Environ 500 amendements ont été soumis au projet de loi, incluant des propositions visant à instaurer un régime de détention spécifique pour les trafiquants considérés comme les plus « dangereux ».
Le texte porte une aspiration claire : « libérer la France du piège du trafic de drogue ». La proposition de loi visant à combattre le trafic de stupéfiants est scrutée en commission des lois à l’Assemblée nationale à partir du mardi 4 mars, après avoir été approuvée en première lecture par le Sénat un mois auparavant. Ce texte, soutenu par le Parti socialiste et Les Républicains, bénéficie d’un large appui gouvernemental et introduit notamment un parquet spécialisé.
Gérald Darmanin, ministre de la Justice, s’apprête à proposer des amendements afin d’établir un nouveau régime carcéral pour les détenus particulièrement dangereux. En collaboration avec Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, il est auditionné le même jour par la commission. Ils prévoient d’annoncer, au cours de la semaine, la sélection de la première prison pour accueillir ces profils. Voici les détails de cette proposition alors qu’elle entame son parcours au Palais-Bourbon.
Un parquet national dédié aux crimes les plus sévères
Le texte, initié par les sénateurs Étienne Blanc (Les Républicains) et Jérôme Durain (Parti socialiste), contient une mesure phare : la création d’un Parquet national dédié à la lutte contre la criminalité organisée (Pnaco). Inspiré des parquets financiers et antiterroristes, ce nouveau dispositif obtient un relatif consensus parmi les magistrats. Une fois établi, le Pnaco s’occupera des crimes les plus sévères et coordonnera les parquets régionaux. Le statut de son futur procureur est spécifié dans une proposition de loi organique actuellement aussi à l’étude en commission. Ce poste ne pourrait être occupé plus de sept ans.
Gérald Darmanin espère que le Pnaco sera opérationnel dès janvier 2026, basé « a priori à Paris ». Celui-ci travaillerait de concert avec des services d’enquête renforcés, en créant un état-major de la criminalité organisée (Emco) piloté par la Direction nationale de la police judiciaire et des offices centraux comme l’Ofast, axé sur les substances illicites. Cet Emco, sis à Nanterre, deviendrait le « bras armé » contre les trafiquants. La chaîne pénale dans son ensemble disposerait d’experts dédiés à la criminalité organisée, qu’il s’agisse de magistrats ou de juges d’application des peines. Les besoins financiers pour 2026 ont été estimés à 130 millions d’euros.
Des stratégies pour « cibler les finances » des trafiquants
Le Sénat a également validé au début de février un mécanisme dual de gel judiciaire et administratif des actifs liés au trafic de stupéfiants. Le texte comprend diverses mesures anti-blanchiment, accueillant notamment la fermeture administrative de commerces suspectés de blanchir l’argent de la drogue. Initiée par des sénateurs, une procédure « d’injonction pour richesse inexpliquée » propose d’obliger les suspects à fournir des explications sur un train de vie en inadéquation avec leurs revenus déclarés. La proposition interdit aussi l’usage de mixeurs de cryptomonnaies, qui masquent l’origine de ces actifs numériques.
Nouveaux outils techniques et légaux pour les chefs et les subordonnés du trafic
Plusieurs mesures, entraînant moins d’adhésion, sont proposées pour optimiser les enquêtes. Parmi celles-ci, l’expérimentation du renseignement algorithmique pour détecter des menaces émanant de la criminalité organisée. Cette technique, déjà en usage pour le terrorisme, repose sur une intelligence artificielle qui scrute un grand volume de données pour identifier des comportements suspects, ensuite signalés pour des investigations plus poussées.
Un autre dispositif, critiqué par certaines voix de la gauche, impose aux messageries sécurisées (comme Signal ou Whatsapp) d’autoriser sous conditions l’accès des renseignements aux conversations des trafiquants. En outre, les préfets pourraient prononcer des interdictions de paraître sur les points de deal pour les trafiquants et leurs subordonnés, une mesure jugée contraire aux libertés publiques.
Pour contrer « l’ubérisation » du trafic et l’implication croissante des jeunes en tant que « petites mains » ou « guetteurs », le Sénat a introduit la création d’un « délit d’offre de recrutement » de mineurs sur les réseaux sociaux, passible de sept ans de prison et de 150 000 euros d’amende.
Une procédure pénale discrète pour préserver les méthodes d’enquête
En s’inspirant de la Belgique, le Sénat introduit la notion de « procès-verbal distinct », ou « dossier-coffre », qui contiendrait des informations collectées via des méthodes d’enquête particulières (surveillance, infiltration, etc.). « Nos dossiers judiciaires sont gouvernés par le principe du contradictoire, permettant aux trafiquants de comprendre leur arrestation et de s’adapter », avait expliqué Sophie Aleksic, magistrate en criminalité organisée devant la commission sénatoriale un an plus tôt.
Ces informations resteraient cependant non accessibles dans la procédure, même pour les avocats de la défense, et ne seraient utilisables au procès que dans des cas exceptionnels comme l’urgence à la vérité ou quand une vie est menacée, une proposition controversée par les défenseurs des libertés individuelles. « Un tel dispositif minerait le droit à un procès équitable », affirme Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux.
Réforme du statut de « repentis » inspirée de l’Italie
En examinant la législation italienne, le Sénat propose de réviser le régime des repentis, vu comme peu exploité en France comparé à sa capacité à identifier les leaders de réseaux criminels. Suivant la loi antimafia italienne, le statut deviendrait plus séduisant, avec la possibilité d’immunités de poursuites, même pour ceux impliqués dans des crimes graves. Toutefois, des garde-fous sont prévus : si la personne désigne des criminels de manière mensongère ou commet de nouveaux crimes, l’immunité prend fin automatiquement.
Le texte réformant le statut des repentis passera-t-il la barrière de l’Assemblée? « Je souhaite que les réformes renforçant notre Code pénal se maintiennent, comme ce statut et le procès-verbal distinct », indique le sénateur Étienne Blanc. « Le Code de procédure pénale n’est plus adapté à l’explosion de la criminalité organisée actuelle », ajoute-t-il.
Nouveau régime carcéral « exceptionnel » pour les détenus très dangereux
Abordée en commission et séance publique à partir du 17 mars, cette disposition ne figure pas dans le texte sénatorial initial. Parmi les 500 amendements présentés, figure celui de créer un nouveau régime carcéral « exceptionnel » pour les détenus à haut risque. « Pour éviter le drame des assassinats d’agents pénitentiaires dans l’affaire Amra », Gérald Darmanin sollicite le soutien des députés pour un régime d’isolement inspiré des mesures antimafia en Italie.
Les détenus seront transférés dans une prison hautement sécurisée, semblable à celle de Condé-sur-Sarthe où Mohamed Amra est détenu, pour une durée renouvelable de quatre ans par décision ministérielle. Leur comparution devant le juge d’instruction se ferait par « visioconférence », sauf avis contraire, leurs visites seraient limitées et suivies d’une « fouille systématique ». L’accès téléphonique serait restreint à « deux ou trois fois par semaine » et les séjours en unités de vie familiale supprimés.