Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, considère que l’élimination de l’utilisation des espèces pourrait constituer une mesure efficace pour combattre le trafic de drogue ainsi que les activités illégales liées à la finance. Selon lui, en rendant les paiements uniquement traçables, il deviendrait plus difficile pour les criminels d’opérer dans l’ombre. Est-ce un constat fondé ou une affirmation erronée ?
Faut-il éliminer l’argent liquide pour combattre le trafic de drogue ? Cette proposition a été évoquée de manière spontanée par le ministre de la Justice lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat consacrée à la délinquance financière, le jeudi 22 mai.
« J’ai répondu à la question posée par la commission d’enquête du Sénat, qui demandait ce qu’il faudrait faire pour éradiquer la drogue et, plus largement, la délinquance financière liée à la criminalité organisée. L’une des pistes est la réduction drastique, voire la suppression complète, de l’argent liquide afin d’assurer une meilleure traçabilité », a précisé le garde des Sceaux le lendemain, lors d’une interview sur RTL. Il a toutefois précisé qu’il ne comptait pas mettre cette mesure en œuvre, ne disposant pas d’une majorité à l’Assemblée nationale. Il a également souligné que certains pays ayant limité ou supprimé le cash s’adaptaient sans difficulté à cette mesure.
Supprimer l’argent liquide : une solution efficace contre le trafic de drogue ?
La question de savoir si la suppression ou la diminution de l’argent liquide constitue une réponse pertinente pour contrer le narcotrafic reste débattue. Les avis divergent fortement à ce sujet. Par exemple, en Australie, où la circulation des petites coupures est presque inexistante, une étude menée auprès de la population en 2019 et relayée par le ministère des Familles et Affaires sociales a montré que la majorité des personnes interrogées avaient observé une baisse significative de leur consommation de drogues, mais aussi d’alcool.
À l’inverse, en 2018, le journal The Guardian a rencontré un trafiquant dont l’activité avait même prospéré grâce à la numérisation des paiements. Ses clients règlent leurs achats via le darkweb, les cryptomonnaies ou par le biais d’applications de transfert instantané d’argent. « Vendre sur le dark web est plus simple et plus sûr pour moi que de vendre dans la rue — c’est également plus rentable parce que je commercialise en gros plutôt que de vendre une seule pilule ou un petit sachet de cannabis », expliquait-il au journal britannique. Il ajoutait que « ni les consommateurs ni les vendeurs n’utilisent de cash, donc les promesses gouvernementales affirmant qu’une société sans argent liquide ferait disparaître le trafic de drogue sont mensongères ».
Les effets contrastés sur la délinquance financière
Les conséquences de la suppression ou de la limitation du cash sur la délinquance financière dans son ensemble sont elles aussi très variables. En prenant l’exemple des pays nordiques, souvent à la pointe de cette transition en Europe, on remarque qu’une grande partie des délits liés à la monnaie physique ont quasiment disparu. Par exemple, au Danemark, aucun braquage de banque n’a été signalé en 2022, une première historique, rapporte le site The Local. En Suède, les vols impliquant de l’argent liquide dans les transports publics et les taxis ont fortement diminué, comme l’indiquent les statistiques de la Banque de Suède. Ceci est logique, puisque les pièces et billets ne sont plus disponibles pour être dérobés.
Cependant, d’autres types de délits connaissent en parallèle une forte croissance. Les fraudes en ligne ont été multipliées par huit en dix années, particulièrement les arnaques aux prestations sociales et les vols d’identités bancaires. Cela illustre bien que la disparition du cash ne signifie pas l’éradication de la délinquance financière.
De surcroît, cette dépendance accrue à la monnaie électronique soulève de nouvelles problématiques. Une économie devenue entièrement numérique et sans support physique devient extrêmement fragile face aux cyberattaques ou aux tensions géopolitiques, notamment celles impliquant des acteurs comme la Russie. Une simple coupure d’électricité ou d’accès à internet peut paralyser un pays. C’est pourquoi, dernièrement, d’après le Guardian, la Suède et la Norvège ont conseillé à leurs citoyens de ne pas abandonner complètement les billets et les pièces, afin de conserver un moyen de paiement de secours en cas de crise.