Une parlementaire affiliée au Rassemblement national a reçu une sanction l’empêchant de se présenter à des élections pour une durée de cinq ans, sanction qui prend effet sans délai. Si ce jugement devient définitif, son parcours vers une éventuelle candidature à la présidence de la République s’annonce très compromis, voire impossible.
« Nous n’avons pas encore décidé de notre plan d’action »
Dans un café situé à proximité de l’Assemblée, un membre influent du Rassemblement national exprimait, il y a une semaine, sa confiance à l’approche du verdict concernant l’affaire des assistants parlementaires du FN. Comme beaucoup de ses collègues, il ne croyait pas à une éventuelle condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics, impliquant une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire. Cependant, c’est précisément ce que le parquet avait sollicité contre les 25 accusés, notamment l’ancienne dirigeante du parti d’extrême droite.
Le Rassemblement national se retrouve face à un scénario catastrophe. Le lundi 31 mars, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé une peine d’inéligibilité de cinq ans avec effet immédiat à l’encontre de Marine Le Pen, ainsi qu’une peine d’emprisonnement de quatre ans, dont deux fermes, aménagée sous forme de bracelet électronique. En conséquence, la députée du Pas-de-Calais ne sera pas incarcérée, mais ne pourra pas non plus se présenter à l’élection présidentielle de 2027, en attendant l’appel aussitôt formulé par son avocat.
Particulièrement irritée, Marine Le Pen a quitté la salle sans attendre d’entendre les peines individuelles détaillées. Sur TF1, lundi soir, elle a dénoncé une décision motivée par des considérations politiques et a qualifié ce jour de « funeste pour notre démocratie, » réclamant un traitement rapide de l’appel par la justice. « Ce n’est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée aujourd’hui, c’est la démocratie française qui en paie le prix, » a déclaré Jordan Bardella plus tôt sur le réseau social X. Le président du RN a également appelé à une mobilisation citoyenne pacifique et a lancé une pétition contre « la dictature des juges. »
« Un séisme politique majeur »
Les conséquences de ce verdict se révèlent considérables sur le plan politique, avec un bouleversement possible des équilibres établis. « Cela va redessiner le paysage politique des prochaines années, bien qu’il soit encore trop tôt pour en évaluer toutes les conséquences, » avertit un conseiller ministériel. « Ce jugement est un véritable tremblement de terre politique. Les dynamiques pour 2027 sont complètement transformées, » explique le politologue Benjamin Morel.
Marine Le Pen, candidate ayant accédé au second tour des présidentielles en 2017 et en 2022, dirige actuellement le plus grand groupe parlementaire à l’Assemblée. Elle était en tête des sondages pour 2027, selon une étude publiée la veille du jugement par Le Journal du dimanche et réalisée par l’Ifop, la plaçant en tête au premier tour avec 34 à 37% des voix, selon les différents opposants.
Le Rassemblement national, habitué à présenter un membre de la famille Le Pen à l’élection présidentielle, pourrait perdre son pilier principal si le jugement est confirmé en appel. « Marine ne nous a jamais parlé du procès. Elle n’entre jamais dans ce genre de projections, » expliquait un député influent du RN avant le verdict. « Elle répète souvent : l’artichaut se mange feuille par feuille. Il ne sert à rien de planifier des scénarios irréalistes. »
« Marine Le Pen rassemble davantage »
Le parti d’extrême droite doit donc se préparer sans délai, sans attendre l’issue de l’appel, à donner de la consistance à l’alternative incarnée par Jordan Bardella. Successeur de Marine Le Pen à la tête du RN depuis 2022, Bardella était plutôt pressenti pour occuper Matignon. « Il a déjà été testé et atteint un niveau proche de celui de Marine Le Pen, » affirme Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. « Elle est plus populaire dans l’électorat traditionnel du RN, tandis qu’il séduit davantage à droite, notamment chez LR et chez les jeunes. » Toutefois, poursuit le sondeur, « l’éventualité d’une candidature de Bardella est loin d’être acquise, car personne ne s’attendait à ce qu’il devienne candidat. » Il note également que Bardella a bien réussi lors des européennes, mais a rencontré des difficultés durant la campagne pour les législatives anticipées.
« Il est prématuré de savoir si le ‘plan Bardella’ sera un atout pour le RN, en raison de sa jeunesse et de son éloignement du nom Le Pen, ou si ce sera plutôt un handicap lié à son manque d’expérience, » déclare Mathieu Gallard de l’institut Ipsos.
Marine Le Pen a assuré qu' »il représente un énorme atout pour le mouvement » sur TF1. Elle a ajouté : « J’espère que nous n’aurons pas à utiliser cet atout plus tôt que prévu. » Dans les coulisses, certaines figures clés du Rassemblement national doutent encore de la capacité de leur jeune leader. « Marine Le Pen a un plus grand pouvoir de rassemblement. Bardella est destiné à diriger la majorité, » glisse un stratège du parti. Benjamin Morel affirme : « La solution Bardella est superficielle. Il n’a pas l’envergure nécessaire et manque de crédibilité. La meilleure option serait de former un binôme avec Bardella candidat et Marine Le Pen comme Première ministre. »
« La lutte contre l’extrême droite continue »
Un proche de François Bayrou se moque de cette alliance en la comparant à « un ticket Medvedev-Poutine, » mais s’inquiète surtout de la réaction des électeurs lepénistes. « Le sujet du RN était incarné par Marine Le Pen, mais il dépasse l’individu avec ses 11 millions d’électeurs. Je crains que la base des sympathisants s’accroisse en réaction à ce verdict. Ils risquent de percevoir cela comme un déni de démocratie. » C’est actuellement l’argument utilisé par le parti d’extrême droite.
Qui pourrait en tirer avantage ? « L’électorat de Marine Le Pen dépasse celui de Bardella et pourrait être démobilisé, choisir l’abstention, ou au contraire, un vote de protestation qui profiterait à des candidats à la Trump, » selon Benjamin Morel. « Cette situation soulève aussi la question d’une éventuelle union à droite et à l’extrême droite. »
« Les bénéficiaires potentiels de cette décision pourraient être Éric Zemmour et Bruno Retailleau, » prédit Benjamin Morel.
Le médiatique ministre de l’Intérieur, dont la position ferme sur l’immigration représente une valeur refuge pour l’électorat mariniste, pourrait également tirer profit de cette situation. « Il se pourrait qu’un boulevard s’ouvre pour lui, » craint un député de la majorité présidentielle.
Néanmoins, tous s’accordent à dire qu’il est bien trop tôt pour tirer des conclusions définitives de cette journée du 31 mars. D’abord parce qu’il faut attendre l’appel. « Je suis déterminée, je ne vais pas me laisser faire aussi facilement. Un chemin existe, même étroit, » a déclaré Marine Le Pen sur TF1. Au sein du bloc central, peu de gens considèrent sérieusement la possibilité d’une absence de Marine Le Pen en 2027. À gauche, on affirme que ce jugement n’aura pas d’incidence importante. « Cela ne change rien pour nous, » déclare Thomas Portes, député insoumis. « Le Pen, Bardella, ou un autre, cela nous indiffère. La lutte contre l’extrême droite, le racisme et ses idées est plus grande que les individus. » Le député écologiste Benjamin Lucas ajoute : « Cela ne change rien à la nature du combat politique que nous menons contre le projet de l’extrême droite. »
« Bien sûr, le scénario que nous écrivions depuis des mois doit être revu, » affirme Benjamin Lucas. « Mais notre défi reste inchangé : nous unir, convaincre, et être l’alternative. »
Avant même 2027, le jugement rendu par le tribunal de Paris pourrait avoir des conséquences politiques, surtout dans un contexte où aucune majorité n’émerge nettement. Marine Le Pen, qui ne peut pas perdre son mandat de députée, prendra-t-elle le risque de provoquer une dissolution si elle ne peut plus se présenter aux élections législatives ? Soutiendra-t-elle plus rapidement une motion de censure contre le gouvernement Bayrou ? « Si l’exécution provisoire est mise en œuvre, cela ne devrait pas influencer la décision sur la censure, car cela supposerait qu’elle défend ses intérêts personnels, » prévenait un de ses proches il y a quelque temps. Quoiqu’il en soit, les choix tactiques du RN seront désormais scrutés à travers le prisme de ce bouleversement judiciaire.