La ministre de la Culture fait l’objet de soupçons concernant d’éventuels conflits d’intérêts liés à la société GDF Suez, datant du début des années 2010. Lors d’une interview donnée mercredi soir sur le plateau de l’émission « C à vous », elle a rejeté ces allégations avec force. Par ailleurs, elle a pointé du doigt le journaliste Patrick Cohen, le tenant responsable de ces accusations.
Les échanges se sont rapidement envenimés lors de l’émission « C à vous » diffusée sur France 5, le mercredi 18 juin. Autour de la table animée par Anne-Elisabeth Lemoine, une opposition vive a éclaté entre le journaliste Patrick Cohen et la ministre de la Culture, Rachida Dati, invitée spéciale. Au centre de la dispute figuraient les accusations portées contre cette dernière, dont la riposte ne s’est pas fait attendre. Mettant en pratique le principe selon lequel la meilleure défense est souvent l’attaque, la candidate pressentie à la mairie de Paris en 2026 a riposté en évoquant un article de Mediapart datant de février, qui dénonçait des tensions anciennes à France Inter, liées au style de management de Patrick Cohen lorsqu’il pilotait la matinale de la radio.
« Monsieur Cohen, une enquête de Mediapart vous accuse de harcèlement et de management toxique. Est-il exact que vous avez harcelé des collaborateurs ? », a lancé Rachida Dati, provoquant une réaction immédiate et réprobatrice chez le journaliste. « Vous pourriez vous-même être poursuivi pour ce type de faute. Un article 40 pourrait être saisi grâce à cet article de Mediapart. Je peux porter cela devant la justice (…) », l’a-t-elle menacé. Pour rappel, l’article 40 du Code de procédure pénale impose à toute autorité ou fonctionnaire, s’il découvre des faits délictueux dans l’exercice de ses fonctions, de les signaler au procureur.
Des virements suspects remontant à 2010 et 2011
Le journaliste avait évoqué en direct un travail d’investigation réalisé conjointement par « Complément d’enquête » et le magazine Le Nouvel Observateur. Diffusé début juin sur France 2, le reportage s’intéresse à des sommes d’argent que Rachida Dati aurait perçues lorsqu’elle occupait simultanément les fonctions d’eurodéputée et d’avocate, au début des années 2010. Des documents exclusifs provenant d’un cabinet d’avocats nommé STC Partners ont mis en lumière deux transferts de 149 500 euros chacun, émanant de GDF Suez, vers les comptes de ce cabinet, datés respectivement de juillet 2010 et février 2011. Quelques semaines après ces versements, des montants identiques étaient retirés du cabinet pour être transférés à Rachida Dati, avec la mention « DATI HONORAIRE GDF SUEZ », figurant sur les documents. Selon le magazine, ces revenus n’auraient pas été déclarés dans ses rapports d’activité au Parlement européen, soulevant des questions sur de possibles conflits d’intérêts.
L’enquête menée par « Complément d’enquête » et Le Nouvel Obs a également analysé la nature des prestations que Rachida Dati aurait effectuées pour ce cabinet en retour de ces paiements. Les critiques reprochent à la ministre d’avoir fortement soutenu, en sa qualité de députée européenne, le secteur du gaz, notamment GDF Suez. Cela s’est traduit par la rédaction d’amendements et l’envoi de questions écrites à la Commission européenne, particulièrement lors de son premier mandat entre 2009 et 2014. Elle aurait aussi pris position dans la presse, notamment à travers un article publié en octobre 2013 dans Les Echos, favorable aux groupes gaziers européens.
« Rachida Dati a sciemment dissimulé des informations au Parlement européen »
À l’époque, Martin Schulz, alors président du Parlement européen, avait demandé une enquête interne après ces révélations. « Rachida Dati a délibérément manqué à son devoir de transparence au Parlement européen que je dirigeais, car elle n’a pas déclaré cette somme importante provenant de ses activités de conseil », a commenté l’ancien président allemand à la suite des révélations de l’émission « Complément d’enquête ».
Concernant ses liens avec GDF Suez, Rachida Dati a été interrogée à plusieurs reprises par les magistrats enquêtant sur l’affaire Carlos Ghosn, dans laquelle elle est impliquée en qualité de mise en examen notamment pour « corruption passive » et « trafic d’influence passif ». Elle a toujours démenti avoir reçu des rémunérations de GDF Suez et avait qualifié ces accusations de « conneries » dans une interview accordée à France 2, en 2015. Ce mardi, la ministre a encore qualifié sur CNews et Europe 1 les révélations de « Complément d’enquête » de « totalement diffamatoires ». Elle a insisté sur le fait que les documents en question avaient déjà « été examinés par la justice » dans le cadre des investigations liées à l’affaire Ghosn. Selon elle, « tout est déclaré, c’est parfaitement transparent ».
« On s’attaque sans cesse à mon intégrité, à mon honnêteté. Tout ce que je possède, je l’ai acquis honnêtement. »
Rachida Dati, ministre de la Culturedéclaration sur CNews et Europe 1
La ministre a choisi d’adopter une posture défensive très offensive. « J’aimerais que les enquêtes portant sur mon ancienne activité d’avocate soient menées de la même manière pour tous les autres. Beaucoup d’élus, députés et candidats à hautes fonctions sont aussi avocats. Est-ce que quelqu’un s’est déjà intéressé à leurs activités ? », a-t-elle souligné sur les ondes, en critiquant ouvertement les « méthodes » du magazine « Complément d’enquête ».
Cette critique envers la presse est devenue encore plus virulente lors de la diffusion de « C à vous » le lendemain. « Monsieur Patrick Cohen, faites-vous partie de cette affaire ? Non. Êtes-vous magistrat ? Non. Ce n’est pas à vous que je dois répondre, mais sachez que toutes les réponses ont déjà été fournies », a-t-elle lancé sèchement. Sur le fond, elle a précisé que les « éléments » révélés par « Complément d’enquête » et Le Nouvel Obs provenaient « du même dossier », affirmant que l’« affaire Renault » était « close ». Elle en a profité pour critiquer Patrick Cohen et l’émission, concluant sur : « Moi, contrairement à vous, j’ai fourni des réponses. »
Des réactions fermes face aux déclarations de Rachida Dati
Les menaces adressées par Rachida Dati au chroniqueur de « C à vous » ont immédiatement suscité des réactions, dès la soirée même du mercredi. Dans le monde médiatique, France Télévisions et Radio France ont publié des communiqués brefs sur les réseaux sociaux pour dénoncer « les attaques personnelles dirigées contre des journalistes ». Ces deux groupes pourraient prochainement être réunis sous une holding unique si un projet de loi sur l’audiovisuel public, qui sera débattu les 30 juin et 1er juillet, porté avec détermination par la ministre, venait à être adopté.
Sur le plan politique, ces échanges ont également fait grand bruit, largement relayés sur les réseaux sociaux. Du côté de la gauche, la tonalité fut particulièrement sévère. L’écologiste Marine Tondelier a estimé sur X que « même au regard des habitudes de Rachida Dati, ces propos sont d’une gravité exceptionnelle », imputant ces déclarations à une élue « mise en examen, désespérée et prête à tout pour éviter sa chute ». De son côté, le communiste Pierre Ouzoulias a dénoncé sur le même réseau social « l’ORTF dirigée par Tony Montana. Quelle honte », exprimant son indignation face à la situation.