L’ancienne ministre de la Justice est désormais convoquée devant un tribunal, accusée d’avoir reçu des paiements de la part de Renault-Nissan dans le cadre d’une opération de lobbying camouflée. Par ailleurs, plusieurs autres dossiers susceptibles d’intéresser les autorités judiciaires ou la presse sont également en cours d’examen.
Rachida Dati va faire face à un procès lié à l’affaire Carlos Ghosn. Ce mardi 22 juillet, des juges d’instruction parisiens ont émis une ordonnance renvoyant la ministre de la Culture devant le tribunal correctionnel sous les chefs d’accusation de « corruption et trafic d’influence ». L’élue parisienne, qui est pressentie pour se présenter à la mairie de Paris en 2026, sera jugée pour des soupçons de lobbying en faveur du groupe Renault-Nissan au Parlement européen, une activité présumée dissimulée derrière une mission de conseil qu’elle réfute fermement. Sa mise en examen remonte à 2021. Toutefois, cette affaire complexe n’est pas la seule dans laquelle la ministre est impliquée. Son nom a également surgi dans diverses enquêtes journalistiques ainsi que dans d’autres procédures judiciaires, sans que la justice ait toujours ouvert d’investigations à ce sujet.
Mise en cause pour corruption et trafic d’influence dans le dossier Carlos Ghosn
Dans ce dossier, la justice suspecte Rachida Dati d’avoir été liée à un « pacte de corruption latent » avec l’ancien PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. Il lui est reproché d’avoir perçu, selon le Parquet national financier (PNF) « en toute confidentialité, voire dans une opacité totale » près de 900 000 euros entre 2010 et 2012, pour des prestations de conseil formalisées par une convention d’honoraires, alors même qu’elle n’aurait pas réellement exécuté ce travail, étant dans le même temps avocate et députée européenne.
Les enquêteurs ont tenté de vérifier si cette convention n’aurait pas servi de façade pour camoufler une activité de lobbying illégale au Parlement européen, une pratique strictement interdite aux élus. Rachida Dati avait été mise en examen dès 2021 pour corruption et trafic d’influence. À l’époque, elle dénonçait une manœuvre à visée politique, estimant que « l’on cherche à entraver son engagement ». « Ma conviction et ma détermination restent entières », avait-elle affirmé dans une interview accordée au Parisien.
La ministre a toujours expliqué qu’elle avait aidé Renault-Nissan dans le cadre de l’implantation d’une usine au Maroc, en facilitant négociations et accords de financement avec le royaume chérifien. Ses avocats avaient contesté la validité du réquisitoire du PNF qui demandait la tenue du procès, arguant que celui-ci se basait sur certaines pièces annullées par la justice en 2022. Néanmoins, en juin, la cour d’appel de Paris a rejeté ce recours. La défense a saisi la Cour de cassation en contestant cette décision, faisant valoir qu’un élément « déterminant », susceptible de modifier le délai de prescription, avait été perdu pendant l’instruction.
Accusations de lobbying en faveur de GDF-Suez
Rachida Dati est également au centre d’une enquête menée conjointement par « Complément d’enquête » et le Nouvel Obs, publiée début juin, qui fait écho à l’affaire Renault-Nissan. Les journalistes ont dévoilé des documents laissant entrevoir un lien financier indirect entre la ministre et le groupe GDF-Suez. Il apparaît qu’elle aurait reçu deux versements de 149 500 euros chacun, en 2010 et 2011, provenant d’un cabinet d’avocats ayant lui-même perçu des paiements comparables du géant gazier. Interrogée par la justice pour savoir si elle avait travaillé pour ce groupe durant son activité d’avocate, elle avait répondu que ceux-ci « n’étaient pas ses clients ».
Quelles prestations aurait-elle fournies à cette société ? L’enquête soulève des interrogations sur ses prises de position favorables à l’industrie gazière lors des débats qui se sont tenus à Strasbourg et à Bruxelles concernant des dossiers énergétiques. Alerté par des ONG, le Parlement européen avait lancé une pré-enquête via son comité consultatif chargé de contrôler la conduite des députés, afin d’étudier un éventuel conflit d’intérêt entre son mandat de députée et ses activités d’avocate, qu’elle a cessées en 2012.
Dans cette affaire aussi, la ministre conteste tout manquement et qualifie les accusations de « diffamatoires », assurant que les documents mis en avant avaient déjà été examinés par la justice. Elle a vigoureusement défendu sa position lors d’une émission de « C à vous » diffusée le 18 juin. Ses avocats, Maîtres Olivier Baratelli et Olivier Pardo, ont ajouté que « Madame Dati a apporté toutes ses explications et n’a jamais exercé en tant qu’avocate pour GDF Suez ».
Par ailleurs, un signalement relatif à ces honoraires a été transmis au parquet de Paris le 26 juin par le sénateur socialiste Rémi Féraud, alors candidat à la mairie de Paris.
Impliquée dans deux dossiers liés au lobbyiste Tayeb Benabderrahmane
Le nom de Rachida Dati apparaît aussi dans une enquête portant sur Tayeb Benabderrahmane, ancien lobbyiste du PSG. Le journal Le Monde rapporte que ce Franco-Algérien est mis en examen pour corruption. Il est soupçonné d’avoir sollicité en 2019 un ancien policier, proche de lui, pour obtenir des renseignements concernant une actionnaire minoritaire de Renault qui, avec son avocat, avait déposé plainte contre Rachida Dati et Carlos Ghosn auprès du PNF. C’est cette plainte à l’origine de l’actuelle procédure judiciaire impliquant la ministre.
Qui aurait cherché à recueillir ces informations ? Interrogée par Mediapart en 2022, Rachida Dati a nié avoir demandé pareille enquête à monsieur Benabderrahmane ou à quiconque. Toutefois, en 2019, selon Le Monde, la maire du 7e arrondissement de Paris avait adressé un courrier à Eliane Houlette, alors directrice du PNF, affirmant avoir appris que la plaignante n’était autre que l’épouse d’un avocat actionnaire de Renault. Elle sollicitait alors le classement de la plainte, dénonçant une « manipulation ». Depuis, la justice a rejeté la constitution de partie civile de cette plaignante. Rachida Dati, elle, n’est pas mise en examen dans cette enquête en cours, comme l’a précisé 42mag.fr auprès du parquet de Paris.
Dans un autre dossier, également en lien avec Tayeb Benabderrahmane, la mairie du 7e arrondissement et les cabinets des avocats Olivier Pardo (un des conseils de Rachida Dati) et Francis Szpiner ont été perquisitionnés en 2023. Cette enquête découle d’une plainte déposée en 2022 par Benabderrahmane lui-même pour séquestration, après une détention au Qatar en 2020 qui aurait duré plusieurs mois. Il a indiqué avoir ensuite été assigné à résidence, avant d’être finalement autorisé à revenir en France en novembre 2020, après signature d’un protocole de confidentialité par lequel il s’engageait à ne pas révéler de documents susceptibles de nuire au patron qatari du PSG, Nasser al-Khelaïfi.
Une partie de l’enquête porte sur les circonstances de sa libération. Dans les médias, Benabderrahmane a accusé Rachida Dati de manœuvres ambiguës, mêlant soutien à sa libération et volonté d’étouffer l’affaire. Avec l’ex-ministre de la Francophonie Yamina Benguigui, il affirme avoir été poussé à solliciter les services d’Olivier Pardo pour sa défense. Le cercle proche de Dati a réfuté ces accusations, estimant qu’elle n’avait « rien à voir » avec ce dossier, qualifiant les allégations de « fables d’un maître chanteur » et assurant que les perquisitions dans les bureaux de la mairie n’avaient « rien révélé ». À ce jour, cette instruction est toujours en cours selon le parquet de Paris.
Interrogations autour de bijoux non déclarés dans son patrimoine
Le dernier dossier à avoir été ouvert date d’avril, à la suite d’une enquête du journal Libération. Ce dernier révèle que Rachida Dati n’aurait pas mentionné dans ses déclarations de patrimoine des bijoux d’une valeur d’environ 400 000 euros, offerts par son ancien compagnon, Henri Proglio, ancien président d’EDF, lors des déclarations remplies à l’occasion de ses nominations dans les gouvernements de Gabriel Attal et Michel Barnier.
Tout membre du gouvernement est tenu de soumettre une estimation précise de son patrimoine à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Selon les avocats de la ministre, celle-ci a agi « en parfaite conformité avec ses obligations déclaratives auprès de la HATVP ». En juin, l’autorité a publié les déclarations de patrimoine des membres du gouvernement dirigé par François Bayrou. Libération a observé une augmentation d’environ 400 000 euros inscrite sur les comptes de Rachida Dati, sans que les bijoux n’apparaissent dans la déclaration.
Interrogée sur ce sujet le 7 mai sur France Inter, la ministre avait répondu qu’elle n’avait « rien à régulariser ». « Je n’ai jamais été mise en défaut sur aucune déclaration. Ce ne sera pas aujourd’hui que cela commencera », avait-elle assuré. Là encore, le sénateur Rémi Féraud a adressé un signalement au parquet de Paris au sujet de cette potentielle sous-évaluation du patrimoine déclaré de la ministre.