Désireux de continuer sa démarche de normalisation, le Rassemblement national cherche à ne pas se montrer favorable à Moscou ou à l’ancien président américain Trump, tout en maintenant sa posture critique envers l’Union européenne. Cela représente un véritable numéro d’équilibriste, d’autant plus que la cheffe des députés du RN prendra la parole ce lundi à l’Assemblée nationale, à l’occasion du débat sur la situation en Ukraine.
Marine Le Pen sort de son silence. Restée discrète face aux tensions croissantes entre Washington et Kiev, la cheffe des députés du Rassemblement national prendra la parole ce lundi 3 mars à l’Assemblée nationale. Comme les autres représentants politiques, elle interviendra lors du débat sans vote sur « la situation en Ukraine et la sécurité en Europe », prévu à partir de 17 heures. Son discours est très attendu, d’autant plus que son parti, seul en France à relativiser le conflit entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, se trouve dans une position délicate vis-à-vis de l’Ukraine.
Le samedi précédent, lors de sa visite au Salon de l’agriculture, la députée du Pas-de-Calais a regretté « l’absence de voix forte et indépendante que devrait être celle de la France ». L’ancienne candidate à la présidence a également minimisé les intenses discussions entre le président américain et son homologue ukrainien dans le Bureau ovale. « Des frictions entre les dirigeants sont normales, tout comme des échanges passionnés ou des propos durs », a-t-elle déclaré, tout en admettant prudemment que la divulgation de ces discussions a « pu créer des réactions légitimes ».
Le numéro deux du groupe RN au Palais-Bourbon, Jean-Philippe Tanguy, a également relativisé l’incident, en affirmant que Volodymyr Zelensky « n’a pas été rabaissé » par le président américain, dans une interview pour RTL-Le Figaro-M6-Public Sénat. « Aux États-Unis, avoir des échanges francs est une pratique courante, rien d’extraordinaire », a-t-il expliqué.
Une perspective souverainiste et eurosceptique
La position du RN, en décalage avec le reste de la classe politique française, a fait réagir Olivier Faure, le dirigeant du PS. « Seule Marine Le Pen semble trouver cela normal », a-t-il déploré sur 42mag.fr. « C’était un geste visant à humilier Zelensky, à le faire céder, et par extension, à faire plier les Européens. Il y a là matière à une condamnation, que l’extrême droite n’a pas faite », a-t-il ajouté.
Le Rassemblement national a cependant plus clairement rejeté l’idée d’une dissuasion nucléaire européenne, une proposition sur laquelle Emmanuel Macron est prêt à « ouvrir le dialogue ». « La dissuasion nucléaire française doit rester propre à notre pays (…) elle ne doit pas être partagée, encore moins déléguée », a déclaré Marine Le Pen. Transmettre le « bouton nucléaire à d’autres États européens » serait une « trahison de notre nation », a soutenu Jordan Bardella sur RTL.
Sur X, Marine Le Pen a aussi critiqué la « Commission européenne [qui] outrepasse ses attributions » alors que sa présidente, Ursula von der Leyen, plaide pour un réarmement à l’échelle européenne. Cette opposition n’est pas surprenante, au vu du programme du RN, qui refuse toute avancée vers un fédéralisme européen et défend la souveraineté des États membres, y compris en matière de défense.
Ces déclarations surgissent après un temps de relative inactivité du RN, pointé du doigt par l’Élysée. « Madame Le Pen n’est pas crédible », a jugé Emmanuel Macron dans les colonnes du Figaro. « Sinon, elle ou monsieur Bardella auraient participé à la rencontre au format Saint-Denis que j’ai organisée récemment avec les autres partis. L’un était à Washington découvrant les gestes nazis de monsieur Steve Bannon. Quant à madame Le Pen, il semble qu’elle était en vacances… » Louis Aliot, numéro deux du parti, a assisté à cette réunion. À Washington, Jordan Bardella a dû annuler précipitamment sa participation à une convention républicaine.
Marine Le Pen, « proche de ceux qui s’attaquent à l’Ukraine »
Au sujet du dossier ukrainien et de sa relation avec l’administration Trump, le RN navigue en eaux troubles. Pour ne pas être perçu comme trop pro-Kremlin, Marine Le Pen a remboursé en avance un emprunt de six millions d’euros contracté auprès d’une banque russe en septembre 2023. Cependant, lors des élections législatives anticipées de juillet, le parti a reçu un soutien embarrassant du ministère russe des Affaires étrangères. De plus, des investigations menées par le Washington Post et Mediapart ont révélé des liens entre la Russie et d’anciens membres du parti.
Le RN a également une attitude ambivalente vis-à-vis de Donald Trump. Après avoir salué la victoire du candidat républicain en 2016, le parti a prôné la prudence en novembre face aux menaces de l’administration américaine d’augmenter les taxes sur les produits européens.
Les faibles réactions du RN à l’altercation entre les États-Unis et l’Ukraine ravivent les critiques de complicité avec la Russie. Les propos de Marine Le Pen ont été perçus comme des « éléments de langage dictés par Moscou » par Renaissance, le parti présidentiel. « Marine Le Pen est à la fois alignée avec Donald Trump et Vladimir Poutine. Je comprends qu’elle se réjouisse de la situation actuelle », a commenté François Hollande sur France Inter. « Ce sont ses deux mentors, en quelque sorte, qui dialoguent », a poursuivi l’ancien président, soulignant la nécessité d’une « réaction politique pour barrer la route » à Marine Le Pen en 2027, « l’alliée des deux dirigeants qui sont déterminés à disloquer l’Ukraine ».
Un événement des « fondations patriotes » reporté
La ligne politique du RN devrait faire débat à l’Assemblée nationale lors de la discussion sur le conflit ukrainien ce lundi après-midi. Cette position s’aligne pourtant sur les attentes de ses partisans. Bien que deux tiers des Français pensent que les pays européens devraient continuer à soutenir l’Ukraine, même si un accord entre Washington et Moscou ne satisfait pas Kiev, seulement un sympathisant RN sur deux partage cet avis, selon un sondage Ipsos. C’est aussi l’électorat le moins favorable à l’envoi de troupes européennes en Ukraine.
En signe de difficulté pour le parti, une conférence sur « l’avenir [de] l’Europe face à l’Amérique de Trump », qui devait réunir des eurodéputés et des représentants de « fondations patriotes » américaines et européennes sous la supervision de Jordan Bardella à Paris, a été discrètement ajournée sine die. « Pour garantir des débats éclairés et pertinents, nous préférons repousser l’événement jusqu’à ce que la situation soit plus claire », explique-t-on au sein du RN.