Plusieurs villes subissent des pressions de la part d’élus appartenant à la gauche, en particulier ceux affiliés à La France insoumise, les exhortant à rompre leurs liens avec leurs villes jumelles situées en Israël. Certaines d’entre elles ont décidé de s’engager dans cette voie, ce qui provoque une vive contrariété au sein du camp présidentiel.
Faut-il mettre fin aux jumelages liant des communes françaises à des villes israéliennes pour manifester une opposition à la situation au Proche-Orient ? Cette question fait l’objet d’une revendication de la part de nombreux élus ainsi que de militants, notamment issus de La France insoumise, qui interpellent plusieurs municipalités à travers le pays. Cette controverse refait souvent surface, comme l’a montré l’échange tendu le week-end de Pentecôte entre le député socialiste Philippe Brun et la députée LFI Alma Dufour. Tout a débuté par un message publié sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon, qui a salué, en joignant une photo, la décision de la ville de Val-de-Reuil (dans l’Eure) de rompre ses liens avec la localité israélienne de Meitar, avec laquelle elle était jumelée.
Pourtant, le maire de Val-de-Reuil, soutenu par Philippe Brun, a précisé que ce jumelage évoqué par le leader de LFI avait en réalité pris fin dès 2004.
Lors du conseil municipal qui s’est tenu le samedi 7 juin, Marc-Antoine Jamet, maire de cette cité comptant environ 13 000 habitants, a souligné que cette résolution adoptée en 2004 « n’était pas motivée idéologiquement mais relevait de raisons administratives et financières », soulignant que « les échanges étaient difficiles et coûteux » étant donné la distance avec Meitar, située à près de 5 000 kilomètres, comme l’a rapporté La Dépêche de Louviers.
Le camp présidentiel dénonce « un amalgame sans fondement »
Malgré cette clarification, La France insoumise continue de dénoncer le maintien de ce jumelage. Par ailleurs, le parti de gauche radicale multiplie ses sollicitations auprès de nombreuses autres municipalités françaises, réclamant la rupture des liens avec les villes israéliennes concernées. D’après l’annuaire des villes jumelées publié par l’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE), ce sont environ cinquante communes qui étaient jumelées avec des localités israéliennes en début d’année 2023. « Nous défendons cette position à l’échelle nationale », affirme Manuel Bompard, coordinateur de LFI, au micro de 42mag.fr.
Certaines personnalités politiques, notamment engagées dans la campagne municipale prévue en 2026, comme François Piquemal, député de Haute-Garonne, relaient localement cette exigence. Ainsi, à Toulouse, l’opposition portée par La France insoumise a publiquement demandé, le mardi 4 juin, la « suspension » du jumelage avec Tel-Aviv, en vigueur depuis 1962, « tant que le gouvernement israélien viole le droit international, le droit de la guerre et la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide ».
Cette requête a été rejetée par Jean-Luc Moudenc, maire de centre-droit, qui a argumenté : « Les jumelages ont été instaurés pour favoriser l’amitié entre les peuples. Or, les peuples sont constants, contrairement aux gouvernements qui changent. (…) Je refuse de confondre la ville de Tel-Aviv avec l’exécutif de Benyamin Nétanyahou », a déclaré l’élu ancien membre des Républicains dans un entretien accordé à Actu Toulouse.
Dans le camp du président, l’activisme mené par LFI sur ces questions provoque également des remous. Shannon Seban, élue Renaissance en Seine-Saint-Denis et autrice de Française, juive, et alors ? paru en mai, déplore : « Leur méthode consiste à boycotter toute initiative liée à Israël. Ils pratiquent un amalgame erroné et généralisent tout ». Le député macroniste Mathieu Lefèvre partage ce point de vue, en estimant que la « volonté politique de LFI » est de faire du conflit proche-oriental le cœur de leur lutte sur la scène nationale. Cette stratégie est selon lui « extrêmement dangereuse pour les Juifs de France », appuie également le président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, rejoint par un cadre du mouvement présidentiel.
« LFI déploie une stratégie associant antisionisme et antisémitisme. Vont-ils ensuite vouloir fermer les musées ? Les écoles ? Les lieux de mémoire ? Jusqu’où iront-ils ? »
Un membre du camp présidentielà 42mag.fr
À moins d’un an des élections municipales, le groupe de Jean-Luc Mélenchon récuse toute instrumentalisation électorale du conflit au Proche-Orient, mais reste ferme sur sa position : il faut rompre tous les liens avec le gouvernement israélien et ses communes associées. « Même si ces coopérations actives n’existent pas, le jumelage devient symboliquement intenable », soutient Lucie Hémond, porte-parole de LFI pour les municipales à Bordeaux. Elle demande l’arrêt du jumelage de la ville avec le port israélien d’Ashdod, où a accosté dimanche le Madleen, le navire humanitaire de Rima Hassan et Greta Thunberg, qui voulait rejoindre la bande de Gaza.
Un levier à la portée des municipalités françaises
Cette revendication a été mise en avant lundi soir, lors d’un rassemblement à Bordeaux en soutien à la population gazouie et en opposition aux politiques gouvernementales de Nétanyahou. D’après nos sources, LFI prépare également la publication d’une tribune, ouverte à la signature, pour inciter le maire écologiste Pierre Hurmic à entériner la fin de ce jumelage. Ce dernier avait refusé une telle mesure en juin 2024, tout en renouvelant son soutien à Gaza. Un an plus tard, le député girondin Loïc Prud’homme explique que la situation a « considérablement évolué » pour deux raisons principales. « Premièrement, la nature génocidaire et les objectifs affichés par le gouvernement israélien sont désormais évidents pour tous. Deuxièmement, la question spécifique du port d’Ashdod est venue s’ajouter », déclare-t-il.
Plus au nord, à La Rochelle (Charente-Maritime), le conseil municipal réfléchit à une suspension du jumelage avec la ville israélienne d’Acre. Ce principe a été discuté lors de la séance de mai et devra être formellement voté lors d’une prochaine réunion du conseil.
Contrairement aux cas précédents, cette initiative ne relève pas des insoumis, mais de Jean-Marc Soubeste, un élu écologiste soutenu par la majorité municipale, qui rassemble des figures de la gauche et du centre. Il explique : « C’est avant tout un geste de communication pour attirer l’attention sur la situation à Gaza. Il faut envoyer un signal fort à l’opinion publique en France ainsi qu’en Israël, démontrant que les mots seuls ne suffisent pas. C’est l’un des rares leviers dont disposent les villes françaises », confie M. Soubeste à 42mag.fr.
« Il s’agit clairement d’une suspension, et non d’une rupture, d’un jumelage qui de toute façon est assez inactif depuis plusieurs années. C’est avant tout un symbole. »
Jean-Marc Soubeste, élu écologiste de La Rochelleà 42mag.fr
Le cabinet municipal rochelais, en pleine transition après la démission surprise du maire divers gauche Jean-François Fountaine, confirme que, eu égard à la situation à Gaza, le jumelage est désormais « techniquement suspendu ».
Un dossier qui pourrait s’inviter dans la campagne municipale
À Strasbourg, c’est également une élue écologiste qui se trouve au cœur de cette controverse. Jeanne Barseghian, maire de la ville, a indiqué à l’AFP le 22 mai que le jumelage avec Ramat Gan avait été gelé car « les conditions ne sont pas réunies pour le faire fonctionner ». La maire a aussi exprimé son intention de nouer un jumelage avec le camp de réfugiés d’Aïda, en Cisjordanie, lors d’une réception organisée à l’hôtel de ville le 24 mai, où une délégation palestinienne était présente. Dans la foulée, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a décidé de suspendre son partenariat avec la municipalité. Lors de cet événement, Jeanne Barseghian portait un keffieh et a reçu en cadeau « une carte du Proche-Orient barrée du drapeau palestinien, où l’État d’Israël était absent », une action dénoncée par la Licra.
Au-delà de ces controverses, les initiatives visant à jumeler des villes avec des localités de Cisjordanie ou des camps de réfugiés se multiplient. C’est le cas à La Chapelle-sur-Erdre (Loire-Atlantique), avec le camp de Jénine, à Trappes (Yvelines) avec le camp d’Al-Fawwar, ou encore à Rostrenen (Finistère), avec le camp de Nur Shams.
Après des manifestations contre le jumelage avec la ville israélienne d’Haïfa, Marseille a annoncé son intention de se jumeler avec une commune cisjordanienne, dont le nom demeure inconnu à ce jour, selon des informations recueillies mardi par ICI Provence auprès du maire Benoît Payan. En revanche, il n’est pas question de mettre fin au lien avec Haïfa, « ville non impliquée dans les hostilités, où se tiennent chaque semaine des protestations contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et ses alliés d’extrême droite », a justifié le premier magistrat.
Les partisans de la cause palestinienne saluent ce premier pas et profitent de l’occasion pour formuler d’autres demandes « positives ». « Des mesures similaires à celles prises en soutien au peuple ukrainien, et avec raison, pourraient être adoptées pour les Palestiniens, comme l’arborer de leur drapeau sur le fronton de la mairie ou le soutien aux associations œuvrant pour eux », propose Lucie Hémond, pour Bordeaux. Ce sujet pourrait-il prendre une place centrale lors des élections municipales l’an prochain ? « J’espère sincèrement que la situation sera réglée d’ici là », espère le député LFI Loïc Prud’homme, qui estime que « tous les progressistes cohérents doivent être sensibles à cette cause ».