Les magistrats chargés des investigations ont décidé de poursuivre la maire du 7e arrondissement de Paris devant les tribunaux. Cette dernière est mise en cause pour avoir potentiellement reçu des rémunérations de la part du groupe Renault-Nissan, dans le cadre d’activités de lobbying au sein du Parlement européen, dissimulées derrière une prétendue prestation de conseil.
Un procès se profile désormais pour Rachida Dati. Des juges d’instruction parisiens ont décidé de renvoyer la ministre de la Culture devant la justice dans le cadre de l’affaire Carlos Ghos
Un éventuel procès se précise pour Rachida Dati. Des magistrats instructeurs de Paris ont décidé de renvoyer la ministre de la Culture devant la justice dans le dossier lié à Carlos Ghosn, conjointement avec l’ancien dirigeant de Renault, a-t-on appris le mardi 22 juillet. Elle est mise en examen pour « corruption et trafic d’influence passifs » ainsi que pour « recel d’abus de pouvoir et de confiance ». Franceinfo fait le point sur cette affaire, dont le procès pourrait avoir des répercussions sur la possible candidature de Rachida Dati à la mairie de Paris en 2026.
Une plainte d’un actionnaire minoritaire à l’origine de l’enquête
Cette affaire prend racine peu après l’arrestation, en novembre 2018 à Tokyo, de Carlos Ghosn, ancien patron de Renault-Nissan, soupçonné de malversations financières. Suite à cela, l’alliance Renault-Nissan, dont le siège est situé aux Pays-Bas, décide de revoir les paiements effectués dans le passé à des consultants externes français, en lançant un audit indépendant. C’est à ce moment qu’une actionnaire minoritaire de Renault dépose une plainte contre Carlos Ghosn, Rachida Dati et le criminologue Alain Bauer. Selon l’avocat de la plaignante, Jean-Paul Baduel, cette dernière exprime des inquiétudes sur « l’utilisation douteuse des fonds de Renault » dans le cadre de certains contrats passés avec l’entreprise, « dont les montants paraissent étranges ».
En 2019, le Parquet national financier (PNF) ouvre une enquête pour « abus de biens sociaux » et « corruption ». Une information judiciaire est lancée, confiée à deux juges d’instruction. Initialement classée sous le statut de témoin assisté, Rachida Dati est finalement mise en examen en 2021 pour « corruption » et « trafic d’influence passif par une personne détenant un mandat électif public », après plus de neuf heures d’interrogatoire.
Un contrat de 900 000 euros au centre des investigations
Au centre de l’enquête, un contrat signé le 28 octobre 2009 entre Rachida Dati et RNBV, une filiale de l’alliance Renault-Nissan. À l’époque, la ministre, alors avocate et députée européenne, est soupçonnée d’avoir reçu « en toute discrétion, voire dans une opacité totale » selon l’enquête, la somme de 900 000 euros entre 2010 et 2012 pour des prestations de conseil qu’elle n’aurait pas véritablement fournies.
Dans son réquisitoire de novembre 2024, consulté par l’AFP, le PNF considère que ce contrat « constitue le voile juridique d’un pacte de corruption manifeste ». Les « nombreuses investigations » menées « ont permis d’identifier très peu de preuves concrètes attestant de la réalisation effective des missions confiées à Madame Dati » en matière de conseils juridiques, qu’il s’agisse de documents matériels (rapports, courriels, notes) ou de preuves testimoniales (auditions, attestations), est-il précisé dans ce rapport de 134 pages signé par le procureur financier Jean-François Bohnert et deux magistrats financiers.
Lors de ses quatre auditions, Rachida Dati a toujours affirmé avoir exercé un vrai travail. Durant son audition en juillet 2021, à laquelle la cellule investigations de Radio France a eu accès, elle a tenté de convaincre les juges de son rôle actif pour soutenir le développement du groupe Renault-Nissan au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elle a notamment affirmé avoir été un élément moteur dans l’ouverture de la plus grande usine automobile d’Afrique, à Tanger au Maroc, en 2012. « Il fallait créer un cadre juridique favorable à Renault-Nissan, car à l’époque il y avait la crise économique et le début du printemps arabe », a-t-elle expliqué. Selon la ministre, le feu vert financier des autorités marocaines aurait été obtenu grâce à son intervention à l’automne 2010.
Cependant, plusieurs témoignages recueillis par Radio France viennent affaiblir cette version, voire la contredire. Un avocat faisant partie d’un pool de juristes expérimentés accompagnant Renault-Nissan dans ses négociations avec le Maroc relève : « En 2010, tout était déjà réglé ». De son côté, Carlos Ghosn défend Rachida Dati en la présentant comme une « consultante » dans la stratégie d’expansion internationale du groupe et mentionne à plusieurs reprises « la diplomatie des affaires ».
Des soupçons de lobbying au Parlement européen
Les magistrats soupçonnent Rachida Dati d’avoir en réalité perçu ces 900 000 euros en échange d’activités de lobbying pour le constructeur français auprès du Parlement européen. Bien que les députés européens puissent exercer une activité d’avocat, ils sont en revanche interdits de faire du lobbying. Pour le PNF, l’ancienne garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy a « conseillé le groupe Renault pour défendre ses intérêts auprès du Parlement européen ». Elle aurait « adopté des positions favorables » au constructeur et « utilisé son influence réelle ou supposée pour mener des actions de lobbying ». Et le Parlement européen n’a jamais été informé de ses « activités privées rémunérées » en lien avec Renault.
Selon la cellule investigation de Radio France, une perquisition menée au siège de Renault a permis de mettre au jour une pochette marquée « RD », où se trouvait une feuille de route listant des sujets européens susceptibles d’être abordés par l’avocate, comme la nouvelle réglementation concernant les véhicules sans permis. Pendant son premier mandat au Parlement européen, Rachida Dati a adressé deux questions écrites à la Commission qui semblent correspondre aux intérêts de Renault. L’une, en juillet 2012, porte sur la future réglementation sur le niveau sonore des véhicules, l’autre, en octobre de la même année, concerne le marché des véhicules propres.
Interrogée par les juges, Rachida Dati a nié toute tentative d’influence sur le Parlement à propos des véhicules électriques. Carlos Ghosn l’a par ailleurs soutenue, affirmant qu’il ne lui avait jamais demandé d’intervenir sur les normes européennes, selon la cellule investigation de Radio France.
Multiples recours de la ministre et de ses avocats
Depuis sa mise en cause, Rachida Dati, épaulée par son équipe d’avocats, multiplie les démarches pour faire annuler la procédure. Dès 2019, selon Le Monde, elle a adressé une lettre à Eliane Houlette, alors cheffe du PNF, dans laquelle elle indique avoir appris que la plaignante à l’origine de l’affaire était en réalité l’épouse d’un avocat lui-même actionnaire de Renault. Elle réclamait alors que la plainte soit « classée », dénonçant une possible « manipulation ». La justice a depuis déclaré irrecevable la constitution de partie civile de cette actionnaire.
Par ailleurs, Rachida Dati a engagé des procédures judiciaires contre ceux qui mettent en doute l’authenticité de son travail pour Renault-Nissan. C’est notamment le cas de Jean-Dominique Sénard, actuel président de Renault, qu’elle accuse d’« omission à témoigner en faveur d’un innocent » en ayant prétendument « dissimulé à la justice française des documents essentiels qui pourraient l’innocenter ». Toutefois, début janvier, la ministre a finalement renoncé à le poursuivre en justice.
Cependant, avec ses avocats, elle continue de se battre afin de démontrer la prescription des faits. Après le rejet, le 26 juin, de son recours devant la cour d’appel de Paris contre le réquisitoire du PNF demandant un procès, la ministre a saisi début juillet la Cour de cassation. Elle invoque l’absence dans le dossier d’une « pièce déterminante » : une version paraphée de la convention d’honoraires la liant à Renault, qui aurait pourtant été présentée lors d’une audition de Carlos Ghosn au Liban. Selon Olivier Baratelli, l’un de ses avocats, « si cette convention a bien été paraphée, cela signifie (…) que la mission d’avocat a été conclue avec la connaissance de tous chez Renault ». Cette nuance est cruciale puisqu’elle ferait débuter le délai de prescription – qui est de trois ans – à partir de 2009, date de signature, plutôt que 2019, supposée année de découverte du pacte de corruption.
« Il s’agit d’une demande légitime pour retrouver une pièce disparue », souligne Olivier Baratelli. Cette nouvelle démarche s’ajoute à de nombreuses requêtes et recours qui ont considérablement ralenti la procédure, dont les enquêtes sont closes depuis septembre 2023. Rachida Dati, ainsi que Carlos Ghosn, doivent être convoqués fin septembre devant le tribunal correctionnel afin de fixer les dates de leur procès, ce qui intervient à seulement six mois des élections municipales et en pleine préparation d’une éventuelle candidature de la ministre de la Culture pour Paris.