Le duo dirigeant du Rassemblement national s’est déplacé au Salon international de l’aéronautique et de l’espace, jeudi en début d’après-midi. « Nous avons estimé que c’était une belle opportunité pour les voir côte à côte », confie un responsable du parti d’extrême droite.
Avec beaucoup d’attention, Jordan Bardella prend place dans le poste de pilotage d’un avion de chasse du constructeur Dassault. Sur le tarmac du salon du Bourget, jeudi 19 juin, Marine Le Pen lance avec un brin de moquerie : « J’aimerais savoir si mon Premier ministre s’installe mieux dans le Rafale que celui qui est en poste aujourd’hui. » Cette pique adressée à François Bayrou, chef du gouvernement qui s’était assis au même endroit la veille, vise aussi à rappeler qu’elle demeure le choix prioritaire de son parti pour l’élection présidentielle de 2027.
Sous un soleil ardent, face à une multitude de caméras, le président du Rassemblement national et la dirigeante du groupe RN à l’Assemblée nationale se sont déplacés ensemble afin de mettre en avant leur duo, cherchant ainsi à occulter les quelques difficultés rencontrées par leur formation depuis la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité immédiate dans le cadre de l’affaire des assistants parlementaires du Front national.
Alors que son procès en appel est programmé avant l’été 2026, les interrogations sur sa possible candidature en 2027 ravivent les spéculations concernant une rivalité interne avec son successeur désigné, Jordan Bardella, qui a récemment été le seul membre du RN inclus dans un sondage pour la présidentielle à venir. Cette tension est d’autant plus vive que certaines déclarations des deux dirigeants du parti ont jeté le trouble.
Un duo aux ambitions affirmées
Lors d’un déplacement à Nouméa fin mai, Marine Le Pen avait relativisé la maîtrise des sujets ultramarins par son successeur, au micro de 42mag.fr. « Rassurez-vous, je connais parfaitement les questions relatives aux territoires d’outre-mer, notamment celle de la Nouvelle-Calédonie », avait répliqué Jordan Bardella. Ce lundi, en évoquant une possible élection présidentielle anticipée si le gouvernement Bayrou venait à être renversé à la rentrée, lors d’une interview sur RTL, il a provoqué un malaise chez les proches de Marine Le Pen, puisqu’elle ne pourrait se porter candidate à ce scrutin qu’après avoir été blanchie de son inéligibilité en appel. Un conseiller proche de Bardella corrige toutefois : « Une présidentielle anticipée pourrait avoir lieu en septembre 2026, après sa relaxe », qualifiant cette déclaration de « maladresse ».
Pour cette raison, le parti a choisi de renforcer la visibilité de ce binôme, comme cela a été fait lors d’un meeting dans le Loiret le 9 juin, puis ce jeudi même au salon du Bourget. « Tous deux souhaitaient s’impliquer, nous avons donc saisi l’occasion de les montrer côte à côte, d’autant plus que l’enjeu est considérable », confie un collaborateur de Jordan Bardella.
« Ils prennent plaisir à être ensemble, et cela fait de belles images. »
Un conseiller de Marine Le Penà 42mag.fr
« On combine l’utile à l’agréable, car cet événement est très important pour nous », précise cet allié impliqué dans l’organisation de cette apparition commune. Face aux caméras, la complicité du tandem paraît intacte, affichant un large sourire devant une turbine d’avion.
« Il n’y a pas une once de tension entre eux. Ils fonctionnent en parfaite harmonie », vante l’eurodéputé Jean-Lin Lacapelle. « Peu importe ce que suggèrent certains médias, leur complicité est évidente lorsqu’on les voit ensemble. »
Cette sortie au Bourget vise aussi à renforcer la dimension sérieuse et crédible du duo, à démontrer leur aptitude à gouverner conjointement dans un contexte international compliqué. Sur le fond, le RN insiste sur son programme pour la défense, qui prévoit une hausse du budget à 3 % du PIB, contre 2,1 % actuellement, ainsi que sur ses propositions en faveur du secteur industriel. Marine Le Pen et Jordan Bardella ont unanimement insisté sur ces mesures, martelant leurs propos à l’unisson.
Les tensions autour de la succession et leurs répercussions
Malgré tout, la question sensible de la relève chez les Le Pen perturbe le calendrier du duo. Présentés comme interchangeables par leur parti afin de rassurer les électeurs, Jordan Bardella et Marine Le Pen ont récemment multiplié les voyages internationaux pour asseoir leur légitimité présidentielle. « Durant cette phase pré-électorale, nous mettons en avant un duo. C’est inédit, mais c’est notre atout dans cette période d’incertitude, car peu importe ce qui survient, le tandem restera uni », affirme Alexandre Loubet, député RN de Moselle.
« On forme Jordan, on construit son image sur la scène internationale, mais il n’est pas question qu’il succède à Marine Le Pen. Quel que soit le contexte, ce travail sera utile, même pour Matignon. »
Alexandre Loubet, député de Moselleà 42mag.fr
Officiellement, tous insistent au sein du RN : c’est Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais, qui demeure la « candidate naturelle ». Au salon, entre carcasses d’avions et turbines, elle n’hésite d’ailleurs pas à s’adresser à Jordan Bardella à plusieurs reprises en l’appelant son « Premier ministre ». Elle reste également la principale porte-parole, notamment lors d’un point-presse dédié aux enjeux internationaux et au conflit opposant Israël et l’Iran, toujours aux côtés de son successeur plutôt réservé.
Cependant, en coulisses, une certaine appréhension s’installe parmi les proches de Marine Le Pen qui observent l’affirmation progressive du camp Jordan Bardella depuis le procès, auquel ce dernier s’est d’ailleurs pris soin de ne pas assister.
« Chacune de ses paroles est analysée à l’extrême. »
Un conseiller proche de Jordan Bardellaà 42mag.fr
« La situation n’est pas facile pour lui, j’ai l’impression que tout ce qu’il exprime peut lui être reproché. Il est comme un animal pris dans les phares d’une voiture. » admet un conseiller de Marine Le Pen. « Mais ce serait une erreur que Jordan se retire. Il doit poursuivre sa construction en tant qu’homme d’État. » poursuit ce membre influent du Rassemblement national.
Le temps risque d’être long pour ce duo, obligé de cohabiter et de travailler leur complémentarité jusqu’au résultat du procès en appel. « On continue à maintenir le mythe que tout va bien pour rassurer les militants, mais ceux-ci attendent surtout de savoir qui sera le candidat. » confie un proche de la famille Le Pen. « L’attente va devenir pesante, la situation est stagnante, ce qui n’est pas favorable au RN, comme l’ont montré les résultats des récentes élections partielles. »
« On va devoir supporter cette interrogation pendant dix-huit mois ? », s’est agacée Marine Le Pen devant les journalistes qui l’interrogeaient à propos de sa relation avec Jordan Bardella, à l’issue de leur visite. Alors que le bruit puissant d’un Rafale en démonstration couvrait sa voix, elle a éludé la question en plaisantant :
« C’est un ami, je lui ai demandé de faire des allers-retours ! »