En avril, le procureur de Bayonne a initié un projet expérimental dont l’objectif est de sanctionner les usagers et de collecter davantage de renseignements concernant les réseaux de trafiquants.
« Cibler ce qui fait le plus mal [en prenant] ces téléphones mobiles. » Le procureur de Bayonne, Jérôme Bourrier, s’est exprimé aux micros de « ici Pays Basque » pour expliquer une nouvelle stratégie judiciaire mise en place depuis avril contre les consommateurs de stupéfiants. Cette approche consiste à saisir les téléphones mobiles dès qu’ils sont utilisés pour organiser des transactions avec un dealer. Imprégné par cette innovation, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a déclaré jeudi 24 avril sur 42mag.fr son intention de répandre cette initiative locale sur l’ensemble du territoire.
Alors que le pays a vu les saisies de cocaïne décupler en deux ans, la lutte contre le trafic de stupéfiants est devenue une priorité de la politique pénale actuelle. À une époque où les réseaux numériques remplacent les méthodes traditionnelles et où les amendes perdent en efficacité dissuasive, cette nouvelle stratégie vise à toucher les consommateurs les plus difficiles à atteindre par le biais de la confiscation d’un élément essentiel de leurs activités illicites : leur téléphone portable.
Démanteler « des supermarchés de drogue avec un service de livraison »
« Nous vivons une période unique en termes de menaces », alertait en mars Dimitri Zoulas, responsable de l’Office anti-stupéfiants, sur 42mag.fr, soulignant qu’avec « Internet, tout le monde peut accéder à la vente au détail ». Cette observation est partagée par le procureur de Bayonne, qui a confié à Sud Ouest que « l’utilisation de messageries cryptées permet de construire des supermarchés de la drogue avec livraison à domicile ». Il a ajouté que ces méthodes sont « bien plus furtives qu’un point de vente dans la rue ».
Face à ces évolutions, Jérôme Bourrier préconise une réponse judiciaire plus agressive, afin de démanteler une économie clandestine qui s’épanouit grâce aux messages chiffrés et aux livraisons rapides. Ces réseaux ont remplacé les guetteurs de rues par des dealers engagés via des applications comme Snapchat ou Telegram, utilisées pour des schémas appelés « Uber shit » ou « Uber coke ». Ces évolutions exigent une réaction forte, affirme le magistrat. « Il n’y a pas d’offre sans demande et il est crucial de s’attaquer plus rigoureusement au problème de la consommation, en augmentant la répression », a-t-il déclaré jeudi sur RMC.
Une approche ciblant les publics difficiles à atteindre
Cette nouvelle stratégie vise notamment les individus insensibles aux mesures conventionnelles : mineurs, jeunes adultes, personnes en situation irrégulière et récidivistes. Pour ces groupes, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros n’a que peu d’effet. « Le taux de perception n’est que de 30% environ », a déploré Jérôme Bourrier sur « ici Pays Basque ». En d’autres termes, dans plus de deux cas sur trois, l’AFD, élargie à l’usage des stupéfiants en septembre 2020 pour pénaliser la possession de petites quantités de drogue (jusqu’à 30 grammes de cannabis ou 5 grammes de cocaïne), n’est pas payée.
Pour remédier à cette inefficacité, la saisie des téléphones portables est envisagée comme un outil à la fois dissuasif et pratique. « Cela montre au consommateur que mépriser la loi a un coût : celui de leur téléphone embarqué », a expliqué Olivier Calia, commissaire principal des forces de police de la Côte basque, dans les pages de Sud Ouest. Il admire une « réplique immédiate », particulièrement adaptée pour « les populations qui ne sont pas touchées par l’amende forfaitaire délictuelle ».
Mais l’intérêt réside également sur le plan opérationnel. Chaque téléphone saisi pourrait devenir un point d’accès vers les réseaux de trafiquants. « Le téléphone portable est une source d’informations concernant le mode opératoire des transactions via les réseaux sociaux », a indiqué Guillaume Favard, commandant de la gendarmerie de Bayonne, au micro d' »ici Pays Basque ».
Une « sanction immédiate » applicable dès l’arrestation
Concrètement, la saisie des téléphones sera exécutée sur ordre du parquet, lorsqu’une transaction a été réalisée à l’aide du téléphone du consommateur. « Soit dans le cadre d’une mesure alternative [aux poursuites], soit dans le cadre d’une ordonnance pénale délictuelle ou d’un jugement devant la juridiction », a précisé Jérôme Bourrier.
Pris en flagrant délit, l’individu sera emmené au poste de police ou dans une brigade, interrogé, et son téléphone confisqué s’il est prouvé qu’il a servi à faciliter l’échange. « C’est une sanction immédiate », insiste le procureur au micro d' »ici Pays Basque ». « Réduire le nombre de consommateurs est également essentiel dans cette bataille », appuie Olivier Calia, chef de la police nationale au Pays basque, lors de son entretien avec Sud Ouest.
Ce dispositif s’inscrit dans une stratégie plus vaste de saisies ciblées. Cette réactivité a notamment séduit le ministre de la Justice, qui s’est exprimé jeudi sur 42mag.fr, considérant que « la saisie d’argent, de voitures, de téléphones, de vos biens est parfois plus dissuasive qu’une démarche judiciaire ».