Selon le directeur général d’Eiffage, une entreprise où près de 80 % des collaborateurs possèdent à eux seuls plus de 20 % du capital, le recours à l’actionnariat salarié implique nécessairement une certaine prise de risques. Toutefois, cette démarche constitue un moyen efficace de préserver l’ancrage national, en maintenant les entreprises essentiellement françaises ou européennes.
Le « conclave » relatif aux retraites approche de sa conclusion, avec les dernières discussions entre partenaires sociaux prévues ce mardi 17 juin. Face à un système en déficit et à la perspective imminente d’un déséquilibre entre actifs cotisants et retraités, une réflexion sur une part de capitalisation commence à s’imposer, notamment du côté des employeurs.
Cette proposition, orientée vers une vision à long terme, correspond bien à la philosophie de Benoît de Ruffray, PDG d’Eiffage, société spécialisée dans les travaux publics, qui est également à la tête de Fondact, une association promouvant la participation des salariés à la gouvernance des entreprises.
Favoriser l’épargne salariale et la retraite collective : un enjeu d’actualité
Franceinfo : Épargne salariale, dispositifs collectifs pour la retraite… Est-ce le moment opportun pour mettre en avant ces thématiques, notamment en matière d’épargne en entreprise ?
Benoît de Ruffray : Absolument, il s’agit d’un sujet pertinent. C’est en effet une particularité française et cela fait près de 45 ans que Fondact milite pour ce type de modèles. L’épargne salariale inclut non seulement la participation et l’intéressement, mais aussi des mécanismes plus avancés comme l’actionnariat salarié.
« Globalement, ces dispositifs sont d’excellents leviers pour sensibiliser tous les collaborateurs à l’importance de se projeter à long terme. Naturellement, cela pourra aussi contribuer à préparer la retraite. »
Benoît de Ruffray, PDG d’Eiffageà 42mag.fr
L’épargne salariale : un moyen pour les salariés de bâtir leur avenir
Lorsque les salariés doivent choisir entre récupérer immédiatement leur épargne salariale ou la laisser investie dans l’entreprise, une certaine évolution des mentalités s’observe-t-elle ?
Il faut savoir que plus de 415 000 entreprises mettent en place ces dispositifs, qui fonctionnent de manière progressive. Souvent, la participation ou l’intéressement permet aux salariés d’augmenter leur capacité d’épargne et leur pouvoir d’achat. Nombre d’entre eux utilisent une partie de ces sommes pour des besoins immédiats, mais ils en conservent également pour des projets à moyen terme, comme l’achat immobilier ou l’arrivée d’un enfant. Parallèlement, ils anticipent aussi la retraite en accumulant une épargne sur le très long terme. Ces solutions sont particulièrement intéressantes, car elles permettent aussi de mieux comprendre les dynamiques économiques de l’entreprise.
Comment encourager un investissement de long terme malgré l’appétence pour un retrait immédiat ?
En 2024, l’épargne salariale a atteint un montant total de 13 milliards d’euros. Pourtant, lorsqu’il s’agit de décider, près de 30 % des salariés choisissent de percevoir directement le montant, bien que celui-ci soit soumis à l’impôt. Comment alors inciter à privilégier l’investissement sur le long terme ?
Le principal levier reste l’éducation à la patience et à une vision durable de l’épargne. Il est essentiel de développer davantage les dispositifs d’épargne retraite collective ou de proposer l’actionnariat salarié, qui offrent, de surcroît, des avantages fiscaux intéressants propices à une épargne à long terme.
Faut-il encourager à ne pas retirer son épargne salariale immédiatement ?
La réponse dépend évidemment de la situation personnelle de chacun. Parfois, il est nécessaire de puiser dans ces fonds, tandis qu’à d’autres moments, on peut se permettre de les conserver investis. L’important est de savoir ajuster cet équilibre entre les besoins à court terme et ceux à moyen ou long terme.
L’expérience d’Eiffage : des salariés majoritaires au capital
Dans l’entreprise que vous dirigez, 80 % des collaborateurs sont actionnaires, représentant plus de 21 % du capital. Quelles conséquences cela entraîne-t-il concrètement ?
Chez Eiffage, les salariés forment un actionnaire clé, presque central. Ce modèle a permis de préserver l’indépendance de l’entreprise face à des tentatives de raid boursier et d’éviter qu’un concurrent étranger ne fragmente nos activités entre concessions et travaux. Cela a renforcé la cohésion sociale de l’entreprise. Chaque année, le capital réservé aux salariés est augmenté, ce qui est un moment fort de la vie d’Eiffage. Cela donne véritablement du sens à leur engagement, car ils se considèrent comme propriétaires d’une part de l’entreprise.
Je souligne souvent à nos employés, même lorsqu’ils travaillent chez un client, que l’excellence de leur travail se traduit aussi par une part des résultats qui leur revient. En additionnant participation, intéressement et dividendes issus des parts détenues par les salariés, on obtient une juste répartition de la valeur créée à long terme entre actionnaires externes et salariés actionnaires.
Un impact positif sur le dialogue social dans l’entreprise
Est-ce que cette implication des salariés actionnaires modifie la qualité du dialogue social avec la direction et les syndicats ?
« Je peux vous affirmer que garder une indépendance stratégique sur nos choix d’investissements est un véritable moteur. »
Benoît de Ruffray, PDG d’Eiffageà 42mag.fr
Nous sommes une entreprise profondément européenne, avec des investissements ancrés sur ce continent. Ces décisions d’investissement conditionnent les emplois de demain, ce qui crée une cohérence forte entre l’actionnariat salarié et le dialogue social.
Le dialogue social s’est-il renforcé avec la montée en puissance des salariés au capital ?
Le dialogue social existe depuis longtemps dans notre entreprise. De plus, les salariés participent directement à la gouvernance, puisqu’ils sont bien représentés au conseil d’administration. Dans le contexte actuel où les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont essentiels, l’épargne salariale intervient pleinement sur les dimensions sociales et sociétales en favorisant le partage de la valeur, mais aussi sur la gouvernance en associant les salariés aux décisions stratégiques.
Quand l’entreprise traverse des difficultés : quel message pour les salariés actionnaires ?
Dans les cas où la situation financière est moins favorable, comme chez Renault dont l’action a chuté de plus de 7 % lors de la dernière campagne d’actionnariat salarié, entraînant une perte de valeur des actions détenues par les salariés, que leur dites-vous ?
Il faut rappeler que l’actionnariat salarié, comme tout investissement, comporte des risques. C’est une démarche médium ou long terme, voire très long terme, qu’il convient de garder en tête. Dans les entreprises engagées dans ce système, il est fondamental que tous les salariés, quel que soit leur ancienneté, puissent participer selon leurs moyens. Il faut investir avec conscience, sans engager plus que ce que l’on peut se permettre et sans se laisser influencer par les fluctuations journalières des marchés financiers.
L’actionnariat salarié contribue-t-il à préserver une entreprise française ?
Il s’agit avant tout de conserver une entreprise d’origine française, voire européenne. Pour notre part, nos dispositifs sont ouverts à tous les salariés des pays où nous sommes implantés durablement. Je rappelle souvent, comme l’a dit Pierre de Coubertin, que « l’essentiel est de participer », chacun en fonction de ses capacités. C’est cette implication qui nourrit un engagement à très long terme dans la performance de l’entreprise.