Les membres des commissions des lois au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent encore donner leur aval à la nomination de l’ex-député macroniste pour diriger cet important organisme de la Ve République, dont la mission principale est de veiller au respect de la constitutionnalité des lois.
Et si le choix de Richard Ferrand pour présider le Conseil constitutionnel était finalement rejeté ? Le président de la République a présenté, le 10 février, la candidature de l’ancien président de l’Assemblée nationale pour diriger cette institution clé. Cependant, le parcours politique de cet allié d’Emmanuel Macron ne fait pas consensus, ni parmi les politiciens ni dans les milieux juridiques. Sa nomination doit encore être validée lors d’un vote parlementaire où chaque voix comptera.
Le 19 février, Richard Ferrand, absent de la scène politique depuis sa défaite aux élections législatives de 2022, reviendra sous les projecteurs. Il sera interrogé d’abord par la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis par celle du Sénat, afin de déterminer s’il est apte à succéder à Laurent Fabius à la tête de cette institution. Son rôle consiste à vérifier que les lois sont conformes à la Constitution.
Les élus de ces deux commissions devront ensuite se prononcer à bulletins secrets. Si 60% des parlementaires s’opposent, la nomination sera rejetée. « Pour un total de 73 votes exprimés à la commission de l’Assemblée et 49 au Sénat, la nomination sera bloquée s’il y a au moins 74 voix contre », estime une source parlementaire.
« Il ne s’agit pas d’une reconversion pour retraités »
Estimer le nombre de voix nécessaires reste difficile, car le nombre exact de participants au vote demeure incertain. « Certains auront d’autres engagements », plaisante un député de droite. Le scrutin à l’Assemblée semble particulièrement délicat pour cet ex-socialiste converti à la cause macroniste. La gauche, avec ses 25 députés siégeant à la commission, manifestera son opposition. « Le Conseil ne doit pas être un refuge pour les proches de Macron rejetés par les urnes », fustige Thomas Portes, député de La France insoumise. « Cette nomination méprise l’institution et la démocratie », renchérit l’écologiste Sandra Regol.
Du côté du Rassemblement national, qui dispose de 16 sièges à la commission, le groupe attendra l’audition avant de se prononcer, bien que Marine Le Pen ait déjà exprimé ses réserves. « Le Conseil constitutionnel ne doit pas servir de dernier refuge à des carrières politiques. Il devrait être avant tout un lieu de réflexion juridique », a-t-elle déclaré. Chez Les Indépendants, aucune position officielle n’a encore été adoptée. « Le débat suit son cours », indique un représentant de ce groupe.
Dans les rangs de l’ex-majorité présidentielle, représentée par 21 députés à la commission des lois, on tente de soutenir Richard Ferrand. « Notre soutien est unanime. Sa légitimité ne fait aucun doute », affirme un député de la majorité présidentielle. « Choisir des figures expérimentées garantit l’objectivité », soutient un acteur important du bloc central. « Je n’ai jamais entendu parler d’un membre du Conseil qui n’aurait pas agi avec indépendance vis-à-vis de ceux qui l’ont nommé, comme l’affirmait Robert Badinter. Ferrand serait à la hauteur, je lui fais confiance ».
« Le copinage, non merci »
Quelle sera l’attitude des six députés Les Républicains ? « Si nous partageons la même ligne, nous n’avons aucune raison de nous opposer à Ferrand », affirme Sébastien Huyghe, député apparenté EPR, ancien LR.
Toutefois, la situation semble mal engagée. « Le profil de Ferrand pose question », déclare Laurent Wauquiez dans une entrevue au Figaro. « Il vient du PS et a été un pilier du macronisme. Le risque est une coloration politique des décisions du Conseil ». Le chef de file de la Droite républicaine assure que la décision sera collective, mais les membres de la commission semblent déjà avoir une opinion arrêtée.
Sur X, l’ancien chef de file LR, Olivier Marleix, a lancé un vif message relayant son intention de voter contre, en raison « des affaires des Mutuelles de Bretagne et du manque supposé d’indépendance ». D’autres comme Ian Boucard, Eric Pauget et Emilie Bonnivard partagent ce sentiment. « Cette nomination ressemble à la politique des copains, ce que le contexte actuel ne permet pas », s’indigne Emilie Bonnivard.
« Il est impensable que le président avance une telle candidature. C’est totalement déplacé. »
Emilie Bonnivard, députée LR de Savoieà 42mag.fr
Pour Ian Boucard, toute décision future de Ferrand serait suspectée de partialité, ce qui serait un symbole à éviter. Patrick Hetzel, élu LR du Bas-Rhin, précise qu’il s’alignera sur la décision de son groupe.
Philippe Gosselin, vice-président LR de la commission des lois, attend son audition avant de choisir son camp, tout en notant la difficulté pour un président politiquement isolé de promouvoir un de ses fidèles. « Cela soulève des problèmes d’indépendance et d’impartialité », se demande-t-il. Surpris par l’ampleur de l’opposition, il juge que cette nomination ne sera pas acceptée facilement. Cela constituerait un revers majeur pour Macron.
Pour convaincre, Richard Ferrand a débuté une série de contacts avec les chefs de file à l’Assemblée. Bien qu’il ait tenté de discuter avec Laurent Wauquiez, leader du groupe LR, les oppositions ne se sont pas apaisées. Ce lobbying reste pour l’instant discret et se concentre sur le Palais Bourbon.
« Cela ressemble à un retour à la case départ »
Au Sénat, les Républicains affichent un optimisme modéré. « Ce n’est pas tant sa proximité avec Macron qui soulève des questions que ses qualifications, en comparaison aux précédents présidents du Conseil constitutionnel », explique Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques et porte-parole LR. Contrairement à ses prédécesseurs, Ferrand n’a pas de solide parcours en magistrature ou en haute fonction publique.
« Il est crucial de nommer une personne indépendante. Il y a déjà deux anciens ministres de Macron au Conseil constitutionnel. Le candidat doit être incontestable. »
Un sénateur LR, membre de la commission des loisà 42mag.fr
Il rappelle que Ferrand a eu des démêlés judiciaires, résolus par la prescription plutôt que sur le fond de l’affaire. « Près de 80%, voire 90% des membres LR de la commission sont défavorables. Le résultat s’annonce serré, et je doute que cela passe », ajoute-t-il. Bien que le groupe ne donne pas de directives de vote, l’attitude des LR, qui disposent d’une influence notable dans les commissions des lois, sera déterminante.
Chez les Indépendants, proches des Républicains et détenant trois sièges à la commission, ils se montrent sceptiques face au choix de l’Elysée. « Cette pratique de nommer ceux qui ont perdu des élections me déplaît, c’est du recyclage », déplore Dany Wattebled, sénateur du Nord. Pour soutenir Ferrand, il faut regarder du côté de l’Union centriste, qui compte neuf sièges au Sénat. « Qu’il ait présidé l’Assemblée est positif pour la tête du Conseil : il maîtrise les enjeux politiques », selon Isabelle Florennes, sénatrice des Hauts-de-Seine.
« Accord invisible avec la droite »
Le Sénat est perplexe quant à la nomination de Ferrand, alimentant des spéculations sur des accords cachés pour obtenir l’appui de la droite. « Un accord entre Macron et Larcher semble plausible », suggère un élu pro-Macron. Ce ne serait pas surprenant que le président ait garanti le soutien de la droite avant de soumettre ce nom, estime Isabelle Florennes. À gauche, certains parlementaires valident cette hypothèse.
Néanmoins, les élus de droite démentent catégoriquement tout accord. « Nous aurions reçu des signes clairs de notre président de groupe, et ce n’est pas le cas », soutient un sénateur LR.
« Aucune preuve ne permet de dire cela. »
Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiquesà 42mag.fr
Philippe Gosselin, évoque également des doutes : « Pourquoi le Sénat entrerait-il dans un accord avec Macron ? Le président n’a guère les moyens pour cela. »
Côté macroniste, il n’y a pas grand-chose à offrir. Philippe Bas, candidat soutenu par Larcher pour accéder au Conseil constitutionnel, se présenterait uniquement devant le Sénat, où il devrait obtenir assez facilement le nombre de voix exigé grâce au soutien de sa base et d’une part de l’opposition. Pour se hisser à la présidence, Ferrand doit rallier des soutiens au-delà de son propre camp politique, d’autant que sa formation a perdu de l’influence à l’Assemblée en 2024. Ensemble, le MoDem et Horizons n’ont que 27% de présence dans les commissions des lois, bien loin de la majorité requise de 40%.
En avril 2023, une précédente candidature élyséenne pour la direction de l’Agence de la transition écologique a échoué devant le Parlement, marquant la première désapprobation d’un nom proposé par l’Élysée depuis l’instauration de cette procédure. Si Richard Ferrand subissait le même sort pour un poste aussi prestigieux, cela représenterait un revers inédit et accentuerait la perte de crédibilité du chef de l’État, analyse le constitutionnaliste Thibaud Mulier.