Les personnes qui s’opposent à la loi controversée relative à l’agriculture, adoptée au Parlement au début du mois de juillet, doivent faire face à de nombreux défis. En effet, la tenue d’un référendum d’initiative partagée est inenvisageable avant une période minimale d’un an.
Il s’agit d’un texte relativement modeste, dont l’avenir paraît très incertain. Mardi 22 juillet, aux alentours de la fin d’après-midi, le compteur figurant sur le site officiel de l’Assemblée nationale affichait plus de 1,5 million de signatures récoltées en faveur d’une pétition exigeant l’« abrogation immédiate » de la loi Duplomb. Cette loi, dont la proposition a été déposée par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb et adoptée définitivement par le Parlement le 8 juillet, prévoit notamment la réintroduction, à titre dérogatoire et sous certaines conditions, de l’acétamipride, un pesticide appartenant à la famille des néonicotinoïdes.
La gauche ainsi que les écologistes se sont vivement mobilisés contre ce texte, tandis que la droite et le Rassemblement national le soutiennent, le camp présidentiel se trouvant, quant à lui, plus partagé à ce sujet. Avant que la loi soit définitivement adoptée, ses détracteurs avaient déjà sollicité le chef de l’État pour qu’il soumette cette question sensible de la réintroduction d’un néonicotinoïde interdit à la décision populaire. « Cela aurait dû faire l’objet d’un référendum, c’est une question qui devrait être posée aux Français. (…) Il a annoncé le 31 décembre qu’il procéderait à un référendum. Nous lui proposons un sujet », expliquait Marine Tondelier, la dirigeante des écologistes, aux journalistes le 30 juin.
Le président peut théoriquement organiser un référendum
Emmanuel Macron a-t-il la possibilité de convoquer un référendum portant sur l’abrogation de la loi Duplomb ? En théorie, oui, selon ce que prévoit l’article 11 de la Constitution : « Le président de la République, sur proposition du gouvernement (…) ou sur proposition conjointe des deux assemblées (…) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation », y est-il indiqué.
Cependant, dans la réalité, il est fort peu probable que le président de la République s’adresse à la population pour déclencher un référendum. « Emmanuel Macron est un dirigeant qui n’a pas reculé face à une opposition bien plus conséquente lors de la réforme des retraites, et il peut revendiquer son rôle de garant de la Constitution », explique le constitutionnaliste Thibaud Mulier. En effet, comme le souligne ce professeur de droit public, « le processus de délibération sur la loi Duplomb s’est déroulé », même si plusieurs voix, dans les milieux politiques et académiques, contestent la légitimité démocratique de la procédure d’adoption, à l’image de la juriste Rym Fassi-Fihri interrogée par Le Monde.
À plus court terme, les opposants demandent que le chef de l’État appuie une nouvelle délibération parlementaire avant de promulguer la loi. Si cette requête est adressée, elle ne peut être refusée, conformément à l’article 10 de la Constitution. Cette demande fait notamment partie des revendications du Parti socialiste. Dans ce cas de figure, la promulgation est mise en suspens en attendant le second vote de l’Assemblée.
Par ailleurs, quelques figures politiques exhortent Emmanuel Macron à ne pas promulguer la loi du tout, une fois que le Conseil constitutionnel — saisi par des députés de gauche — aura rendu son avis sur le texte. Cette hypothèse est jugée « extrêmement risquée », avertit le constitutionnaliste Benjamin Morel dans les colonnes du Point. « Ne pas promulguer constituerait une violation de la Constitution », renchérit Thibaud Mulier. « Si l’on soutient cette idée, on défend implicitement l’existence d’un droit de veto présidentiel, or la Constitution ne prévoit aucun droit de veto. »
Rassembler près de cinq millions d’opposants serait nécessaire
Les adversaires de la loi estiment également que le référendum d’initiative partagée (RIP) pourrait constituer un levier contre les dispositions contestées par la loi Duplomb. Ce dispositif est lui aussi encadré par l’article 11 de la Constitution : « Un référendum (…) peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des parlementaires, appuyé par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut viser à abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. »
À première vue, rassembler un cinquième des 925 parlementaires, soit 185 députés et sénateurs, ne semble pas insurmontable, puisque la gauche dépasse ce seuil à l’Assemblée nationale. Mais deux obstacles majeurs apparaissent rapidement concernant ce RIP. Le premier est la nécessité d’obtenir le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes, ce qui correspond à environ 4,93 millions de signatures, selon les données 2024 de l’Insee. La pétition actuelle est encore loin de cet objectif : il lui manquerait, en théorie, plus de 3,5 millions de signatures.
Par ailleurs, ces démarches s’appuient sur des plateformes différentes : la pétition lancée par l’étudiante Eléonore Pattery a récolté ses signatures sur le site de l’Assemblée nationale, tandis que celles destinées au RIP doivent passer par le portail du ministère de l’Intérieur. En résumé, si un processus de référendum d’initiative partagée devait être amorcé par les parlementaires de gauche, il faudrait convaincre tous les signataires actuels de refaire la démarche sur une autre plateforme.
Enfin, il faut respecter un délai d’un an après la promulgation de la loi avant de pouvoir organiser une consultation populaire visant à abroger une législation existante. Or, la loi Duplomb n’a pas encore été promulguée par Emmanuel Macron, ce qui ralentit considérablement la possibilité de lancer un RIP. En conséquence, si cette procédure se mettait en route, un référendum d’initiative partagée destiné à annuler la loi Duplomb ne pourrait pas se tenir avant au moins l’été 2026. De plus, le Conseil constitutionnel pourrait intervenir à tout moment pour interrompre la démarche, comme il l’avait déjà fait lors de la réforme des retraites.
Des dispositifs générateurs de frustrations pour les citoyens ?
Tous ces éléments viennent complexifier la possibilité d’organiser un référendum à court terme sur la loi Duplomb en France. « Le droit de pétition dans notre pays, tout comme le référendum d’initiative partagée, apparaissent comme de véritables ‘usines à frustrations’. On ouvre des portes qui semblent démocratiques, mais qui ne débouchent sur rien. Résultat : on suscite une mobilisation qui se heurte à un obstacle, un mur qui n’est pas accidentel mais délibérément dressé. Ainsi, paradoxalement, ces dispositifs conçus pour renforcer la démocratie participative accentuent en réalité la fracture démocratique », déplore Benjamin Morel. Cette analyse rejoint celle formulée par Thibaud Mulier.
« À l’exception du référendum d’initiative présidentielle, les dispositifs participatifs à l’échelle nationale sont des instruments déceptifs qui rendent les procédures volontairement compliquées. »
Thibaud Mulier, spécialiste en droit constitutionneldans une interview donnée à 42mag.fr
Les critiques vis-à-vis d’une démocratie participative incomplète ne sont pas récentes, mais elles se sont intensifiées depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron. En 2019, face aux revendications répétées des « gilets jaunes » pour instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC), le président avait appelé à « simplifier les règles » du RIP, en proposant notamment « que l’initiative puisse venir directement de citoyens, à hauteur d’un million, et qu’elle puisse déboucher sur un projet de loi devant être examiné par le Parlement voire soumis à référendum si le Parlement ne se prononce pas », selon une archive retrouvée par Libération.