Un yacht de luxe, appartenant à un individu biélorusse soupçonné d’avoir accumulé sa richesse grâce au commerce illégal de drogues et d’armes, est sur le point d’être mis en vente par les autorités judiciaires. Cette démarche vise à montrer l’engagement des forces de l’ordre dans la bataille contre la criminalité organisée.
Il s’agit de l’une des saisies les plus significatives par la justice en France. Le navire de luxe appelé Stefania, évalué à 20 millions d’euros, sera mis aux enchères le jeudi 27 mars. Les fonds récoltés seront reversés à l’État, et ce, avant même que son ancien propriétaire ne fasse face à la justice dans une affaire de blanchiment d’argent à l’échelle internationale. 42mag.fr vous offre une visite de ce bateau somptueux aux allures démesurées.
Pour monter à bord de ce yacht de 41 mètres, actuellement à sec près de Marseille, il est nécessaire de retirer ses chaussures. Sa coque unique arbore une teinte dorée-champagne, et il est capable de parcourir l’Atlantique. Pour ceux intéressés, le Stefania est disponible à la location pour 200,000 euros par semaine. À l’intérieur, on découvre deux jacuzzis, cinq cabines avec salles de bain privées et une multitude de téléviseurs. Le capitaine, Quentin, a cessé de les compter. « Chaque élément provient de grandes marques de luxe, avec des finitions en argent, en nacre, et en marbre. Tant de détails sont dorés, il y a même une cheminée. Tout est opulent, exubérant, mais en accord avec les goûts du propriétaire. »
Réservé à la vente entre « 10 et 12 millions d’euros »
Le précédent propriétaire, originaire du Bélarus, est soupçonné, d’après les enquêteurs, d’avoir amassé sa fortune à travers le commerce illégal de drogues et d’armes. Alors qu’ils examinaient ses biens sur la Côte d’Azur, les gendarmes de la section de recherche de Marseille ont découvert ce yacht. Emmanuelle Votat, commissaire-priseur pour la maison de vente De Baecque et associés, a préparé la mise en vente de ce bateau suite à sa saisie en octobre 2023.
« C’est un bateau qui se distingue par une allure assez audacieuse. Nous le proposons à un prix estimé entre 10 et 12 millions d’euros, mais il faut prendre en compte qu’il s’agit ici d’une saisie », précise Emmanuelle Votat. L’histoire lourde qui accompagne ce yacht pourrait néanmoins faire hésiter certains acquéreurs potentiels.
« À l’origine, c’était une saisie conjointe entre la France et l’Italie, car le bateau recherchait à échapper aux autorités ; il a été saisi en Italie, à Gênes, ce qui a impliqué la gestion de ce bien depuis ce moment-là », ajoute la commissaire-priseur. Cela comprend la mise en place d’un équipage, l’obtention d’une place en port, l’entretien du yacht ainsi que certaines réparations que l’État a dû financer. « Si aucun entretien n’avait été réalisé, le yacht aurait perdu sa certification, et sans cela, il n’aurait ni assurance ni immatriculation, diminuant considérablement sa valeur. »
« Le but est de faire en sorte que la valeur totale du Stefania soit utilisée pour remplir les caisses de l’État. »
Emmanuelle Votat, commissaire-priseurà 42mag.fr
La commissaire-priseur mentionne également le cas d’un autre navire de luxe, saisi par la justice britannique mais abandonné, devenu ainsi invendable. Par opposition, le Stefania est considéré comme un modèle d’efficacité. « Cette saisie montre que nous avons les capacités de prendre des biens de ce type. Il faut collaborer avec les magistrats, les enquêteurs pour que leur appréhension à aborder de telles saisies disparaisse. Désormais, nous savons comment procéder, et cette vente deviendra un puissant symbole de notre lutte contre la criminalité. »
Les investisseurs intéressés doivent soumettre un dossier ainsi qu’une caution de 500,000 euros pour participer à l’enchère. Comme expliqué par Vanessa Perrée, directrice générale de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), les recettes de la vente iront intégralement au budget de l’État. « Cela signifie que ces fonds peuvent être utilisés par le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, ou pour financer des hôpitaux et des enseignants. »

Une vente rendue possible par la « présomption de blanchiment »
La vente du yacht se tiendra avant le jugement de son ancien propriétaire. La législation française autorise cette rapidité puisqu’elle ne requiert pas la démonstration que le navire a été acquis grâce à des activités illégales, ce qui serait souvent complexe à prouver. Dans ce cas, le propriétaire est incapable de justifier l’origine de ses fonds, ce qui conduit la justice à présumer un blanchiment d’argent. Selon Jean Moineville, secrétaire général du parquet de Marseille, cette « présomption de blanchiment » est un atout important : « C’est un mécanisme juridique envié même au-delà de nos frontières car il est d’une efficacité redoutable. »
Confisquer les gains avant le procès ou les peines de prison éventuelles constitue une stratégie pour toucher les criminels où cela fait le plus mal, à savoir leur portefeuille, explique Olivier Leurent, président du tribunal de Marseille.
« En confisquant et revendant les biens acquis par le crime, nous offrons une réponse pénale bien plus redoutable que l’emprisonnement, même si parfois la détention demeure indispensable. »
Olivier Leurent, président du tribunal de Marseilleà 42mag.fr
« L’argent reste l’élément central pour un délinquant. L’incarcération est perçue comme un risque de métier. Ils savent qu’ils y seront confrontés un jour, souvent pas pour très longtemps. En revanche, ce qui leur importe le plus, c’est ce que leur a apporté l’argent de leurs méfaits. »
Souvent, les trafiquants multiplient les recours juridiques pour tenter de retrouver leurs biens, comme ce fut le cas de l’ancien détenteur du Stefania, qui est allé jusqu’en Cassation pour s’opposer, en vain, à la confiscation du yacht. Ce dernier reste présumé innocent en attendant son procès.