Après son adoption unanime par le Sénat au début du mois de février, le projet de loi fait son entrée à l’Assemblée nationale ce lundi. Un vote solennel est programmé pour le 25 mars.
Les échanges promettent d’être animés. Lundi 17 mars, l’Assemblée nationale s’embarque pour une semaine de discussions autour de la proposition législative venue du Sénat, qui vise à renforcer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Le vote final de cette loi est planifié pour le 25 mars. Toutefois, plusieurs aspects du texte sont déjà vivement critiqués, non seulement par la gauche, mais aussi par des membres du parti présidentiel. Des représentants du barreau pénal et des organisations qui défendent les libertés civiles ont, eux aussi, exprimé leurs réticences. Franceinfo décortique les principales dispositions qui divisent.
La réclusion complète des trafiquants
Ce projet de loi, qui a reçu l’aval unanime au Sénat le 4 février, cherche à étoffer les mesures répressives envers le commerce illégal de drogues, notamment en créant une instance judiciaire dédiée. Le ministre de la Justice a par ailleurs proposé deux amendements, dont l’un qui donnerait au ministère le pouvoir de décider de l’affectation des détenus, en instance de jugement ou condamnés, dans des « zones spécifiques de lutte contre la criminalité organisée ». Le texte pourrait impacter de 600 à 700 prisonniers, selon Gérald Darmanin. Dans ces zones, les visites se feraient derrière une vitre, toutes les unités de vie de famille seraient proscrites, les conversations téléphoniques seraient limitées à deux heures, deux fois par semaine, et des fouilles systématiques après chaque visite deviendraient la norme.
Ce renforcement des conditions de détention a été dénoncé par l’Observatoire International des Prisons (OIP) comme une atteinte aux « droits fondamentaux », début mars. « La logique punitive prime au détriment de la dimension réparatrice de la peine », critique l’OIP. En outre, Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, s’inquiétait le 7 mars sur RTL d’une potentielle « création de troubles psychiatriques » provoquée par l’isolement radical. « Certains prisonniers resteront enfermés indéfiniment, mais d’autres retrouveront leur liberté. (…) Maintenir des personnes dans un isolement total pourrait mener à des désordres mentaux », s’alarmait-elle.
Dans un communiqué daté du 13 mars, le Conseil d’État, consulté par le ministre de la Justice pour un avis, a jugé que la pratique systématique des fouilles corporelles intégrales « ne respecte pas un juste équilibre entre les droits des détenus et la sécurité publique ».
L’extension de la visioconférence pour les incarcérés
Le second amendement avancé par le ministre de la Justice vise l’expansion de l’usage de la visioconférence pour les détenus situés dans ces secteurs à sécurité accrue. Cette stratégie est censée minimiser les risques liés aux transferts de prisonniers dangereux, surtout après l’évasion violente de Mohamed Amra à un péage dans l’Eure.
Néanmoins, cette initiative ne fait pas l’unanimité. L’Union syndicale des magistrats la juge comme une « illusion juridique ». « La visioconférence ne convient pas pour des interrogatoires profonds », note Ludovic Friat, président du syndicat, dans une interview pour Actu-Juridique. Elle serait « pratiquement inutilisable pour la présentation de pièces ou l’écoute d’écoutes téléphoniques » et serait « inadaptée aux confrontations », a-t-il ajouté.
Concernant l’utilisation généralisée de cette technologie, le Conseil d’État propose que celle-ci soit limitée aux détenus dans des quartiers à haute sécurité. Le ministère, qui est d’accord sur ce point, assure que cette approche ne sera pas appliquée lors des jugements au tribunal.
Accès aux messages chiffrés
Les élus ont retiré une disposition qui cherchait à obliger les services de messagerie sécurisée (comme Signal et WhatsApp) à donner accès aux communications des trafiquants aux agences de renseignement. Plus précisément, cette disposition devait autoriser « les services de renseignement à accéder aux messages et données, même chiffrés, échangés sur ces plateformes ».
Cette idée a provoqué une levée de boucliers parmi les acteurs du numérique, les associations de droits civiques et certains députés, qui redoutent un danger pour la vie privée et la cybersécurité. Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée du Numérique, ainsi que Florent Boudié, président de la commission des lois, se sont opposés à cette mesure. « Affecter le chiffrement menacerait non seulement les malfaiteurs, mais aussi nos citoyens, nos entreprises et nos systèmes informatiques face aux cyberattaques », a averti Clara Chappaz.
En revanche, Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, a exhorté l’Assemblée à réintroduire cet article, citant sa nécessité à travers un amendement du gouvernement. Selon elle, « nous restons dans l’ignorance totale concernant le contenu des conversations de nos cibles », qui ont de plus en plus recours à ces services encryptés. Supportant cette position, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a plaidé pour cet article dans une interview accordée au Parisien.
Le « dossier secret » inaccessible aux avocats
Un autre article, qui proposait la création d’un « dossier secret » ou « procès-verbal séparé », a également été rejeté par les parlementaires. Ce dossier aurait permis de collecter des informations obtenues par des méthodes d’investigation spéciales, sans que les avocats des suspects ne puissent y accéder durant les procédures judiciaires. Une suppression demandée par des personnalités telles qu’Éléonore Caroit, députée associée au groupe Ensemble pour la République.
Cependant, cet article fait toujours l’objet d’un amendement gouvernemental pour sa réinsertion, fortement défendu par le ministre de l’Intérieur. « Ce dossier secret, qui est en vigueur depuis 2002 pour le témoignage anonyme, est crucial pour protéger nos enquêteurs et informateurs de ces organisations criminelles », a-t-il insisté dans le Parisien. Quant au Conseil d’État, il ne trouve « aucun obstacle constitutionnel ou légal » à ce mécanisme. Toutefois, il recommande de restreindre son utilisation à des situations spécifiques, par exemple pour prévenir la mise en danger d’autrui.