Le ministre de l’Intérieur a été plébiscité dimanche en tant que chef des Républicains, recueillant une majorité écrasante de voix. Il rejette fermement toutes les critiques qui l’accusent de faire preuve de bienveillance envers le camp d’Emmanuel Macron. Pour le moment, il ne manifeste aucune intention de rompre officiellement ses liens avec l’exécutif.
Bruno Retailleau symbolise une forme inédite de « en même temps », huit ans après l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence. D’une part, ce Vendéen occupe une fonction ministérielle dans le gouvernement conduit par un proche du courant macroniste, François Bayrou, dirigeant du MoDem. D’autre part, depuis sa victoire éclatante contre Laurent Wauquiez (74,3 % contre 25,7 %), le dimanche 18 mai, à l’issue d’une campagne de trois mois, il préside désormais le parti de droite Les Républicains.
Au lendemain de son élection, sur les plateaux de CNews et Europe 1, le ministre de l’Intérieur a cherché à dissiper toute perception d’« antagonisme » dans cette dualité inédite. Il a même annoncé son intention de poursuivre dans cette voie, en maintenant son poste à Beauvau, qu’il occupe depuis septembre 2024, lors de sa nomination dans le gouvernement dirigé par Michel Barnier, ce dernier étant présent à ses côtés dimanche soir.
D’un côté, l’ex-président du groupe LR au Sénat continue à rejeter fermement les accusations de complaisance vis-à-vis du macronisme, un des principaux arguments déployés par Laurent Wauquiez lors de cette lutte interne opposant deux projets aux idées proches. Selon lui, « intégrer ce gouvernement ne signifie pas se macroniser, ni se dissoudre, ni créer de confusion », a-t-il souligné lundi matin. « Les Français souhaitent une droite efficace, active, sans pour autant renier son identité ».
« Je suis resté fidèle à moi-même, je suis gaulliste et je ne renoncerai jamais à mes valeurs et à mes convictions. »
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et nouveau président des LRsur CNews et Europe 1
Il profite également de cette interview pour marquer une démarcation avec Édouard Philippe, souvent évoqué par les analystes comme un potentiel allié en vue de la présidentielle prochaine. « Édouard Philippe envisagerait son espace politique de la gauche à la droite. Je pense que ce type d’‘en même temps’ ne mène qu’à l’immobilisme. On ne peut pas mélanger des éléments incompatibles, c’est comme tenter d’unir l’huile et l’eau. »
Malgré cela, le parti dirigé par l’ancien Premier ministre, Horizons, a accueilli favorablement ce qu’il appelle le « couronnement » de Bruno Retailleau, selon Arnaud Robinet, maire de Reims, sur 42mag.fr. « Nous partageons un socle commun de convictions » avec le nouveau leader des LR, a expliqué cet élu local. « Il y a bien plus d’éléments qui rapprochent Édouard Philippe et Bruno Retailleau que ce qui pourrait les opposer. »
Maintenir sa place au gouvernement pour mener un « combat idéologique »
Sur un autre plan, Bruno Retailleau défend avec force sa participation et son maintien dans l’équipe gouvernementale de François Bayrou. « Accepter d’intégrer le gouvernement, c’était simplement pour empêcher la France de basculer vers le pire et faire front à la gauche mélénchoniste », a-t-il expliqué lundi matin sur les chaînes du groupe Bolloré. Par la même logique, sa permanence au gouvernement s’impose dans le cadre d’un « combat idéologique » mené en opposition frontale à la gauche. Pour lui, il s’agit d’une nécessité. « C’est exactement ce que j’essaie de faire depuis mon poste ministériel. Avec des prises de position particulièrement tranchées, j’engage la bataille des idées. Je constate que les mentalités évoluent ; nous préparons ainsi le terrain pour la suite. »
« On ne peut pas rester inactifs pendant deux ans et plonger la France dans la désolation. »
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des LRsur CNews et Europe 1
Pour Retailleau, conjuguer sa présence dans un gouvernement de centre-droit tout en défendant une ligne de « rupture » renforce justement sa position. « Être candidat, puis obtenir une victoire aussi nette, cela renforce la stature du ministre de l’Intérieur, et réciproquement, cela donne plus de légitimité au président des LR, car l’opinion souhaite nous voir agir », a-t-il assuré lundi matin. De son côté, Annie Genevard, également ministre LR au gouvernement, en charge de l’Agriculture, a appuyé ce point de vue sur 42mag.fr : « Je considère que la large victoire de Bruno Retailleau à la tête des LR augmente son poids dans le gouvernement et ne le fragilise pas. »
Toutefois, ce positionnement ne fait pas l’unanimité au sein du parti. David Lisnard, président de l’Association des maires de France (AMF), a déclaré sur France 2 qu’il doutait que Bruno Retailleau puisse simultanément rester ministre tout en dirigeant le parti. « On ne peut s’adresser uniquement aux milieux politiques, il faut parler à l’ensemble des Français », a-t-il souligné. Le maire de Cannes (Alpes-Maritimes) souhaite, dans la perspective de 2027, « mettre fin à dix-huit années d’échecs pour la droite sur la scène nationale ».
« Pourvu que mes convictions restent intactes… »
À ce stade, le nouveau président des LR refuse de trancher nettement sur le rôle précis que tiendra son parti dans la course à la présidentielle. Pourtant, à mesure que 2027 approche, l’équilibre tenu par le ministre de l’Intérieur semble devenir toujours plus délicat, dans un paysage où de nombreux candidats du centre et de la droite espèrent succéder à Emmanuel Macron.
Pour gagner en autonomie et préparer sereinement une éventuelle campagne, Bruno Retailleau pourrait-il à terme quitter le gouvernement ? Cette stratégie n’a rien de nouveau : Emmanuel Macron lui-même avait quitté le ministère de l’Économie à l’été 2016 pour s’affranchir du hollandisme, tandis que Manuel Valls avait démissionné de son poste de Premier ministre pour briguer la candidature socialiste. Pour l’instant, le locataire actuel de Beauvau rejette l’idée d’une « gesticulation politicienne destinée à mettre en scène sa sortie ».
Cependant, le scénario d’une démission brutale n’est jamais totalement exclu, restant une menace implicite face à ses collègues ministres. « Tant que mes convictions ne seront pas mises à mal, ma responsabilité est de faire tout ce que je peux pour faire avancer les choses », a-t-il tempéré. En délimitant une frontière subjective et fragile, Bruno Retailleau accepte ainsi de naviguer dans l’incertitude après sa large victoire.