Les deux hommes ont déclaré leur intention de se porter candidats à la présidence du parti conservateur, avec pour objectif final l’élection présidentielle de 2027.
La lutte pour le contrôle du parti à droite est bel et bien déclenchée. Surfant sur une vague de soutiens favorables, Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, s’est officiellement engagé dans la course à la présidence du parti Les Républicains grâce à une lettre adressée aux adhérents mercredi dernier. Le jour suivant, le 13 février, Laurent Wauquiez a également annoncé sa candidature lors d’une interview au Figaro. Le choc entre ces deux poids lourds de la droite se jouera le 17 mai prochain, comme confirmé par le parti. Les modalités précises de ce scrutin seront définies lors d’une réunion du bureau politique prévue lundi.
La décision de Bruno Retailleau de se déclarer le premier n’est pas le fruit du hasard. Après son entrée dans le gouvernement de Michel Barnier, ce politicien vendéen a su s’imposer et gagner en notoriété. En plus de conserver sa place malgré la nomination de François Bayrou à Matignon en janvier, l’ancien sénateur, âgé de 64 ans, est devenu un visage récurrent dans les médias, se distinguant notamment avec ses interventions sur la question de l’immigration. Un sondage d’Opinionway pour Le Point le place même en tête des personnalités de droite préférées dans le pays, avec 55% d’avis favorables.
Dans ce contexte, il semblait naturel de « tirer parti de cette popularité », confie son entourage à France Télévisions. « Il est motivé par un double agenda : personnel, avec son capital politique, et celui de son parti, car Les Républicains doivent se réinventer lors d’un congrès à venir. C’est une opportunité à saisir », explique Emilien Houard-Vial, spécialiste de la droite française et doctorant à Sciences Po, à 42mag.fr. Le départ fracassant d’Éric Ciotti vers le Rassemblement national l’année précédente a, en effet, laissé un vide au sommet de la formation politique.
« Je souhaite éviter de nouvelles divisions »
Bien que l’annonce ait été attendue, elle a été très mal perçue par Laurent Wauquiez, dont les ambitions ne sont un secret pour personne. « Bruno Retailleau prend la lourde décision de déclencher une guerre des chefs qui divisera notre parti », a réagi son entourage auprès de France Télévisions mercredi. Cependant, les équipes des deux hommes s’abstiennent pour le moment de toute confrontation directe. « Chacun a un rôle à jouer », tempère un député, président du groupe Droite républicaine à l’Assemblée, dans Le Figaro, considérant qu’« être chef de parti est distinct de servir au gouvernement ».
Des craintes de revenir au psychodrame de 2014, lorsque Nicolas Sarkozy avait fini par dominer ses adversaires pour la présidence du parti après une campagne tumultueuse, refont surface. « Notre formation politique est fragilisée, et je trouve regrettable que Bruno [Retailleau] choisisse maintenant de provoquer ce duel. Les Français ont besoin de lui à 100 % au poste de ministre de l’Intérieur », trouve Jean-Pierre Taite, député LR de la Loire. « Bien que cette élection puisse ainsi préparer le terrain pour 2027, il est essentiel de se concentrer d’abord sur le fond plutôt que sur l’identité du candidat », avertit une député LR, citée par France Télévisions.
Les critiques sont cependant rejetées par les partisans de Bruno Retailleau. « Il est étonnant qu’on encourage la démocratie interne du parti dans le cadre de sa refondation et qu’on refuse parallèlement le vote », souligne le sénateur Max Brisson, fervent soutien du ministre de l’Intérieur, comme beaucoup d’autres élus. « Je cherche à éviter de nouvelles déchirures à l’intérieur du parti », déclare le principal concerné dans sa lettre, ajoutant jeudi matin après la rencontre des responsables LR que « voter ,ce n’est pas diviser ».
« Incapable de prédire le vainqueur »
La question reste ouverte quant à qui, parmi les deux personnalités, finira par l’emporter. Le ministre de l’Intérieur bénéficie déjà du soutien de figures influentes telles que Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, qui affirmait mardi sur France 5 que Bruno Retailleau serait « un excellent président des Républicains ». Il pourrait aussi compter sur le soutien des élus du Sénat, numériquement plus nombreux que les députés de droite. Un sénateur LR confie ainsi à France Télévisions, « Connaissant bien le parti, il possède de nombreuses chances d’être élu ».
Les soutiens au sein des cadres LR suffiront-ils pour autant ? L’enquête Opinionway montre qu’une majorité de sympathisants LR penchent en faveur de l’actuel ministre. Cependant, le choix des adhérents reste incertain. Emilien Houard-Vial reste prudent, avouant être « incapable de prédire qui sortirait vainqueur d’une telle confrontation ».
« Il est ardu de cibler qui est le plus apprécié des militants, d’autant que je doute que tous recherchent la radicalité avancée par Bruno Retailleau. »
Emilien Houard-Vial, spécialiste de la droite françaiseà 42mag.fr
Laurent Wauquiez a l’avantage d’avoir « été proche des fédérations depuis longtemps, maintenant un lien constant avec les militants », complète Jean-Pierre Taite, bien que « Bruno Retailleau soit aussi estimé pour avoir soutenu le mouvement durant ses heures les plus compliquées ».
« Tous ont utilisé ce poste pour préparer la présidentielle »
Au sein de la droite, le duel des chefs semble davantage lié aux personnalités qu’à une réelle divergence idéologique. Les deux hommes affichent des positions très conservatrices, hostiles à l’immigration et historiquement opposées au mariage pour tous.
« Je ne distingue pas de grands écarts idéologiques entre eux, il s’agit surtout d’une question de style et d’historique personnel. »
Max Brisson, sénateur LRà 42mag.fr
« Malgré des thématiques partagées, chacun a son vécu propre », analyse Emilien Houard-Vial. Ainsi, « Bruno Retailleau a des racines catholiques marquées », tandis que Laurent Wauquiez se distingue par « son discours économique, axé sur le travail et sa critique constante de l’assistanat ».
Mais au-delà de la direction des Républicains, se profile déjà l’élection présidentielle de 2027. « Cette échéance structure la scène politique nationale. De plus, en dehors de quelques cas rares, la présidence de LR a toujours été un tremplin pour préparer les présidentielles », souligne Emilien Houard-Vial.
Malgré le score désastreux de Valérie Pécresse en 2022 – la présidente de la région Île-de-France n’ayant récolté que 4,78% des voix – et les performances mitigées du parti lors des dernières législatives, les deux hommes restent convaincus du retour en force de la droite. « Je le ressens », écrit Bruno Retailleau, « la droite commence à être écoutée de nouveau (…) et elle a des chances d’emporter la victoire demain ».
« Le pari qui est fait, c’est que la droite va creuser dans les électeurs de l’extrême droite, mais actuellement, elle attire surtout ceux du centre. »
Emilien Houard-Vial, spécialiste de la droite françaiseà 42mag.fr
Le prochain leader des Républicains devra composer avec un paysage de candidats de plus en plus fourni à droite. Xavier Bertrand s’est déjà positionné pour la présidentielle et a rejeté l’idée d’un « lien automatique » entre la présidence du parti et la candidature à l’Élysée. Certains autres candidats potentiels, à l’instar du ministre de la Justice Gérald Darmanin, prônent des primaires élargies pour désigner un unique candidat de la droite et du centre.