Cette rencontre vise à revitaliser l’idée d’une solution fondée sur la coexistence de deux États, à quelques semaines d’un sommet de rang supérieur qui se tiendra en septembre. Toutefois, Israël ainsi que les États-Unis ont refusé de soutenir cette démarche et ont décidé de ne pas y envoyer de représentants.
« L’inaction ne peut être envisagée. » C’est par ces mots que Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, a justifié la tenue de la conférence consacrée à la question palestinienne, qui s’ouvre lundi 28 juillet pour deux jours au siège des Nations unies à New York. Organisé conjointement par la France et l’Arabie saoudite, ce rassemblement ambitionne de redonner un nouvel élan à la perspective d’une solution reposant sur l’existence de deux États distincts, jugée par le chef de la diplomatie française comme « la seule voie capable d’assurer la paix et la sécurité dans cette région ». Franceinfo revient sur les objectifs principaux de cet événement et le contexte international dans lequel il se déroule.
Une réunion pour relancer la solution à deux États
« Cette semaine à New York, aux côtés de l’Arabie saoudite, un acteur clé du Moyen-Orient, nous allons dévoiler une vision conjointe pour la période post-conflit visant à garantir la reconstruction, la sécurité et la gouvernance de Gaza, ouvrant ainsi la porte à la solution à deux États », explique le ministre français des Affaires étrangères. Cette perspective, que la France soutient de longue date, est aujourd’hui, selon Jean-Noël Barrot, « plus que jamais en danger ». Rappelons que Sigrid Kaag, coordonnatrice spéciale de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, avait également alerté en mai dernier devant le Conseil de sécurité que « la solution des deux États est en état critique, mais qu’il faut lui insuffler une nouvelle vie ».
Pour mémoire, en 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adoptait une résolution prévoyant le partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, en deux entités indépendantes—l’une arabe, l’autre juive—avec une zone internationale enveloppant Jérusalem. Seule la déclaration d’indépendance d’Israël, le 14 mai 1948, a été réalisée, déclenchant immédiatement un conflit avec plusieurs pays arabes. Depuis lors, les Palestiniens revendiquent constamment la création d’un État souverain.
Les Nations unies restent attachées à cette solution bipartite. Dans la résolution 2720 adoptée en décembre 2023, deux mois après les attaques du 7 octobre en Israël, le Conseil de sécurité « réaffirme son engagement ferme envers la solution à deux États, dans laquelle Israël et la Palestine, deux États démocratiques, coexistent pacifiquement, avec des frontières sécurisées et reconnues, conformément au droit international et aux résolutions pertinentes de l’ONU ». Cette même résolution insiste également sur « l’importance de l’unification de Gaza et de la Cisjordanie sous l’autorité palestinienne ».
Une participation large mais sans Israël ni les États-Unis
Initialement, la conférence dirigée par la France et l’Arabie saoudite devait réunir en juin des chefs d’État ou de gouvernement. Toutefois, elle a été reportée en raison du conflit déclenché par Israël contre l’Iran le 13 juin. Cette première phase se déroulera finalement à un niveau ministériel à partir de lundi à New York, tandis qu’un sommet réunissant des personnalités de rang supérieur est prévu en septembre.
Pour cette session inaugurale, plus de 100 pays sont attendus pour prendre la parole à l’ONU. Parmi eux, figurent le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, ainsi que plusieurs dizaines de ministres du monde entier. Toutefois, l’ambassadeur israélien auprès de l’ONU, Danny Danon, a annoncé son absence, expliquant que cette conférence « ne répond pas à l’urgence de condamner le Hamas ni de permettre le retour des otages », selon un communiqué relayé par l’AFP.
Quant aux États-Unis, pays hôte de la conférence, ils ont également choisi de ne pas y participer, sans fournir d’explications officielles. Une note diplomatique interne américaine, consultée par Reuters, révèle que des responsables exhortent d’autres gouvernements « à ne pas prendre part à cet événement, perçu comme un obstacle aux efforts en cours pour sauver des vies, mettre fin à la guerre à Gaza et libérer les otages ».
Cette absence conjointe d’Israël et des États-Unis représente une « limite majeure », reconnaît Dorothée Schmid, spécialiste des enjeux méditerranéens à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Néanmoins, elle relativise : « Ce moment n’est pas une négociation. La France et l’Arabie saoudite tentent ici de rééquilibrer le jeu politique alors que le conflit à Gaza est loin d’un cessez-le-feu ».
Un regain d’intérêt suite à l’annonce de Macron concernant l’État palestinien
Depuis plusieurs décennies, la solution fondée sur la coexistence de deux États était enlisé et a connu un nouveau recul après les attaques meurtrières du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Suite à cet acte terroriste d’ampleur, le gouvernement israélien a renforcé son opposition à cette option. En février 2024, le Parlement israélien a adopté une résolution rejetant fermement « toute reconnaissance unilatérale d’un État palestinien ». Il a récemment voté une motion appelant à l’annexion de la Cisjordanie afin d’y instaurer la souveraineté israélienne, un succès pour l’extrême droite du pays, qui défend ce projet depuis longtemps.
Cependant, l’annonce faite jeudi par Emmanuel Macron, selon laquelle la France reconnaîtra officiellement l’État palestinien, redynamise la solution à deux États et renforce la pertinence de cette conférence. Alors que cet événement semblait « destiné à passer inaperçu », l’annonce de Macron a « tout changé », souligne Richard Gowan, expert à l’International Crisis Group. « D’autres participants vont devoir rapidement envisager s’ils emboîtent le pas en déclarant leur intention de reconnaître la Palestine ».
Néanmoins, Thomas Vescovi, chercheur indépendant spécialisé dans les territoires palestiniens occupés, modère cet optimisme : « Cette déclaration de la France est souvent perçue comme un geste envers les Palestiniens, mais en réalité elle arrive très tardivement ». Pour lui, la perspective de deux États reste irréalisable tant que la politique israélienne ne sera pas sévèrement sanctionnée.
Il souligne aussi que cette approche a perdu en attractivité. « Si la solution à deux États faisait consensus à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la situation a évolué, et la pression s’est accentuée : entre 2000 et 2021, la colonisation israélienne en Cisjordanie a augmenté de 220 % », rappelle-t-il. De son côté, Dorothée Schmid considère que « c’est peut-être la dernière chance pour tenter de sauver cette solution, car sa mise en œuvre deviendra de plus en plus difficile ».
Une initiative dont l’issue reste incertaine
Cette conférence s’inscrit dans un cadre plus large visant à résoudre le conflit israélo-palestinien par une démarche politique, « en remettant au centre la question palestinienne », selon Thomas Vescovi. « La France souhaite intégrer la reconnaissance de l’État palestinien dans un véritable processus de dialogue structuré, comportant plusieurs étapes », dont une importante, prévue le 21 septembre, date à laquelle la France annoncera officiellement cette reconnaissance lors de l’Assemblée générale de l’ONU. « Cette conférence devrait surtout formaliser une dynamique déjà en cours en coulisses et donner du poids diplomatique à un agenda défendant la solution à deux États, porté conjointement par la France et la puissance régionale qu’est l’Arabie saoudite », précise-t-il.
Pour Dorothée Schmid, « il est significatif que cette initiative passe par l’ONU, qui représente la communauté internationale dans son ensemble, avec une majorité remarquable : 148 pays reconnaissent déjà l’État palestinien ». Elle rappelle également : « La France a organisé plusieurs groupes préparatoires pour œuvrer en amont de cette conférence, dans le but de mener un travail diplomatique approfondi. L’un des objectifs est de mobiliser sur la cause palestinienne des pays jusque-là peu impliqués, en particulier hors de la région, comme l’Inde ou l’Indonésie ».
Dans son entretien avec La Tribune dimanche, Jean-Noël Barrot annonce que plusieurs nouveaux pays européens « confirmeront leur engagement à reconnaître l’État palestinien » lors de la rencontre, et que pour la première fois, « plusieurs nations arabes condamneront le Hamas et plaideront pour son désarmement ». Lors de son annonce en avril, Emmanuel Macron avait même espéré que cette conférence puisse favoriser une « dynamique de reconnaissance mutuelle », incitant certains pays à reconnaître Israël en retour.
Il est peu probable que ce rassemblement soit le théâtre de décisions majeures. Il s’agira plutôt d’une étape importante afin de mettre en lumière l’initiative franco-saoudienne et de mettre sous pression certains chefs d’État. « Alors que le Royaume-Uni ne reconnaît pas encore l’État palestinien, son Premier ministre Keir Starmer se trouve sous le feu des critiques pour qu’il suive la voie française », souligne la chercheuse. Ce point est d’autant plus crucial que la France est jusqu’ici le premier pays du G7 à afficher officiellement cette position. « Politiquement et symboliquement, cet événement revêt donc une réelle importance ».