Le 7 juin 2018, une équipe de production avait décidé de filmer la Camargue depuis les airs en utilisant un ULM. Malheureusement, en passant au-dessus d’une colonie de flamants roses, ils ont causé un mouvement de panique parmi les oiseaux. Effrayés, beaucoup de flamants ont brisé ou déserté plus de 10% de leurs œufs.
Un film sur la protection aviaire provoque polémique
Le cinquième jour de mars, la justice de Nîmes (Gard) s’est penchée sur un dossier controversé lié au long-métrage Donne-moi des ailes, mis en scène par Nicolas Vanier et sorti en salles en octobre 2019. Le tournage qui s’est déroulé en Camargue, durant le mois de juin 2018, a laissé des séquelles sur la faune locale, entraînant la perte d’environ 500 œufs de flamants roses. Cette destruction représente environ 11% de la production annuelle de cette espèce en France. Cette statistique est basée sur les « divers constats » mentionnés dans l’ordonnance de renvoi examinée par 42mag.fr.
Ce film s’inspire de la vie de Christian Moullec, interprété par Jean-Paul Rouve. Moullec est un scientifique français qui a développé une méthode pour aider des oies sauvages menacées d’extinction à adopter des itinéraires de migration plus sûrs en les accompagnant à bord d’un ULM. L’idée était de les habituer à l’homme dès leur naissance, pour qu’il puisse les guider durant leurs vols migratoires. Avec un accueil de 1,5 million de spectateurs, le film a su toucher un large public.
Le recours aux ULM au centre du litige
L’utilisation d’ULM durant le tournage est au cœur du litige juridique : les appareils auraient effrayé les flamants roses au point que leurs œufs soient abandonnés ou détruits les 6 et 7 juin 2018. Dans son ordonnance, la justice souligne des “perturbations prolongées et répétées des oiseaux” en précisant que certaines séquences du film montrent des passages à “basse altitude au-dessus des zones de nidification, poursuivant et effrayant les flamants roses durant de longues minutes”.
La société Radar Films est notamment accusée de « destruction illégale d’œufs ou de nids d’une espèce protégée non domestique”. Quant au réalisateur, il a été interrogé en tant que témoin assisté, de même que d’autres membres de l’équipe de production.
Une période critique pour les flamants roses
Le choix de la période de tournage soulève des questions : le mois de juin est crucial pour les flamants roses, qui se reproduisent autour du Grau-du-Roi, explique Olivier Gourbinot de France Nature Environnement (FNE), qui a porté plainte, épaulée par d’autres associations telles que l’Aspas et la LPO. Selon Gourbinot, l’équipe n’aurait pas dû être autorisée à filmer dans cet “épicentre de biodiversité”, ce qui est contraire aux normes dictées par l’article L411-1 du Code de l’environnement. Le dérangement de la faune est, en effet, particulièrement délicat en période de nidification (de mars à août).
« Le simple fait d’être présent avec des ULM et une équipe de tournage suffit à perturber la faune, ce qui est interdit. »
Olivier Gourbinot, juriste chez France Nature Environnementà 42mag.fr
Cependant, l’équipe avait une autorisation pour filmer sur place et, selon certaines indications, le fait que Nicolas Vanier soit proche de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, pourrait avoir facilité cette approbation.
La LPO, tout en étant partenaire du film et impliquée en tant que partie civile, se montre plus réservée. Selon Allain Bougrain-Dubourg, le tournage pendant la période de reproduction est possible si des distances de sécurité sont respectées. Obtenir des images magnifiques est possible grâce à des focales longues, indique-t-il, mais les survols ne sont jamais acceptables.
Malgré tout, la production s’est entourée d’experts pour minimiser l’impact sur la faune. Ces spécialistes avaient recommandé des zones à éviter, mais ces conseils semblent avoir été ignorés. Olivier Gourbinot mentionne que les ULM ont dès le début brisé les engagements pris, allant filmer loin du site préalablement désigné.
Il avait également été proposé d’envoyer des experts sur le terrain pour garantir la bonne compréhension des recommandations, proposition rejetée par la société de production à cause des coûts élevés. Un motif difficile à défendre selon FNE, compte tenu des 12 millions d’euros de budget alloués à cette production, un montant qui en fait une « grande production » en France.
Les responsabilités en question
Pendant le tournage, Nicolas Vanier était à terre avec les acteurs tandis que deux ULM effectuaient les survols. Chaque appareil avait un pilote, et dans l’un d’eux, le directeur de la photographie était présent. Le réalisateur a déclaré ne pas être derrière ces survols et a, après la médiatisation de l’affaire, exprimé son émotion et sa condamnation “très sévère” des actes accomplis. Il indique que le pilote impliqué était employé par un prestataire externe et immédiatement écarté de la production. “Un itinéraire précis avait été fourni à ce pilote, soulignant clairement les zones à éviter”, déplore-t-il.
En 2019, lors de la promotion du film, Nicolas Vanier s’est à nouveau exprimé sur le sujet dans un entretien avec Geo, attribuant la faute au pilote “qui a survolé une zone strictement interdite” (description à plus de 3 minutes dans la vidéo ci-dessous).
L’enquête préliminaire a révélé que le chef de la société Radar Films a affirmé que le pilote ULM avait agi de son propre chef. D’après le régisseur du tournage, le directeur de vol avait même ordonné à un pilote supplémentaire d’approcher les oiseaux. Ce dernier, ayant été récemment intégré au projet pour remplacer quelqu’un, précise qu’il n’était pas informé des contraintes concernant les zones survolées interdites.
Un directeur de vol évoque une erreur de gestion
Le directeur de vol, mis en cause, a affirmé face à la justice ne pas avoir reçu d’informations quant aux zones à éviter. En outre, contredisant le régisseur, il aurait déclaré avoir opéré à proximité des zones de nidification sur la demande du directeur de photographie, une accusation que ce dernier dément. Selon lui, Nicolas Vanier était également “très content” des prises réalisées. À ses yeux, le réalisateur et la production essaient de l’accuser pour se dédouaner.
France Nature Environnement critique ce qu’elle perçoit comme une démarche de bouc émissaire orchestrée par la production, mettant en avant des déficiences dans la préparation et la communication autour de la protection animale durant le tournage, d’autant plus que les flamants roses n’étaient pas le sujet du film. Sollicitée, la défense de Radar Films n’a pas commenté lors de l’interview par 42mag.fr.