L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection souligne qu’il n’est ni techniquement ni légalement envisageable de faire marche arrière, en réponse à l’adoption d’un amendement émanant du Rassemblement national à l’Assemblée nationale. La période de pré-démantèlement touche désormais à sa fin, et le démantèlement complet doit impérativement commencer en 2026.
Est-il envisageable que la centrale nucléaire alsacienne de Fessenheim, arrêtée en juin 2020 après 43 ans de fonctionnement, reprenne du service ? Ce scénario a été remis sur la table, mercredi 18 juin, lors de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi concernant la programmation énergétique française. Les députés ont adopté un amendement, porté par le Rassemblement national, visant à relancer cette installation. « La remise en activité de la centrale de Fessenheim – un engagement de campagne de Marine Le Pen en 2022 – a été validée », a célébré le groupe RN sur la plateforme sociale X. « Je l’avais promis, notre groupe a obtenu ce vote », se félicitait également l’ex-candidate à la présidentielle.
Cependant, la question reste posée : la plus ancienne centrale nucléaire de France est-elle réellement capable de reprendre ses opérations ? Selon un reportage d’ICI Alsace en septembre 2024, le site continue de se vider progressivement, avec une salle des machines désormais déserte et la plupart des turbines ainsi que des alternateurs démontés. « Ce bâtiment est devenu vide. Une fois le sol bétonné, il sera réaffecté en entrepôt pour le stockage des colis nucléaires », a indiqué Laurent Jarry, directeur de la centrale de Fessenheim, lors d’une interview sur une radio locale.
Cependant, ce défi ne semble pas insurmontable aux yeux de certains représentants du RN interrogés jeudi. « Il est aujourd’hui très difficile de connaître précisément l’état de la centrale, ce qui a été enlevé ou non », a déclaré sur Sud Radio le député Jean-Philippe Tanguy, dénonçant un prétendu « mensonge d’État » ainsi qu’un « manque total de transparence ».
« On parle du démontage de la salle des machines et de quelques équipements qui, en réalité, ne constituent pas le circuit primaire – la partie la plus critique – qui ont été démontés mais restent remplaçables. »
Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Sommesur Sud Radio
De son côté, Christian Zimmermann, conseiller régional et président du RN Alsace, a déclaré dans les colonnes du quotidien Dernières nouvelles d’Alsace que « le processus de démantèlement avance lentement » et que « le gouvernement ignore encore la durée totale qu’il nécessitera ».
Comprendre précisément où en est le démantèlement est un enjeu central dans ce débat, car le déroulement des différentes étapes du projet scellera définitivement l’avenir de la centrale. Marine Le Pen en était parfaitement consciente et elle l’avait souligné dès novembre 2021 lors d’une interview sur 42mag.fr. « Je lance une demande solennelle au président de la République pour instaurer un moratoire sur le démantèlement de Fessenheim, car dès mars 2022, nous atteindrons un seuil irréversible où la réouverture ne sera plus envisageable, jamais plus. »
Des interventions irréversibles déjà engagées
Jeudi, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a apporté des éclaircissements lors d’une conférence de presse. « Plusieurs opérations irréversibles ont déjà été menées, pour lesquelles aucune solution technique ne permet aujourd’hui de revenir en arrière. C’est notamment le cas pour la décontamination des circuits. » a-t-elle expliqué, comme le rapporte France 3 Grand Est.
L’ASNR a également détaillé d’autres aspects techniques qui rendent impossible la remise en service de la centrale. Elle a notamment évoqué le démontage de composants situés au cœur du réacteur ainsi que la décontamination agressive des circuits primaires, une opération « qui ne permet plus de considérer que ces circuits répondent aux spécifications techniques initiales », reprend le journal L’Alsace.
Au-delà de ces questions techniques, l’ASNR a souligné le cadre réglementaire. « Il n’existe pas de procédure officielle pour la remise en exploitation d’une installation arrêtée de façon définitive », a-t-elle précisé. Relancer la centrale reviendrait à entreprendre un chantier qui « serait assimilé à la création d’une toute nouvelle installation ». Elle a ajouté : « Une éventuelle autorisation pour un nouveau réacteur reprenant les infrastructures existantes buterait sur le fait que ce projet ne satisferait pas aux exigences actuelles en matière de sûreté. »
Une remise en route plus complexe et coûteuse que la construction d’EPR2
« Il est hors de question de remettre en service le site en l’état, ce serait une aberration, et je vous parle en tant que député du Haut-Rhin et président de la commission locale d’information et de surveillance de la centrale de Fessenheim », a tenu à préciser Raphaël Schellenberger, député Les Républicains, lors des débats parlementaires. Ce dernier, qui s’opposait déjà à la fermeture de Fessenheim, considère aujourd’hui qu’il serait « absurde » de tenter de relancer « deux réacteurs en plein démantèlement ».
Les opérations menées depuis 2020 ont pour but de préparer le site à son démantèlement final. Plus de 85 % des travaux préliminaires sont déjà achevés, selon un bilan publié en février par EDF. L’entreprise a précisé que le démantèlement proprement dit devrait commencer aux alentours de 2026, dès qu’un décret ministériel signé par le ministre de la Transition écologique sera délivré, après enquête publique et avis favorable de l’Autorité de sûreté nucléaire. Actuellement, la fin de cette opération est planifiée pour 2040.
« La procédure pour remettre Fessenheim en service serait encore plus longue et plus coûteuse que celle nécessaire à la construction des réacteurs EPR2 », estime Nicolas Goldberg, consultant expert en énergie chez Colombus Consulting et Terra Nova, interrogé par 42mag.fr. Les premières mises en service de réacteurs nucléaires EPR2 sont attendues par l’Élysée « d’ici 2038 ». Pour ces six unités de nouvelle génération, le coût total est pour l’instant évalué par le gouvernement à 100 milliards d’euros, rapporte L’Usine nouvelle.