Le chef du gouvernement a tout d’abord rejeté l’idée d’avoir eu un rendez-vous avec le magistrat en charge de l’investigation concernant les abus sexuels sur des enfants dans l’établissement catholique privé de Notre-Dame de Bétharram. Cependant, il a ensuite admis avoir eu une conversation non formelle. Jeudi, Hélène Perlant, sa fille, a validé l’existence de cet échange entre son père et le juge, remettant en question la version initiale défendue par le Premier ministre.
Dans l’affaire de Bétharram, François Bayrou se retrouve une nouvelle fois sous les projecteurs. Hélène Perlant, l’aînée des enfants du Premier ministre, a déclaré jeudi dernier sur Mediapart que son père avait effectivement rencontré le juge en charge de l’enquête sur une affaire de viol à Notre-Dame de Bétharram, située dans les Pyrénées-Atlantiques. Initialement, le chef du gouvernement avait nié cet échange avant de reconnaitre, en février, avoir eu une conversation informelle avec ce magistrat. Le vendredi 25 avril, 42mag.fr a contacté son entourage, qui maintient la même version et dément toute participation de François Bayrou dans cette enquête.
Environ 200 plaintes ont été déposées par d’anciens élèves contre cette institution scolaire catholique pour abus physiques et sexuels. Beaucoup s’interrogent sur ce que François Bayrou, alors député local, ministre de l’Éducation et parent d’élèves, savait vraiment. C’est dans ce contexte que la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le milieu éducatif a convoqué François Bayrou pour un entretien le 14 mai à 17 heures. Cette rencontre entre François Bayrou et Christian Mirande, le juge chargé de l’affaire Bétharram, intéresse particulièrement les parlementaires. Franceinfo examine les différentes versions concernant cet échange.
Le point de vue de Christian Mirande
L’ancien directeur de l’établissement, le père Carricart, a été inculpé pour viols sur mineurs et mis en détention provisoire en mai 1998. À cette époque, Christian Mirande dirige l’instruction du dossier. Il affirme que François Bayrou l’a sollicité. Dans un témoignage donné au Monde en mars 2024, il raconte que François Bayrou, alors député UDF des Pyrénées-Atlantiques, était venu discuter longuement de l’affaire avec lui au début de la procédure, demeurant sceptique quant au comportement déviant supposé de Carricart.
Moins d’un an après, Christian Mirande réitère son témoignage assurant qu’une rencontre a bien eu lieu. « Je me rappelle qu’il m’avait parlé de son fils, élève à l’école, et qu’il était soucieux des évènements à Notre-Dame de Bétharram », explique-t-il lors d’une interview à Mediapart, publiée le 12 février. « Nous avions discuté du père Carricart. François Bayrou semblait incrédule quant aux accusations portées, mais je lui avais confirmé la véracité des faits », ajoute Christian Mirande, se questionnant si François Bayrou a oublié cet entretien ou s’il déforme la vérité.
Le témoignage d’Alain Hontangs, gendarme lors de l’enquête
Dans l’émission « Sept à huit » diffusée le dimanche 16 février sur TF1, Alain Hontangs, le gendarme responsable de l’enquête concernant le père Carricart, a évoqué une « intervention » présumée de François Bayrou, à l’époque président du conseil général du département, auprès du procureur général de Pau. Il affirme que lors de la présentation de Carricart pour sa mise en examen le 26 mai 1998, Christian Mirande lui aurait dit : « Il y a un problème, la présentation du père Carricart sera retardée. Le procureur général souhaite consulter le dossier, car monsieur Bayrou est intervenu. »
Ce récit, Hontangs l’a confirmé sous serment le 10 avril devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire. « Cette information m’avait étonné », a-t-il précisé aux députés. De surcroît, il a mentionné qu’un autre gendarme était au courant d’une intervention de François Bayrou auprès du juge d’instruction. « Robert Matrassou, également adjudant-chef à la section de recherches de Pau, m’avait contacté pour me dire : ‘J’étais informé ; monsieur Mirande m’en avait parlé’. »
Le juge Mirande dit n’avoir aucun souvenir d’une telle demande de la part de François Bayrou. Lors de son audition par la même commission parlementaire, il confirme que la présentation de Carricart avait été ajournée car le procureur général voulait examiner le dossier mais déclare : « Si j’ai décrit à Hontangs une intervention de Bayrou, cela doit être une erreur de ma part, je n’en garde aucune mémoire. »
Le témoignage d’Hélène Perlant, la fille aînée de François Bayrou
Hélène Perlant, ancienne élève à Notre-Dame de Bétharram et victime de violences physiques, affirme que son père a bien rencontré Christian Mirande après l’arrestation du père Carricart en mai 1998. « Il ne s’en souvient peut-être pas, mais j’étais avec lui le soir où il revenait de son rendez-vous avec le juge Mirande. Il m’a confié, à condition de garder le secret, qu’il avait donné sa parole de ne pas divulguer les éléments de l’enquête », a-t-elle raconté dans une émission de Mediapart. « Donc votre père a confirmé cet entretien avec le juge ? », questionne le journaliste Mathieu Magnaudeix de Mediapart. « Il a promis au juge Mirande de ne pas divulguer le secret de l’instruction », répond Hélène Perlant.
Les déclarations de François Bayrou
Au départ, François Bayrou a nié toute interaction avec le juge Christian Mirande. Interrogé par Le Monde en mars 2024, il avait soutenu n’avoir jamais rencontré le juge et avait ajouté : « Je n’étais au courant de rien concernant cette affaire à ce moment-là, les accusations de viol ne m’ont jamais été rapportées. »
Cependant, après de nombreuses interrogations, notamment celles des députés de l’opposition, François Bayrou a fini par reconnaître une rencontre fortuite avec Christian Mirande, qui résidait comme lui à Bordères, près de Pau. Rencontre au cours de laquelle ils auraient eu une discussion informelle sur l’affaire du père Carricart. « C’est mon voisin depuis cinquante ans dans mon village. Notre relation remonte bien avant qu’il devienne magistrat. Avons-nous discuté de cette affaire ? Sûrement, oui », a-t-il concédé le 18 février devant l’Assemblée nationale. « Christian Mirande est un magistrat d’une intégrité totale, il n’a jamais partagé des détails du dossier : nous avons peut-être échangé sur le climat ou l’établissement, mais jamais sur les détails du dossier. »
Contacté par 42mag.fr, l’entourage du Premier ministre confirme qu’une rencontre a bien eu lieu entre François Bayrou et Christian Mirande. S’il avait nié ce fait en 2024, c’était, selon eux, car les faits remontaient à longtemps. Le témoignage de sa fille sur Mediapart « clarifie cette rencontre qui a eu lieu après la mise en détention du père Carricart et alors que la presse locale en parlait », selon cette même source. Cela démontre « qu’il n’y a pas eu d’intervention de François Bayrou ni de violation du secret de l’instruction puisque l’affaire était déjà publique ». Pourtant, Hélène Perlant rapporte que son père avait promis au juge de respecter le secret de l’instruction et avait évoqué le cas de Carricart lors d’une conversation privée en affirmant : « Il est en prison, qu’il y reste. » « Cela montre que François Bayrou n’a pas eu la moindre complaisance envers Carricart, contrairement à ce que certains prétendent », insiste son entourage, continuant de nier toute ingérence dans cette affaire.
Pour le député Paul Vannier (LFI), co rapporteur du comité d’enquête parlementaire né du scandale, les déclarations d’Hélène Perlant « contredisent totalement la version de François Bayrou ». « En 1998, il est allé s’informer chez le juge Mirande à propos du père Carricart, tout en ayant conscience de violer le secret de l’instruction », a-t-il affirmé vendredi sur 42mag.fr.