique », équivalente à une autorisation sauf avis contraire de l’administration sous quatre mois.
Dépénalisation de certaines infractions environnementales
Un article très controversé, largement étendu à l’initiative du Sénat, revoit les sanctions applicables en cas de violations environnementales. Cette mesure déclassifie principalement ces infractions lorsqu’elles ne sont pas commises « intentionnellement », les remplaçant par une simple amende administrative, plafonnée à 450 euros, ou la participation à un stage de sensibilisation à la protection de l’environnement.
La gauche critique cette mesure, la percevant comme un renversement de la charge de la preuve, voire un « permis de détruire l’environnement », s’appliquant potentiellement au-delà des seuls agriculteurs. Un collectif d’ONG, incluant notamment la Ligue pour la protection des oiseaux, France nature environnement et WWF, affirme que cette loi introduit de larges exemptions aux réglementations environnementales, menaçant les avancées écologiques cruciales pour la transition agricole.
Les législateurs ont également fait un pas vers un « droit à l’erreur » pour les agriculteurs, en acceptant que la « bonne foi » d’un exploitant est présumée lors d’un contrôle administratif.