Cette semaine, Thierry Fiorile et Matteu Maestracci ont sélectionné pour leur critique cinématographique les films « The Brutalist », réalisé par Brady Corbet, ainsi que « Le Mohican » de Frédéric Farrucci.
The Brutalist représente une véritable prouesse, tant il semblait improbable que le cinéma américain puisse encore produire une œuvre de ce genre…
« The Brutalist » réalisé par Brady Corbet
Cette fresque épique et ambitieuse, d’une durée de 3 heures et 35 minutes avec un entracte, a été filmée sur pellicule au format Vistavision, 70 mm, avec un budget étonnamment modeste de 10 millions de dollars. L’histoire suit László Tóth (joué par Adrien Brody), un architecte juif hongrois ayant survécu aux horreurs des camps de concentration, qui émigre aux États-Unis avec l’espoir d’y réaliser ses rêves. Sa rencontre avec un industriel aisé, qui sollicite de lui une réalisation architecturale audacieuse, semble marquer le début d’une nouvelle ère. Cependant, cette relation se révèle toxique et empreinte de mépris social et d’antisémitisme sous-jacent, plongeant László dans une désillusion totale face au rêve américain.
The Brutalist raconte une tragédie personnelle se déroulant au cœur d’une période historique mouvementée, avec des visuels époustouflants. Les scènes tournées dans les carrières de marbre de Carrare, en Italie, sont particulièrement impressionnantes. Brady Corbet s’éloigne des récits de survivants de l’Holocauste typiquement marqués par la résilience. Son personnage principal revient des camps marqué par l’impuissance, dépendant de l’héroïne, tandis que son épouse est confinée à un fauteuil roulant et que sa nièce a perdu l’usage de la parole. Le silence sur les atrocités vécues traduit le désintérêt de la société américaine, qui les accepte sans vouloir entendre leur douleur.
Le brutalisme, un courant architectural apparu après la Seconde Guerre mondiale, répondait à la brutalité de cette période. Il se caractérisait par l’usage du béton, des lignes épurées, et des volumes imposants, une approche inspirée par le Bauhaus que le régime nazi avait tenté de faire disparaître. Aujourd’hui, ces nouvelles menaces proviennent de l’extrême droite allemande et de Donald Trump, démontrant ainsi comment l’Histoire tend parfois à se répéter.
« Le Mohican » de Frédéric Farrucci
Inspiré par une histoire vraie locale, Frédéric Farrucci transpose à l’écran un récit qui avait déjà donné lieu à un documentaire. Il s’agit de la vie d’un berger corse, le dernier à faire paître ses chèvres au bord de la mer plutôt qu’en montagne, et surtout le dernier à résister à la pression de la spéculation immobilière mafieuse, d’où le titre « Le Mohican ».
Dès les premières minutes, un envoyé du chef local de la mafia le menace, entraînant une confrontation qui tourne mal. Joseph, le berger, tue accidentellement l’homme et doit fuir, poursuivi par des criminels. Tandis qu’une partie des habitants de l’île lui exprime leur soutien par des discussions, des chants ou des graffitis, sa nièce tente de briser l’omerta tradition avec les réseaux sociaux, apportant une touche contemporaine à un film qui pourrait aussi bien se dérouler au XIXe siècle, à la manière de Prosper Mérimée.
Dans le rôle de Joseph, Alexis Manenti, avec son allure réservée, son embonpoint et son air perpétuellement fatigué, livre une performance remarquable. Ce rôle constitue son meilleur depuis Les Misérables. Il a même appris à parler corse pour donner plus d’authenticité à son personnage, ce qui résonne particulièrement dans la région d’origine de son père. Le film est magnifiquement filmé, le sujet puissant, faisant Le Mohican un excellent opus cinématographique. Il s’inscrit dans une série de films insulaires de qualité, à l’instar de ceux de Thierry de Peretti et Julien Colonna. Grâce aux talents de la directrice de casting Julie Allione, plusieurs acteurs reviennent d’un film à l’autre.