Le courant majeur en faveur de l’indépendance demande l’ouverture de pourparlers en vue d’un nouvel accord et privilégie la tenue d’élections provinciales prévues en novembre. À l’inverse, les Loyalistes s’acharnent à préserver le cadre juridique en vigueur et cherchent à faire perdurer le texte tel quel.
Le secret était de notoriété publique. Après avoir déjà tranché en congrès il y a quelques jours, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) a officiellement rejeté l’accord de Bougival, mercredi 13 août. Ce document, signé en vitesse à Bougival mi-juillet dans un hôtel de cette commune des Yvelines, semblait pourtant bouleverser les lignes, prévoyant notamment la création d’une nationalité calédonienne et l’éventuel transfert au pouvoir exécutif de Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes telles que la monnaie, la justice et la police.
Mais après y avoir apposé leur signature, le principal mouvement indépendantiste de Nouvelle-Calédonie a fini par se retirer de cet accord, « en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de notre lutte », a affirmé Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne et membre du bureau politique du FLNKS. En visioconférence depuis Mulhouse (Haut-Rhin), où il a été détenu pendant près d’un an, Christian Tein a pour sa part dénoncé « un accord à marche forcée proposé par [Emmanuel] Macron ».
« On n’a pas tiré les leçons de ce que le pays a traversé. On ne peut pas bâtir un pays comme ça et nous mettre dans le coin. C’est humiliant pour le peuple kanak », explique celui qui a été élu président du FLNKS alors qu’il était derrière les barreaux. Et d’ailleurs, la délégation indépendantiste qui s’était rendue à Paris pour négocier ce texte « n’avait aucun mandat pour le faire », assure-t-il.
« Ma porte reste évidemment ouverte »
Dans les couloirs du ministère des Outre-mer, rue Oudinot à Paris, l’accueil est plutôt frais. Pour Manuel Valls, dont l’action dans ce dossier avait été saluée par des opposants au gouvernement Bayrou, tout reste à recommencer, ou presque. L’ancien Premier ministre avait anticipé ce refus en annonçant son intention de se rendre sur l’archipel la semaine du 18 août. Le message qu’il a publié sur Facebook, mercredi, conserve cette ligne directrice : « Ma porte demeure évidemment ouverte pour comprendre les raisons peu explicites de ce choix incompréhensible. L’accord de Bougival représente une opportunité extraordinaire et historique. La semaine prochaine, je serai en Nouvelle-Calédonie. »
Pendant les 24 heures de vol qui l’attendent, Manuel Valls aura l’occasion de peaufiner sa méthode. Sur place, il devra faire face à une impasse ressemblante à un blocage. Les indépendantistes du FLNKS refusent désormais toute discussion avec les non-indépendantistes Loyalistes et le Rassemblement. Après des années de dogmatisme, les échanges entre les deux camps avaient pourtant gagné en constructibilité et en respect mutuel, comme en témoigne le geste amical d’un salut de la main entre le député loyaliste Nicolas Metzdorf et l’indépendant Emmanuel Tjibaou, à Bougival, mi-juillet.
Aujourd’hui, les indépendantistes avancent deux revendications majeures pour la suite des pourparlers. Premièrement, ils veulent que les élections provinciales, déjà reportées en raison des émeutes meurtrières du printemps 2024, se tiennent en novembre afin de « vérifier la légitimité réelle de chacun ». Manuel Valls et les non-indépendantistes s’y opposent. L’accord de Bougival prévoyait d’ailleurs ce scrutin crucial repoussé au plus tôt à la mi-2026.
Deuxièmement, le FLNKS souhaite « ouvrir le dialogue » en vue de la « signature d’un accord de Kanaky le 24 septembre 2025 », menant « à l’accès de la Nouvelle-Calédonie à une souveraineté pleine avant l’élection présidentielle de 2027 ». Le mouvement réclame aussi la tenue de discussions « sous la supervision » de Christian Tein, son président. Libéré le 13 juin, le leader demeure cependant mis en examen pour son rôle supposé dans les émeutes de 2024, même s’il a toujours contesté avoir incité à la violence.
« Un passage en force sans le FLNKS, ça ne fonctionnera pas »
Pour l’instant, le processus lancé en juillet est à l’arrêt. « L’accord de Bougival tombe mécaniquement puisqu’il ne peut pas y avoir un accord sans la validation du FLNKS », affirme à 42mag.fr Benoît Trépied, anthropologue au CNRS et auteur de Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.
« Rien ne peut fonctionner sans le FLNKS. Qu’on le veuille ou non, il représente le peuple kanak colonisé, reconnu sur le plan international, y compris par l’ONU. »
Benoît Trépied, anthropologue au CNRSà 42mag.fr
Face à cela, les non-indépendantistes espèrent que la visite de Manuel Valls sur le Caillou pourrait relancer le processus. Après les tensions entre l’État et les élus loyalistes, ces derniers affirment leur volonté d’aider le ministre dans sa tâche. « Les Loyalistes et le Rassemblement réaffirment leur soutien à la mise en place d’un comité de rédaction pour préparer la traduction juridique et institutionnelle de l’accord de Bougival », précisent-ils dans un communiqué publié mercredi.
« Par ailleurs, nous proposons la constitution d’un comité ad hoc, composé de loyalistes et d’indépendantistes favorables à l’accord de Bougival (…). Sa mission serait d’approfondir certains points techniques de l’accord, en soutien au comité de rédaction proposé par Manuel Valls », poursuivent-ils.
En résumé, la stratégie des non-indépendantistes vise à marginaliser le FLNKS pour préserver l’esprit de Bougival. « Nous sommes six partenaires, et l’un d’eux se dédit. Pour autant, les cinq autres continuent d’avancer et de promouvoir l’accord. Nous échangeons pratiquement quotidiennement tous ensemble », précise une source loyaliste à 42mag.fr. « Aujourd’hui, le FLNKS est entre les mains des plus radicaux. Les deux principaux partis qui composaient ce front l’ont quitté », a aussi rappelé Nicolas Metzdorf, sur Sud Radio. En août 2024, le Parti de libération kanak (Palika) et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM), deux mouvances modérées, avaient en effet rompu les liens avec le FLNKS.
« Aujourd’hui, ce n’est pas l’ensemble des indépendantistes qui refuse Bougival. C’est seulement une fraction : la faction la plus radicale et violente »
Une source loyalisteà 42mag.fr
En attendant d’éventuels échanges entre Manuel Valls et les indépendantistes, « on n’est pas dans un vide juridique ni politique », résume Benoît Trépied. « Dans l’accord de Nouméa de 1998, qui organisait jusqu’ici le processus de décolonisation, il existe une clause très claire. Elle précise que tant qu’aucun nouvel accord n’est conclu, celui de Nouméa continue de s’appliquer. Cela signifie que les élections provinciales prévues pour novembre 2025 auront lieu comme prévu. »
Le spectre de nouvelles violences
En effet, « tant que les consultations n’aboutissent pas à une nouvelle organisation politique proposée, celle mise en place par l’accord de 1998 demeure en vigueur dans son stade le plus avancé, sans possibilité de retour en arrière, et cette irréversibilité est constitutionnellement garantie », peut-on lire dans l’accord de Nouméa. L’organisation actuelle prévoit « des élections provinciales tous les cinq ans. Celles de mai 2024 ont déjà été repoussées deux fois. Il n’y a pas de raison légitime de les reporter une troisième fois, puisqu’aucun accord politique ne le justifie », poursuit Benoît Trépied.
De leur côté, les non-indépendantistes craignent que le revirement du FLNKS après l’accord de Bougival n’annonce « une forme de chantage à la violence contre l’État », avec le spectre de nouveaux épisodes de violence sur l’archipel, avertit une source loyaliste. « Comme toujours, les indépendantistes les plus extrémistes font monter la pression. On entend les mêmes menaces qu’à l’hiver 2024, avant le dégel du corps électoral. On connaît la suite… »
« L’avenir de Bougival dépendra de l’État et du ministre Valls. Vont-ils faire respecter la démocratie ? Ou vont-ils encore céder face aux indépendantistes radicaux ? »
Une source loyalisteà 42mag.fr
Ce dégel était ainsi au cœur des dernières violences, avec l’objectif d’élargir le corps électoral pour les scrutins locaux. Selon l’accord de Bougival, lors des prochaines élections provinciales prévues en 2026, le corps électoral doit s’ouvrir à toute personne née en Nouvelle-Calédonie et à celles ayant choisi de s’y installer jusqu’en 2011.