Lundi, les trois juges ont détaillé leur décision en rédigeant un document de 152 pages, dont certaines sections ont été présentées lors de l’audience par la présidente, Brigitte de Perthuis.
Depuis plus de 24 heures, les membres du Rassemblement national (RN) avec le soutien de plusieurs figures de Les Républicains (LR), dénoncent vigoureusement la condamnation infligée à Marine Le Pen dans le dossier des assistants parlementaires européens de leur parti. Le 31 mars, la dirigeante des députés RN a écopé d’une peine pour détournement de fonds publics de quatre ans de prison, dont deux ans ferme qu’elle peut aménager, en plus d’une amende de 100 000 euros, et d’une inéligibilité de cinq ans appliquée immédiatement, ce point particulier faisant largement débat.
Marine Le Pen, qui a déjà concouru trois fois à l’élection présidentielle, a qualifié cette sentence de « décision politique » visant à l’empêcher de prendre les rênes de l’État. Les trois juges de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris ont justifié leur jugement avec 152 pages d’arguments. Les éléments clés ont été dévoilés par la présidente, Brigitte de Perthuis, lors de l’audience.
Le détournement du budget du Parlement européen au profit du RN établi
Les juges ont conclu que « environ 2,9 millions d’euros de fonds publics européens ont été détournés » par le FN sur une période de onze ans, allant de 2004 à 2016. Les sommes avaient été utilisées pour salarier des assistants parlementaires d’eurodéputés, mais ceux-ci travaillaient en réalité pour le parti nationaliste.
« Le sujet n’est pas de juger l’exercice politique, mais de déterminer si les contrats envisagés ont été exécutés », a précisé Brigitte de Perthuis en lisant les motivations. Le tribunal a conclu que « ces contrats n’avaient pas de légitimité en termes de besoin d’assistance parlementaire, et n’avaient aucun objet véritable », a-t-elle déclaré.
Elle a ajouté, par exemple, que certains assistants parlementaires n’avaient reçu aucune mission de leurs députés, ou travaillaient pour le parti comme l’a fait Yann Le Pen, ou bien, comme Catherine Griset, se trouvaient à Bruxelles selon leur contrat mais agissaient en tant que secrétaire de Marine Le Pen à plein temps.
« Ce sont manifestement des contrats fictifs. »
Le tribunal correctionnel de Parisselon son jugement
En conséquence, le tribunal a reconnu neuf députés européens coupables de détournement de fonds publics, et douze assistants parlementaires de complicité dans ce détournement.
La mise en place d’un système sous la direction de Marine Le Pen
Les juges ont également affirmé que « l’existence d’un système est incontestable ». Selon eux, il s’agissait « de méthodes organisées » visant à permettre au Front national de réaliser « des économies substantielles ». Cette organisation reposait sur une gestion « collective, centralisée et optimisée », visant à utiliser pleinement « le budget alloué à chaque député pour des frais d’assistance parlementaire ».
Avec autorité, Marine Le Pen aurait été impliquée dans ce système depuis 2009, participant au système créé par son père depuis 2004, a expliqué la présidente. Elle est considérée comme « l’auteur principal » pour les assistants qu’elle a employés personnellement et comme complice depuis 2011 en sa qualité de présidente du parti, assurant la protection « des détournements réalisés par d’autres députés européens ».
Néanmoins, rien ne prouve que Marine Le Pen ou ses coaccusés ont tiré un « profit personnel » de ce mécanisme. Cependant, ce dernier a occasionné un enrichissement du FN, créant ainsi une « inégalité et avantageant leurs candidats et leur parti au détriment des autres ».
Les prévenus n’ont « manifesté aucun désir de révéler la vérité »
La peine d’inéligibilité des prévenus était possible grâce au Code pénal, mais restait facultative puisque la date des faits retenue par le tribunal était le 15 février 2016, avant la promulgation de la loi Sapin 2 le 9 décembre 2016, qui instaurait l’inéligibilité « obligatoire ».
L’inéligibilité s’est toutefois révélée « nécessaire » du fait de la ligne de défense adoptée. « Ils n’ont montré aucune volonté de découvrir la vérité (…), niant parfois l’évidence, y compris leurs propres écrits », ont critiqué les juges. Durant les deux mois de procès, les cadres du parti d’extrême droite ont refusé d’admettre des torts, soutenant, comme le prétendait Marine Le Pen, qu’il s’agissait simplement d’un « désaccord administratif avec le Parlement européen ».
En conséquence, il a été notamment conclu qu’il n’existait « aucune prise de conscience » de leurs actions, les accusés allant jusqu’à revendiquer « une impunité totale ». Cet état de fait a conforté l’idée que le « risque de récidive » était « clairement établi », créant un « profond trouble à l’ordre public démocratique » du fait de la candidature à la présidence d’un individu déjà condamné en première instance.
Cette notion de désordre public, souvent employée dans le cadre de manifestations, ne doit pas être appréhendée ici dans son sens usuel. Elle se réfère à « l’obligation de probité des élus », indique Romain Rambaud, professeur de droit.
L’application immédiate de l’inéligibilité décidée pour prévenir « la récidive » et un « trouble à l’ordre public »
Les juges ont basé leur décision de prononcer une inéligibilité applicable immédiatement envers Marine Le Pen sur les notions de récidive et de trouble à l’ordre public. Issue d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel, soutenue le 28 mars dans une décision sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), cette peine contribue à « renforcer la probité et l’intégrité des élus et la confiance des électeurs ».
Cette interprétation du tribunal insistait sur le fait que « plus une personne ambitionne une fonction majeure, plus il est important qu’elle ne soit pas condamnée pour détournement de fonds », explique Romain Rambaud. Ainsi, il est essentiel pour le tribunal de veiller à ce que même ceux qui occupent un poste électif ne bénéficient pas de passe-droits contraire à la confiance recherchée par les citoyens.
Pour Marine Le Pen, cette décision vise à l’écarter politiquement : elle a accusé la présidente du tribunal, Brigitte de Perthuis, de vouloir « rendre mon appel sans objet pour m’empêcher de concourir à l’élection présidentielle », a-t-elle déclaré.