Sophie Binet, qui occupe le poste de secrétaire générale à la tête de la Confédération générale du travail (CGT), participera à l’émission « Les 4 Vérités » ce mardi 15 juillet. En parallèle à la présentation des grandes lignes du budget 2026 par François Bayrou, elle exprime la nécessité d’instaurer une fiscalité plus importante sur les personnes les plus aisées.
Ce passage est une transcription partielle de l’entretien présenté ci-dessus. Pour visionner l’intégralité de la discussion, cliquez sur la vidéo.
Jean-Baptiste Marteau : François Bayrou doit dévoiler, mardi 15 juillet à 16 heures, les principaux axes du budget pour 2026. Vous avez mentionné qu’il est impossible de remettre les comptes à flot au détriment des salariés. Pourtant, il reste environ 40 milliards d’euros d’économies à réaliser. Selon vous, quelle serait la solution?
Sophie Binet : Il faut récupérer l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire chez ceux qui portent la responsabilité du déficit : les grandes entreprises et les plus fortunés. Pourquoi la situation financière est-elle si alarmante ? Parce qu’Emmanuel Macron, depuis son arrivée à la présidence, a diminué chaque année, de 73 milliards d’euros, les impôts des plus riches. Si l’on remettait en cause ne serait-ce que la moitié de ces allègements fiscaux, on parviendrait à réunir la somme nécessaire pour combler les 40 milliards. C’est une équation plutôt élémentaire.
François Bayrou évoque l’idée d’une année blanche, qu’il a soumise à tous les partenaires sociaux, y compris les partis politiques qu’il a reçus. Cela concernerait le gel des prestations sociales, des retraites ainsi que des embauches dans la fonction publique. En êtes-vous, à la CGT, opposée catégoriquement ?
Effectivement, cette proposition d’année blanche serait en réalité une année noire pour les salariés ainsi que pour les services publics. Ce serait une période où la population française dans son ensemble s’appauvrirait puisque cela impliquerait concrètement que les salaires, le financement des prestations sociales, des retraites et des services publics n’augmenteraient pas au rythme de l’inflation. En clair, tout le monde perdrait en pouvoir d’achat.
Cela permettrait pourtant d’économiser six milliards.
C’est vrai, mais au prix d’un appauvrissement général. Ce qui m’étonne vraiment, c’est que le gouvernement refuse, par principe, d’aller chercher les ressources là où elles se trouvent, dans les poches des actionnaires, des rentiers et des personnes les plus riches, qui ne cessent de s’enrichir davantage.
Mais la France est aussi le pays européen où les prélèvements sont les plus élevés, non ?
Un rapport récent révèle que les inégalités n’ont jamais été aussi marquées en France : les riches n’ont jamais accumulé autant de richesse tandis que les plus modestes ne cessent de s’appauvrir. Un nombre croissant de travailleurs vivent aujourd’hui dans la pauvreté. Ce 15 juillet, des millions de Français, y compris des salariés, ne peuvent même pas offrir à leurs enfants un départ en vacances et on envisage de leur imposer encore plus de sacrifices.
« Jamais nos entreprises n’ont reçu autant de soutien financier »
On entend aussi l’idée de travailler davantage. Emmanuel Macron a indiqué qu’il n’y aurait pas d’augmentation de la dette ni de nouveaux impôts, donc le financement devra venir d’une hausse de la production. Comprenez-vous ce type d’exigence présidentielle ?
Franchement, je trouve cela consternant. Depuis un an, la CGT tire la sonnette d’alarme face aux multiples licenciements et fermetures d’entreprises en France. Non seulement le gouvernement ne fait rien pour enrayer ces fermetures, mais en plus, il nous explique qu’il faudrait travailler plus, en faisant comme si le chômage était un choix personnel et que les chômeurs bénéficieraient d’un statut privilégié. Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles.
La commission d’enquête du Sénat s’est penchée sur les aides que l’État verse aux entreprises, évaluées à 211 milliards d’euros chaque année. Le Sénat réclame une meilleure transparence car on ignore encore les retombées réelles de ces aides. Pensez-vous qu’il soit urgent d’établir un bilan précis de ce que touchent les entreprises et des réductions de charges dont elles bénéficient ?
Absolument. Depuis des décennies, la CGT réclame cette transparence. Ces 211 milliards d’euros représentent un véritable éléphant dans la pièce. Jamais la France n’aura versé autant d’argent public à ses entreprises. Et pourtant, on n’est même pas en mesure de mesurer précisément leur impact. Ces aides ne sont quasiment jamais soumises à des conditions, et elles profitent prioritairement aux grandes entreprises, qui redistribuent ensuite d’importants dividendes à leurs actionnaires. En réalité, dans chacun des 400 plans sociaux que la CGT a recensés, ces entreprises touchaient des aides publiques. Elles sont ainsi subventionnées pour licencier des salariés. Il est indispensable que ces aides soient transparentes, évaluées, conditionnées, et qu’elles bénéficient uniquement aux entreprises exemplaires, notamment sur le plan social et environnemental. De plus, il faut nous donner, représentants du personnel, les moyens de contrôler ces flux financiers publics.
François Bayrou envisage d’engager deux dialogues avec les partenaires sociaux : l’un sur l’assurance chômage, l’autre sur le travail et l’emploi. Cette proposition vous paraît-elle acceptable, le fait de réunir les acteurs sociaux autour de la table pour discuter de ces sujets cruciaux ?
Le gouvernement doit cesser son jeu d’instrumentalisation vis-à-vis des syndicats. Nous avons très mal vécu le moment où le Premier ministre nous a annoncé une consultation sur les retraites pour la refermer aussitôt, excluant toute discussion sur l’extension à 64 ans. À présent, on nous propose de négocier sur l’assurance chômage alors qu’un accord a été signé en décembre dernier, il y a à peine six mois, mais que le gouvernement n’a pas encore pris la peine de le transformer en loi. C’est se moquer du monde.
Donc, vous refusez de participer à ce type de négociations si elles vous sont proposées ?
Ce n’est pas la priorité pour le moment. J’attends d’entendre ce que le gouvernement annoncera ce soir, avant que nous en débattions à la CGT avec les autres syndicats.
Si jamais les syndicats et la CGT se retirent, le gouvernement prendra ses décisions seul, comme la loi le prévoit depuis quelques années.
Oui, il assumera alors ses choix devant l’opinion publique. Les parlementaires ne sont pas élus pour approuver ces coupes budgétaires et cette politique d’austérité. Une majorité de Français y est opposée.
Vous refusez donc de valider indirectement des réductions de droits ou des efforts supplémentaires demandés aux salariés ?
La CGT ne cautionnera jamais cette politique d’austérité. Nous serons présents partout pour défendre les droits des travailleurs et combattre ces mesures scandaleuses. Je rappelle qu’Emmanuel Macron a déjà engagé quatre réformes de l’assurance chômage. Et selon ce rapport de l’INSEE sur la pauvreté, ce sont les femmes, les familles monoparentales, les salariés précaires et les chômeurs qui sont les plus touchés par ces réformes. Il faut mettre fin à cette persécution obsessionnelle contre les demandeurs d’emploi.