Ce lundi, le chef du gouvernement s’est retrouvé en situation de minorité à l’issue d’un scrutin de confiance qu’il avait lui-même réclamé. Le verdict, loin d’étonner les députés, n’a pas surpris les nombreux élus présents à l’Assemblée nationale.
François Bayrou n’a pas pris le temps de s’éterniser à l’Assemblée nationale. Il a rapidement quitté l’hémicycle après avoir été mis en minorité par les députés, lundi 8 septembre, lors du vote de confiance auquel il avait choisi de soumettre son gouvernement, qui était destitué avec lui. Le verdict est sans appel: 364 voix contre la confiance, 194 pour. Sans surprise majeure. Les députés sortent du parquet sans cris ni réjouissance particulière.
« C’est un constat de fin de règne, mais on n’a pas forcément envie de danser sur des cendres », déclare l’élu du Rassemblement national (RN) Bruno Bilde, au passage devant les journalistes. « Tenir avec un tiers des députés, ce n’est pas possible. L’imposture démocratique depuis un an est révélée », jubile l’insoumis Eric Coquerel.
Un peu plus tôt, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, l’atmosphère oscille entre absence de tension et indifférence palpable. Entre deux, ce qui caractérise les circonstances où l’issue est connue d’avance, même lorsque l’événement est majeur. « C’est un moment de gravité et de solennité. Ce n’est pas anodin ce qui va se passer », anticipe Edwige Diaz, députée RN de Gironde, à son arrivée. « Je trouve que tout le monde paraît en forme, comme si les beaux jours s’annonçaient. Mais c’est une journée très triste », commente Olivia Grégoire, ancienne ministre macroniste et députée Ensemble pour la République (EPR).
« Si vous criez, je bois »
Du côté de la gauche, les tonalités diffèrent. « Optimiste et soulagé », affirme l’insoumis Antoine Léaument. « On a hâte de passer à autre chose », répond Emmanuel Grégoire, député PS de Paris. « Quel gâchis », regrette pour sa part Erwan Balanant, MoDem, avant d’entrer dans l’hémicycle pour y écouter le chef de file de son mouvement.
À 15 heures, François Bayrou s’avance vers la tribune. Sa voix se sert du tremolo lorsque ses premiers mots franchissent ses lèvres. Un petit tumulte provoqué par la députée de LFI Sophia Chikirou lui permet d’avaler une gorgée d’eau. « Si vous criez, je bois », avertit-il avec une pointe d’humour. « Les questions politiques s’adressent aux adultes. Les questions historiques concernent les enfants », déclare-t-il en ouverture, se présentant comme le maire de Pau. Le premier point d’interrogation porte sur la longueur de son allocution. Va-t-il faire court pour mettre fin à ses difficultés, ou profiter de cette ultime tribune pour façonner ce qui ressemblerait à un testament de son action politique ? Probablement long. « C’est sa dernière, il va vouloir se faire plaisir », prédit une parlementaire d’opposition.
Jean-Luc Mélenchon est présent dans les tribunes de l’Assemblée, fidèle à sa pratique lors des moments importants. Il se déplace aux côtés des députés de son parti, sous le regard des nombreuses caméras. « Il va passer devant vous, mais il n’a pas le droit de parler. Il n’est pas député. C’est le règlement de l’Assemblée », rappelle le service de presse des insoumis. La dirigeante du parti écologiste, Marine Tondelier, qui n’est pas non plus élue, est aussi présente dans les tribunes.
« La conjonction des forces qui annoncent qu’elles vont additionner leurs voix pour faire tomber le gouvernement, c’est un tohu-bohu qui se prépare pour la France », écrit à nouveau le Premier ministre à la tribune, répétant le constat des finances publiques exsangues. François Bayrou répond mot à mot aux prétentions des oppositions sur la réduction du budget et sur les 44 milliards d’euros que son gouvernement visait à économiser. Dans l’hémicycle, Marine Le Pen suit le déroulement, tout comme François Hollande.
« De la hauteur », « sans surprise », « crépusculaire »
Certains journalistes posent leur regard du côté du Palais du Luxembourg. Au même moment, Élisabeth Borne lit le même texte, mot pour mot, devant les sénateurs. La ministre de l’Éducation termine son discours cinq minutes avant le Premier ministre. Un léger recul par rapport à des échéances plus anciennes: en début d’année, elle l’avait devancé d’une vingtaine de minutes. L’explication réside dans un débit plus rapide et l’interdiction de s’écarter du texte, tandis que le maire de Pau préfère l’art de la digression, son pli préféré.
Pour autant, le Premier ministre rejette ces présages. Son intervention dure 42 minutes, soit près de la moitié de la durée de sa précédente déclaration de politique générale, faite en janvier. Il est peu bousculé par l’opposition, sans être provoqué pour autant.
Tandis que les orateurs des différentes formations poursuivent leurs arguments, les députés sortent dans la salle des Quatre-Colonnes, où se tient la presse. « Objectivement, il y avait de la hauteur », apprécie le député EPR Mathieu Lefèvre. « Sans surprise », juge le socialiste Laurent Baumel. « Il cherche à écrire sa légende avec des accents gaulliens, comme un homme au-dessus des partis », remarque un élu du bloc centriste. « Résigné, crépusculaire », soupire un membre de ce même bloc. « C’était calme, comme l’ambiance de cet après-midi, parce que chacun connaît les résultats », résume le député RN Julien Odoul.
Autre point d’interrogation du jour: le vote des députés LR. Combien d’entre eux voteront-ils contre la confiance à Bayrou et à un gouvernement comprenant des figures de leur propre parti ? Laurent Wauquiez avait donné une liberté de vote à ses troupes. Avec 26 députés LR, Philippe Gosselin vote pour, « parce que je suis cohérent et responsable, deux qualificatifs qui semblent appartenir à l’ancien monde, mais j’assume ». Neuf s’abstiennent, treize votent contre. Certains tentent de minimiser les divisions. La journée de mardi sera consacrée à des réunions entre les diverses instances du parti afin d’établir une stratégie et les conditions d’une participation au prochain gouvernement.
Pression maximale sur Emmanuel Macron
Désormais, le vrai suspense porte sur l’après. Que va faire Emmanuel Macron ? Doit-il parler rapidement ou prendre son temps ? « Il doit cesser de s’obstiner. Il devrait agir comme s’il avait nommé un Premier ministre de gauche le 8 juillet 2024 et entamer une cohabitation », affirme Benjamin Lucas-Lundy, député écologiste. Boris Vallaud porte le message sur la tribune: « Nous sommes prêts, qu’Emmanuel Macron vienne nous chercher », lance le président et porte-parole du groupe socialiste. Un discours perçu par certains fidèles du PS et du macronisme comme quelque peu sévère. « On est encore au tout début, personne ne montre vraiment ses cartes », estime Sacha Houlié, ancien député macroniste devenu soutien de Raphaël Gucksmann. « Si Emmanuel Macron bouge sur la question fiscale, tout peut s’ouvrir », espère-t-il.
Les insoumis et le RN poursuivent, eux, la pression sur Emmanuel Macron. Marine Le Pen prend la parole en fin d’après-midi parmi les dernières oratrices. Si elle salue « la fin d’un gouvernement fantôme », le chef de l’État demeure sa cible principale. « La dissolution n’est pas une option, mais une obligation », martèle la présidente du groupe RN à l’Assemblée. Peu avant 18 heures, c’est au tour de Mathide Panot de prendre la parole. « Partez aujourd’hui, Monsieur Bayrou. Monsieur Macron vous suivra de près », promet la présidente du groupe LFI, évoquant comme nouvel horizon politique le 10 septembre, après l’épisode marquant du 8 septembre.
Dès mardi, les députés, dont les travaux restent suspendus tant qu’aucun gouvernement n’est constitué, regagnent leurs circonscriptions pour préparer les éventualités d’une dissolution. Le député apparenté communiste Emmanuel Maurel quitte le Palais-Bourbon, portant ostensiblement sous le bras un livre au titre accrocheur : L’humeur révolutionnaire. Tout un programme.