Lors du Sommet consacré à l’action sur l’intelligence artificielle, d’importantes annonces concernant des investissements privés ont été faites, touchant à la fois la France et l’Europe. Ces fonds visent à stimuler l’innovation dans le domaine de l’IA. Parallèlement, ces initiatives s’inscrivent dans un effort plus large visant à rendre les réglementations pour les entreprises plus accessibles et moins complexes.
Des signaux de changements importants dans l’industrie technologique
Depuis une passerelle dominant le tumulte d’entreprises émergentes à Station F à Paris, un cadre dirigeant d’une grande société d’intelligence artificielle affiche un sourire satisfait. La raison de cette satisfaction est l’engagement pris lors du Sommet pour l’action sur l’IA en faveur de l’investissement dans les entreprises en France et en Europe.
En parallèle, depuis le Grand Palais, la présidente de la Commission européenne a annoncé, mardi 11 février, un immense plan d’investissement de 200 milliards d’euros dans le domaine de l’IA européenne, décrit comme « le plus vaste partenariat public-privé à l’échelle mondiale ». Ursula von der Leyen a cependant omis de préciser que la majorité des fonds issus du secteur privé étaient soumis à des conditions : une réduction significative des réglementations européennes et une simplification administrative.
Ce sommet a produit des résultats concrets divergents de ceux du sommet mondial de Bletchley Park en 2023, qui mettait l’accent sur les risques potentiels associés aux IA. Ici, l’attention était davantage portée sur les entreprises et les fonds d’investissement.
Les objectifs sont variés : promouvoir l’innovation, accélérer l’adoption des avantages de l’IA, positionner l’Europe et la France comme leaders dans le domaine, et préserver l’indépendance industrielle face aux États-Unis et à la Chine. Toutefois, certains experts y voient une pression pour assouplir les réglementations, au moment où plusieurs textes légaux sont en débat, ainsi qu’une incitation à développer l’IA sans pleinement considérer ses conséquences.
Accélérer la concrétisation des bénéfices de l’IA
L’Élysée, qui a orchestré ce sommet, a clairement exprimé son ambition de promouvoir l’innovation française et d’attirer des investissements. Emmanuel Macron a affirmé lors de la clôture du premier jour, lundi, que l’objectif était de souligner les avantages de choisir l’Europe et la France pour le développement de l’IA.
Il est question de récolter rapidement les bénéfices associés à l’IA dans des domaines tels que la médecine, l’industrie, l’éducation et les ressources humaines. L’accent est mis sur des innovations éthiques, l’appui à la recherche en open source et la réduction de l’empreinte écologique de l’IA.
Avant même le début du sommet, un engagement d’investissement de 109 milliards d’euros par le secteur privé en France a été annoncé, principalement pour construire des centres de données. Le gouvernement valorise les énergies décarbonées de la France et les allègements déjà prévus par la loi sur l’industrie verte, avec des promesses de simplifications supplémentaires par le biais de nouveaux projets législatifs en discussion.
Il y a des appels à aller encore plus loin. Régis Castagné, directeur général d’Equinix France, a souligné les difficultés à faire des affaires en France, évoquant le besoin d’optimiser et de simplifier les processus.
Un certain nombre d’organisations ont exprimé des inquiétudes concernant le développement rapide des infrastructures numériques. Elles ont souligné que les arguments en faveur d’une « croissance verte de l’IA » sont souvent utilisés pour justifier l’extension des infrastructures de l’IA sans prendre en compte leurs besoins énergétiques accrus et leur impact sur le climat.
Conforter la position européenne dans la course à l’IA
Au sein de l’Union européenne, le moment est à l’investissement avec une volonté affichée de simplifier les normes régulatoires. Ursula von der Leyen a indiqué que l’UE entend accélérer l’innovation, soutenant l’allègement des procédures administratives.
Le discours incitatif de J.D. Vance, vice-président américain, a encouragé l’UE à éviter une régulation excessive qui pénaliserait les entreprises américaines, reflétant un contexte international de moindre coopération.
Cherchant à renforcer sa souveraineté générale et plus particulièrement technologique, l’UE poursuit son effort à la suite du rapport Draghi, qui promouvait des investissements massifs. La « boussole de compétitivité » pour les années à venir, dévoilée en janvier, vise également une simplification de plusieurs procédures administratives.
Pressions sur les régulations européennes
Le mouvement vers une « simplification » réglementaire survient à un moment crucial pour l’industrie de l’IA européenne. En effet, alors que l' »AI Act » a été adopté, de nombreux textes clés définissant précisément les règles pour les entreprises sont en cours de négociation.
Parmi les textes en discussion, la « Directive sur la responsabilité numérique de l’UE » soulève beaucoup d’attention. La France a montré des réticences envers cette suite essentielle de réglementations. De plus, un projet de « Code de pratique pour l’IA à usage général » est en évolution, mais subit des pressions de géants de la technologie comme Meta et Google.
David Evan Harris, professeur à l’Université de Berkeley, souligne que sans régulation, les entreprises technologiques sont poussées dans une compétition pour un moindre respect des normes éthiques et sécuritaires. Il rappelle que l’expérience européenne en régulation technologique influe mondialement. Katia Roux d’Amnesty France exprime également sa préoccupation face à la résistance des grandes entreprises technologiques contre les régulations européennes.
Un sommet critiqué pour son approche ambitieuse
Certains voient ce sommet comme une capitulation face aux risques supposés des avancées technologiques, incluant la menace de la fin du travail humain et des dangers pour l’humanité. Bien que ces craintes ne fassent pas l’unanimité, des figures comme Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio appellent à une considération sérieuse de ces enjeux.
Les progrès des IA autonomes, capables de réaliser des tâches de manière indépendante pour les utilisateurs, suscitent également des préoccupations. Cependant, la déclaration finale du sommet minimise les questions de sécurité sans solutions concrètes pour atténuer les inquiétudes.
Charbel-Raphaël Segerie, du Centre pour la sécurité de l’IA, critique sévèrement le sommet, voyant en lui un renoncement aux progrès réalisés lors du sommet axé sur la sécurité de l’IA à Bletchley Park. Il avertit que la France pourrait être perçue comme ayant contribué de manière significative à un éventuel scénario où des IA échapperaient au contrôle humain.