Dans son ouvrage intitulé « Le silence de Bétharram », Hélène Perlant confie avoir subi des agressions durant son adolescence, survenues lors d’un camp d’été mis en place par la congrégation associée à l’institution catholique privée. Hélène précise qu’elle n’a jamais parlé de ces incidents à son père, qui à l’époque occupait le poste de ministre de l’Éducation et dont la comparution était prévue le 14 mai devant la commission parlementaire d’enquête.
Le témoignage poignant de sa fille a poussé François Bayrou, le 23 avril, à faire preuve d’une transparence sans précédent. Cette démarche s’est avérée à la fois émotionnellement éprouvante pour le père et politiquement complexe pour le dirigeant. Dans nos sociétés modernes, la clarté et l’honnêteté sont devenues des attentes essentielles en politique. Les citoyens ne réclament pas seulement des dirigeants efficaces et compétents, mais ils aspirent aussi à les voir agir avec intégrité et, autant que possible, être au-dessus de tout reproche.
Cette exigence croissante de probité a progressivement estompé la distinction entre le domaine public de l’engagement politique et la sphère privée. Parfois, les responsables politiques eux-mêmes brouillent cette ligne en exposant leur vie de famille à travers les médias pour servir leur carrière. Cependant, il arrive aussi qu’ils subissent les conséquences imprévues de cette intrusion de leur vie privée dans la sphère publique.
La demande de transparence qui pèse sur eux peut transformer leur rapport avec le public, et influencer leur manière de gouverner. On se souvient du mandat de François Hollande, marqué par la révélation de sa liaison avec Julie Gayet, désormais son épouse. En ce qui concerne François Bayrou, son séjour en tant que Premier ministre a été brutalement secoué par le témoignage de sa fille aînée. Cette révélation de violences subies durant son adolescence a obligé Bayrou à « laisser tomber les barrières« , pour reprendre l’expression célèbre de Lionel Jospin.
Le rôle du chef du gouvernement dans la santé sociale
Depuis la révélation entourant Notre-Dame-de-Bétharram, il s’est montré parfois désordonné et imprévisible, ce qui a renforcé les soupçons qu’il cachait des informations. Sa fille atteste n’avoir jamais évoqué les abus qu’elle a endurés, confirmant ainsi la version de François Bayrou. Comment aurait-il pu discerner la gravité des abus perpétrés au sein de l’institution alors même qu’il ignorait que sa propre fille en avait souffert ?
C’est avant tout une épreuve personnelle. Le « chef de famille » porte le fardeau de révélations qui lui « transpercent le cœur » et du silence persistant de près de quatre décennies, qu’il juge « presque intolérable« . Mais cette épreuve est aussi politique. François Bayrou se dit « habité » par le silence prolongé des nombreuses victimes de Bétharram. Ce mutisme devra être rompu lorsqu’il sera entendu le 14 mai par une commission parlementaire, où plusieurs témoignages sous serment l’ont impliqué.
Est-il blâmable de n’avoir rien perçu, su, compris ou deviné ? Non. Les spécialistes de la santé mentale expliquent souvent aux parents, découvrant tardivement les traumatismes de leurs enfants, qu’ils ne doivent pas se sentir coupables. Cela dit, un Premier ministre demeure, par définition, investi d’une responsabilité vis-à-vis de la santé sociale de sa nation. Il lui incombe donc de trouver les moyens nécessaires pour briser cette loi du silence collective, qui devient parfois systémique.