D’après les analyses du politologue William Thay, qui dirige le think tank gaulliste « Le Millénaire », Rachida Dati se positionne de manière directe et déterminée contre les Républicains, en particulier face à Michel Barnier, dans la compétition législative portant sur la 2e circonscription de Paris. Cette confrontation ne serait pas seulement une simple bataille électorale, mais une stratégie délibérée visant à intensifier la pression politique (« faire monter les enchères »), dans le but de renforcer sa position et de négocier favorablement les conditions qu’elle souhaite voir respecter lors des prochaines élections municipales.
Sommes-nous témoins d’un affrontement ouvert entre Rachida Dati et Les Républicains ? Après l’investiture de Michel Barnier lundi pour la course à la 2e circonscription de Paris lors de la législative partielle de la rentrée, la ministre de la Culture semble décidée à mener sa campagne indépendamment. Le politologue William Thay, responsable du think tank gaulliste « Le Millénaire », partage son analyse dans un échange avec Leïla Salhi diffusé durant « La Matinale » du 29 juillet.
Ce passage correspond à une retranscription partielle de l’interview ci-dessus. Pour visionner l’intégralité de l’entretien, cliquez sur la vidéo.
Leïla Salhi : Avant même que Michel Barnier ne soit officiellement désigné comme candidat LR pour la législative partielle parisienne, Rachida Dati avait clairement annoncé dans les pages du « Parisien » qu’elle serait, « quoi qu’il arrive », en lice. Peut-on dire que le divorce entre Rachida Dati et Les Républicains est acté ?
William Thay : Plutôt que parler de divorce, il s’agit d’une sorte de négociation tendue où chacun essaie de tirer son épingle du jeu. Michel Barnier ambitionne de devenir député de la 2e circonscription de Paris, couvrant les 5e, 6e et 7e arrondissements. Or, Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, refuse qu’un tiers s’installe sur son terrain sans obtenir quelque chose en retour. Selon elle, le prix que Les Républicains et Michel Barnier sont prêts à payer est insuffisant pour l’instant. Elle souhaite non seulement bénéficier du soutien et de l’investiture du parti LR pour les prochaines municipales, mais à ses conditions personnelles plutôt que celles fixées par la direction, notamment Bruno Retailleau. C’est là que le blocage se situe. Rachida Dati persiste dans sa candidature, consciente que tant qu’elle se maintiendra, Michel Barnier ne pourra pas remporter la circonscription sans son appui. Cela lui confère donc une position de force qu’elle refuse de céder tant que ses exigences ne seront pas satisfaites.
Ne risque-t-elle pas, en poursuivant cette stratégie, d’être complètement isolée ? Ne finit-elle pas par s’aliéner l’ensemble des acteurs autour d’elle ?
C’est vraiment le cœur du problème. Rachida Dati est devenue ministre de la Culture suite à un pacte supposé avec le président de la République : en échange de ce poste, elle devait rassembler à la fois les Républicains et les macronistes en vue des municipales. Or, aujourd’hui, sa montée au gouvernement commence à irriter certains macronistes, qui envisagent de lui opposer un rival, potentiellement Clément Beaune. Par ailleurs, elle peine à obtenir un appui franc de son ancien parti, Les Républicains, même si elle en est revenue. Au final, au lieu de mobiliser des forces autour d’elle, elle semble les éloigner. De plus, elle devait réussir à agréger différents électorats, mais ses prises de position, notamment sur la justice et la défense de l’État de droit, risquent de la couper d’un électorat indispensable pour l’emporter à Paris : les centristes et éventuellement une partie de l’électorat de centre-gauche, qui rejette la gauche réunie actuellement au pouvoir dans la capitale et pourrait se détourner vers elle. C’est sa difficulté principale. Plutôt que d’élargir son socle électoral, elle le restreint. Alors, son entrée au gouvernement est-elle finalement un désavantage plus qu’un avantage ? C’est la question qu’il faut se poser. Si elle n’adapte pas sa stratégie, elle risque fort de se retrouver dans une situation sans issue.
« Elle voit chez LR et les notables de la droite parisienne une machine à perdre »
Quelle est l’attitude de l’Élysée face à ce dossier ?
Le rôle exact d’Emmanuel Macron dans cette affaire reste flou. La seule déclaration publique qu’il ait faite à propos de Rachida Dati concerne sa présence au gouvernement : il a précisé qu’elle pouvait rester tant qu’elle n’était pas condamnée. On peut y voir un soutien à la ministre au regard de ses ennuis judiciaires. Cela s’avère important pour son avenir, même si le président contrôle désormais moins fortement son parti Renaissance qu’auparavant. Cette appui lui offre une certaine liberté d’action, lui permettant d’être à la fois candidate à la mairie de Paris, de briguer un siège législatif et de préparer diverses opérations politiques malgré les menaces d’un procès. Peu de ministres dans sa situation bénéficieraient d’autant de marges de manœuvre, un privilège qu’elle doit en grande partie à l’Élysée.
Au-delà de ce soutien, la véritable interrogation porte sur la meilleure stratégie pour triompher à Paris. Rachida Dati mène cette affaire en espérant contourner le poids de LR et des élus locaux de la droite parisienne qu’elle juge responsables de défaites répétées. Selon elle, ces dirigeants préfèrent protéger leurs positions d’élus d’arrondissement plutôt que de s’engager pleinement dans la conquête de la mairie de Paris, ce qui crée une « machine à perdre ». Elle ambitionne donc de commander sa propre liste, excluant certains maires d’arrondissement qu’elle juge indésirables ou peu aidants pour l’élection. C’est précisément là que naît le conflit avec Les Républicains. Inévitablement, un compromis sera conclu, car c’est une nécessité politique, mais la question primordiale est de savoir qui fera le premier pas. Pour l’instant, demander à Rachida Dati de reculer est difficile à concilier avec sa personnalité ferme.
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