L’ex-procureur, qui a exercé ses fonctions à Castres entre 2020 et 2023, a comparu mardi devant le Conseil supérieur de la magistrature à Paris dans le cadre d’une audience disciplinaire. Il est accusé de harcèlement sexuel envers sa secrétaire ainsi que plusieurs autres employées placées sous sa supervision. Bien qu’aucune charge pénale ne soit retenue contre lui, il risque de faire face à une sanction décidée par le ministre de la Justice, suivant l’avis du CSM.
Dans la prestigieuse salle de la Cour de cassation
Dans l’élégante salle de la Cour de cassation, Chérif Chabbi, âgé de 53 ans, se tient droit dans son costume, entouré de ses avocats et de représentants syndicaux. En face de lui se trouvent les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), avec à leur tête Rémi Heitz, procureur général près de la Cour de cassation et souvent perçu comme le premier magistrat de France, qui mène les délibérations.
Ce dernier commence par questionner Chérif Chabbi au sujet des remarques à caractère sexuel signalées à l’été 2023 par son ancienne secrétaire, plus jeune de 20 ans. Il aborde également ses gestes déplacés. Un jour, Chabbi aurait appuyé deux baisers sur ses joues ; un autre, il aurait passé une main dans ses cheveux pendant qu’elle se trouvait dos à une porte. Sans évoquer ce déjeuner où l’assistante affirme que son supérieur l’a attrapée par la main et serrée par la taille.
Absence de souvenirs clairs
Rémi Heitz interpelle Chabbi : « Ces agissements sont très gênants pour votre secrétaire, mariée et mère de deux enfants. Elle n’a pas parlé plus tôt, car elle respectait la hiérarchie et était polie. Mais au bout d’un certain temps, l’accumulation de ces situations inconfortables a rendu son malaise palpable. En avez-vous conscience ? Comprenez-vous cela ? » Chabbi répond, non sans maladresse : « Je ne nie pas ses dires… je ne conteste rien… si elle le dit, c’est que c’est vrai, et je suis désolé qu’elle ait souffert de mon comportement. » Cependant, il ajoute qu’il n’a pas de souvenirs précis et qu’il n’a pas perçu à quel point elle pouvait être gênée.
La question des invitations pressantes à dîner en tête-à-tête, malgré ses refus, est également abordée. Chérif Chabbi justifie ces invitations comme un simple moyen de la remercier pour son travail et sa dévotion. Le procureur se voit aussi interrogé sur un message envoyé à sa collaboratrice, l’invitant à le rejoindre à sa piscine alors qu’elle était au palais de justice et lui en télétravail. Il finit par reconnaître un comportement « inapproprié et inacceptable » durant une période de stress intense, lors de laquelle il n’était pas dans son état habituel, pris dans « une spirale infernale. »
« Je suis ainsi, c’est ma manière d’être. »
Chérif Chabbi, ancien procureur de la République de Castres42mag.fr
« Ce n’est pas correct, mais j’ai toujours été tactile, élogieux, peu conventionnel. À Castres, j’ai souhaité être proche du personnel, quels qu’ils soient. J’ai voulu une gestion horizontale pour renouveler le dialogue social », se défend Chérif Chabbi. Son intention aurait été d’atténuer les difficultés des agents dans une petite juridiction sous-dotée et accablée de travail. Il raconte qu’à la période concernée, un quasi-épuisement l’a conduit à consulter des spécialistes et à prendre des anxiolytiques et des antidépresseurs pour faire face à la situation. Jamais auparavant il n’avait occupé des fonctions aussi importantes que lors de sa nomination à Castres, ce qui lui donnait l’impression de pouvoir enfin se racheter d’une enfance marquée par la misère, dans une famille très démunie.
Durant l’enquête administrative menée par l’inspection générale de la Justice, divers fonctionnaires du tribunal ont témoigné des propos inappropriés tenus par le procureur à l’encontre de sa collaboratrice. De plus, trois autres secrétaires judiciaires ont évoqué avoir été la cible de remarques gênantes, de plaisanteries vulgaires et de propos sexistes. Devant ses pairs, le magistrat tente de se justifier : « J’ai toujours été ainsi, et en vingt ans, jamais un supérieur ne m’a reproché quoi que ce soit. J’ai même observé des procureurs adopter le même comportement sans que cela ne pose problème, » sous-entendant que l’évolution des mœurs l’a piégé et qu’il n’y a pas si longtemps, son attitude n’aurait rien eu de répréhensible.
Avez-vous modifié votre comportement ?
Elisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux et maintenant membre du CSM, s’adresse à lui : « Et aujourd’hui, quel regard portez-vous sur les faits qui vous sont reprochés, et votre comportement a-t-il changé ? » L’intéressé avoue que, rétrospectivement, il regrette son comportement. Bien qu’il aimerait revenir en arrière, il ne le peut pas. Il affirme avoir désormais repensé sa façon de se comporter, en mettant une plus grande distance avec les autres, ce qui est facilité par le fait qu’il n’est plus « épuisé, débordé de travail. »
En jouant le rôle de l’accusation, une responsable des ressources humaines du ministère de la Justice dénonce chez Chérif Chabbi « un comportement sexiste et humiliant qui nuit à l’image de l’institution judiciaire. » Elle critique « des violations sérieuses des devoirs de dignité et de délicatesse qui incombent à un magistrat » et réclame une sanction exemplaire. Elle ne préconise pas la révocation, mais une rétrogradation, impliquant une baisse de revenus. Le Conseil supérieur de la magistrature a ajourné sa décision au 29 avril. Cette décision servira de base au garde des Sceaux pour déterminer, ou non, une sanction à l’encontre du magistrat.