Dans le département des Hautes-Pyrénées, une autre institution scolaire privée de confession catholique fait face à des accusations de maltraitance provenant d’anciens élèves. À l’instar du cas impliquant l’école Bétharram, ces anciens étudiants rapportent avoir subi des punitions physiques régulières infligées par le personnel de surveillance et les responsables de l’établissement. Ces pratiques auraient été tolérées et appuyées pendant de nombreuses années par les dirigeants de l’école.
L’histoire commence avec le récit d’une gifle mémorable racontée le 24 février par un ancien étudiant de l’école Bétharram à un moment où l’affaire faisait grand bruit. Cet événement rappelle à Philippe des souvenirs vieux de près de quatre décennies. La scène impliquait son oreille gauche, endommagée à cause d’une gifle gigantesque, appelée une « bouffe » dans le jargon du Sud-Ouest, que lui avait administrée en octobre 1987 le principal surveillant de la vénérée école catholique Notre-Dame de Garaison à Monléon-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées, où il était élève.
Cet épisode n’est qu’une petite partie des expériences que Philippe affirme avoir endurées dans cet établissement religieux, où les punitions corporelles semblaient être un moyen accepté de maintenir l’ordre parmi les élèves en internat.
« Faire éclater la vérité »
Le 21 février 2025, Philippe décide de créer un groupe Facebook intitulé « Collectif des victimes de Notre-Dame de Garaison ». D’anciens élèves de l’institution rejoignent rapidement ce groupe, se reconnaissant dans les récits de maltraitance poussés par l’affaire Bétharram. Jusque-là, la plupart d’entre eux avaient choisi de ne rien dire, même parfois à leur propre famille. En l’espace de quelques jours, un e-mail et un groupe Whatsapp voient le jour, créant des liens avec le collectif des anciens de Notre-Dame de Bétharram.
Bien que les incidents signalés à Notre-Dame de Garaison remontent à plusieurs dizaines d’années et sont en général prescrits, le collectif ne désespère pas d’explorer les possibilités légales pour obtenir justice. Henry*, l’un des membres contactés par Radio France, explique : « On n’est pas soixante à mentir ». Il ajoute que, à Bétharram, il n’y a pas 132 personnes qui portent plainte pour le simple plaisir. Frapper un enfant chaque nuit sans raison n’est pas acceptable. Les gens doivent connaître la vérité. »
Figures célèbres parmi les anciens élèves
Établie en 1841, près d’un grand site de pèlerinage et de la ville de Lourdes, Notre-Dame de Garaison jouit d’une réputation d’excellence, tant en Bigorre qu’à Pau ou à Toulouse. Elle est respectée pour son enseignement rigoureux, ses valeurs religieuses traditionnelles, et sa discipline stricte, souvent appliquée aux élèves difficiles. Comme Notre-Dame de Bétharram, ses écoles attirent les enfants issus de familles aisées de la région. L’école se glorifie également d’avoir compté dans ses rangs d’anciens élèves tels que Pierre Berbizier, sélectionneur du XV de France de 1991 à 1995, et Jean Castex, Premier ministre de 2020 à 2022, bien que ce dernier ait décliné les demandes d’interview de Radio France.
En tant qu’interne de 1984 à 1987, Philippe a intégré l’école Notre-Dame de Garaison à l’âge de 12 ans pour améliorer ses performances académiques. Cependant, il y subit rapidement des abus répétés de la part des surveillants, en particulier la nuit, visés à imposer un certain ordre au sein du dortoir. Philippe décrit l’expérience : « Les internes étaient les plus touchés. Les surveillants, souvent des élèves de terminale, étaient autorisés à punir physiquement. Je me souviens de ma première nuit là-bas. Après avoir échangé quelques mots avec mon voisin, on m’a forcé à me dénoncer. J’ai été sommé d’approcher et de tenir la lampe de poche pour ensuite recevoir une gifle magistrale. Je suis retourné me coucher sans explication. Cela ressemblait à du conditionnement. Le principal surveillant avait pour habitude de fouetter les élèves en ligne avec un lacet de cuir tressé, et parfois on nous faisait tourner en pyjama dans la cour en plein hiver. »
« Je me souvent d’un camarade qui avait reçu dix-sept gifles en une heure de cours. »
Philippe, un ancien élève de Notre-Dame de Garaisonà la cellule investigation de Radio France
La gifle infligée par le surveillant général, décédé aujourd’hui, qui a causé la perforation de son tympan, attestée par un certificat médical de l’époque, a précipité le départ de Philippe de l’école. Il ajoute : « Tout le monde savait. Bétharram et Garaison avaient déjà cette réputation. Les parents n’imaginaient pas ce que leurs enfants enduraient, et les enfants ne parlaient pas. »

Interrogés, les services du procureur de Pau n’ont pas enregistré de plaintes récentes pour abus ou agressions sur mineurs contre cet établissement. Le parquet de Tarbes, quant à lui, reste silencieux. En 2009, toutefois, la cour d’assises des Hautes-Pyrénées avait condamné un ancien surveillant de Notre-Dame de Garaison à 12 ans de prison pour des « viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et par personne ayant autorité ». Les faits incriminés couvraient la période de 1987 à 2006. Les témoignages recueillis auprès de l’école catholique évoquent aujourd’hui principalement des violences physiques, de l’intimidation, un climat de peur instauré par certains surveillants, mais pas d’abus sexuels venant d’adultes.
« L’apprentissage du silence à coups de violence »
Sophie* est l’une des rares femmes à avoir partagé son témoignage avec l’équipe d’enquête de Radio France. Âgée de 13 ans lors des faits survenus dans les années 80, elle est encore marquée par une agression ultraviolente du surveillant en chef déjà mentionné par Philippe. Ayant été réprimandée par un surveillant pour avoir lu pendant l’étude, elle fut confrontée au surveillant en chef. « Je suis arrivée devant son bureau, » raconte-t-elle difficilement. « Dès qu’il a ouvert la porte, il s’est mis à me frapper. Coups de pied, coups de poing. Il m’a saisie par la tête et m’a battue en la cogner de part et d’autre contre les murs. Ça a duré un moment. Puis je n’ai plus beaucoup de souvenirs. J’ai un vide. De retour chez moi, j’ai fini par en parler à ma mère. Le directeur de l’époque, le père Y.L., l’a rencontrée. Il lui a proposé de me faire passer dans la classe supérieure si elle n’alertait personne et restait discrète à ce sujet. Ma mère a refusé et m’a transférée dans une école publique en cours d’année. »
« À l’époque [au début des années 1980], on ne portait pas plainte. Ça ne se faisait pas. »
Sophie, ancienne élève de Notre-Dame de Garaisonà la cellule d’investigation de Radio France
« J’ai vu des enfants qui se faisaient casser le nez, ouvrir les sourcils, » poursuit-elle. « Le surveillant général utilisait une ceinture ou des lacets de cuir pour frapper. On ne peut pas prôner la compassion et, en même temps, frapper des enfants. Je n’ai pas mérité ça. Les garçons n’auraient pas dû subir les coups d’un pion avec des santiags pointues qui les ciblaient de plein fouet. C’est atrocement violent. Cela a laissé des traces sur ma vie entière. J’ai appris à me taire. À Garaison, c’était l’apprentissage du silence, mais à coups de violence. »
Liés par les gifles, mains derrière le dos
Le collectif des anciens de Notre-Dame de Garaison reçoit régulièrement de nouveaux témoignages datant de la fin des années 70 à la fin des années 90, mais également de commentaires défendant l’établissement, avancés par certains élèves soulignant que c’était une autre époque et que ces récits arrivent bien trop tard. Des arguments qui irritent Henry*, élève de l’école à la fin des années 80 après avoir été refusé à Notre-Dame de Bétharram. « Certaines personnes disent que quelques gifles n’ont jamais fait de mal, mais en réalité on a ruiné des enfances, des sensibilités, » exprime-t-il. « J’ai toujours ressenti cette colère intérieure. Je n’ai pu parler de cela à mes parents que dix ans après. Je ne dois pas être le seul dans ce cas. Un de mes camarades m’a dit une phrase qui restera gravée en moi : ‘Toi aussi, quand tu en parles, on ne te croit pas ?' »
« Certaines nuits, nous recevions deux gifles, d’autres nuits, c’était quatre. »
Henry, ancien élève de Notre-Dame de Garaisonà la cellule investigation de Radio France
Comme de nombreux élèves ayant parlé à Radio France, Henry décrit un rituel nocturne dans le grand dortoir situé sous les combles du bâtiment principal, accueillant près de 80 enfants. « Une fois les lumières éteintes, au moindre bruit ou chuchotement, les néons étaient rallumés, les enfants demandaient de se lever et de placer leurs mains derrière le dos. Le surveillant passait alors pour gifler chaque élève. Si quelqu’un tentait de se protéger ou baissait la tête pour éviter la claque, il frappait à nouveau. C’était un système très ancré. La peur et la vulnérabilité étaient omniprésentes. Ce qui me choque encore aujourd’hui, 37 ans plus tard, est que l’institution savait. Les punitions corporelles étaient pratiquées avec consentement. »
Marc*, un autre témoin, se remémore un professeur de mathématiques lui ayant asséné une gifle si violente qu’il s’était uriné dessus. Ou encore ce cadre de l’école, redouté pour son habitude de pincer les joues des plus jeunes avec une telle poigne qu’il les soulevait du sol. Surnommé « le crabe », il se chargeait de contrôler les douches, mais cela n’a pas empêché que Marc soit agressé sexuellement par des élèves plus âgés. Il a récemment confié ses expériences à sa femme, mais n’a jamais eu le courage d’en parler à ses parents. Sollicité par Radio France, l’ancien responsable de l’école mentionné par Marc, aujourd’hui diacre dans le diocèse de Tarbes et Lourdes, déclare « ignorer tout cela ». Il était décrit par la presse locale comme « la mémoire de Notre-Dame de Garaison ».
(Les prénoms suivis d’un astérisque * ont été modifiés)
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