Au sein de l’Union européenne, les mouvements de détenus d’un État membre à un autre sont déjà encadrés par une décision-cadre mise en place en 2008. En revanche, quand il s’agit de pays extérieurs à l’UE, la France est tenue de négocier des accords bilatéraux, un processus qui demande parfois plusieurs mois.
Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, propose une solution pour combattre la surpopulation carcérale en France : expulser les détenus étrangers des prisons françaises. Cette idée a été exposée dans une circulaire diffusée le 22 mars, demandant aux procureurs et responsables des établissements pénitentiaires de recenser les prisonniers étrangers incarcérés, avec l’intention de les renvoyer dans leurs pays d’origine.
Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, Darmanin a révélé que les prisons en France hébergent actuellement plus de 19 000 prisonniers étrangers, qu’ils soient en attente de jugement ou déjà condamnés. Cela représente 24,5 % de la population carcérale totale, avec 3 068 venant de l’Union européenne, 16 773 d’autres régions du monde, et 686 individus dont la nationalité reste inconnue.
Au début de février 2025, le nombre de détenus en France s’élevait à 81 599, alors que le système ne dispose que de 62 363 places, générant ainsi un surplus de 19 236 personnes incarcérées au-delà de la capacité. Selon Darmanin, si ces étrangers purgeaient leur peine dans leur pays d’origine, le problème de surpopulation pourrait être en grande partie résolu. Mais est-ce vraiment faisable?
Des démarches compliquées
Il faut distinguer deux approches pour la mise en œuvre de cette politique : la déportation vers un autre État de l’Union européenne et celle vers les pays non-membres de l’UE. Pour le premier scénario, Darmanin s’appuie sur un règlement européen, actuellement non appliqué par la France, qui autorise le transfert de détenus entre États membres à condition que ceux-ci acceptent leurs nationaux. Une décision-cadre de l’UE datée du 9 novembre 2008 soutient ce transfert, bien qu’elle ne soit qu’indicative et non obligatoire.
Darmanin voudrait exécuter ces expulsions sans obtenir l’accord des détenus concernés, une possibilité prévue dans certains cas par l’article 6 de cet accord. Amadou Ndiaye, avocat en droit international, souligne que même avec ce cadre, l’accord des pays concernés reste une nécessité pour tout transfert. Le ministère de la Justice prévoit d’activer cette mesure prochainement, touchant potentiellement plus de 3 000 détenus d’origine européenne.
La seconde option, plus complexe à gérer, concerne les détenus issus de pays hors de l’UE. En France, il existe déjà une disposition légale, l’article 729-2 du Code de procédure pénale, qui permet une « libération conditionnelle expulsion » applicable pour les étrangers ayant accompli la moitié de leur peine, tenants compte des remises de peines. Cependant, cette libération est conditionnelle au départ immédiat du territoire français et nécessite l’approbation d’un juge spécialisé.
Tenter d’obtenir des accords bilatéraux
Bien que la France puisse imposer une libération conditionnelle sans consentement, la plupart des accords bilatéraux entre les pays en font une exigence. Evelyne Sire-Marin, magistrate et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), remarque cette contrainte. Pour contourner cela, Darmanin envisage de conclure de nouveaux accords bilatéraux.
Selon Amadou Ndiaye, cette démarche nécessiterait des partenariats avec chaque pays pour faciliter les expulsions et obtenir les autorisations consulaires nécessaires. Dans son entretien avec le JDD, Darmanin confirme la mise en route des discussions avec le Maroc et l’intention de s’étendre à d’autres nations. Il précise cependant que ce processus est long et complexe.
« L’approbation mutuelle des deux pays est indispensable, suivie d’une ratification parlementaire, ce qui peut prendre des mois, voire plus. »
Amadou NdiayeAvocat en droit des étrangers
Chaque accord fera en sorte de définir les modalités de transfert de détenus. Cependant, selon Evelyne Sire-Marin, cette politique ne résoudra probablement pas la surpopulation en France. Sur les 19 000 prisonniers étrangers mentionnés par Darmanin, la magistrate évalue que près de 4 000 sont en détention provisoire et approximativement 2 000 attendent un appel, ce qui rend leur expulsion non applicable car ils ne sont pas encore condamnés de manière définitive.
De plus, avec plus de 4 000 d’Algériens parmi les détenus étrangers, les tensions diplomatiques actuelles entre la France et l’Algérie compliquent les rapatriements. Evelyne Sire-Marin anticipe que seule une fraction d’environ 10 000 détenus pourrait effectivement être expulsée dans le cadre de cette mesure.
Une autre option : louer des cellules à l’échelle internationale
Le ministère de la Justice assure à 42mag.fr que cette intervention vise non seulement à réduire la surpopulation carcérale, mais aussi à signaler aux contrevenants étrangers qu’un mauvais comportement en France entraînerait un retour obligatoire dans leur pays. Si la France prend la décision de renvoyer ces prisonniers étrangers, d’autres nations pourraient demander la restitution de leurs citoyens emprisonnés. En comparaison, la population française incarcérée à l’étranger est supposée être moindre, se traduisant par un déséquilibre en défaveur de la France.
En discutant avec le JDD, Gérald Darmanin a également évoqué l’idée de louer des cellules à l’étranger, une stratégie déjà adoptée par des pays comme le Danemark au Kosovo. Cette approche impliquerait la recherche de partenaires internationaux susceptibles d’accueillir des prisonniers, contribuant à alléger les établissements pénitentiaires français.