En 2017, ce premier volet s’était hissé parmi les titres indépendants les plus vendus de toute l’histoire du jeu vidéo.
Lucie, 33 ans, a confié à 42mag.fr qu’elle avait posé deux jours de congé pour s’adonner à Silksong, et qu’il ne lui restait plus que quelques heures avant la sortie, l’excitation à son comble. Pour bon nombre de fans, le jeudi 4 septembre est désormais gravé dans leur planning depuis des semaines. Après sept années de travail, l’un des jeux les plus attendus de l’année, Hollow Knight : Silksong, est enfin disponible. D’après les chiffres de Steam, près de 5 millions d’utilisateurs l’ont ajouté à leur liste d’envies, bien au-delà de grands titres comme Battlefied 6.
Cependant, derrière cet engouement ne se cache qu’une petite équipe de trois développeurs et artistes originaires d’Australie, opérant avec un budget modeste en comparaison des nombreuses productions actuelles. Le titre propose un univers sombre en 2D et ne ressemble en rien aux jeux les plus en vue du moment. Tous les observateurs et spécialistes du domaine s’accordent sur une qualification marquante : Hollow Knight : Silksong constitue une « anomalie » dans une industrie où les jeux indépendants, conçus en dehors des grands studios et avec des moyens limités, peinent à gagner en visibilité.
Un succès improbable
Le succès tient surtout à sa fonction de suite directe de Hollow Knight, sorti en 2017 et élaboré par la même équipe, la « Team Cherry ». Le titre met le joueur dans la peau d’un chevalier insecte explorant une immense zone souterraine, une sorte de ruche géante, afin d’atteindre les profondeurs d’un royaume déchu et d’y affronter une entité maléfique ainsi que divers ennemis. Le jeu s’inscrit dans le genre du « métroidvania », né de la fusion des univers de Metroid et de Castlevania, apparus entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Le principe repose sur l’exploration d’un monde en deux dimensions où certains accès restent bloqués au démarrage et se débloquent au fil de l’avancement du joueur grâce à l’acquisition de capacités nouvelles.
Le financement initial a été assuré en 2014 via une campagne Kickstarter, avec 57 138 dollars australiens récoltés sur un objectif de 35 000, une somme dérisoire comparée aux budgets colossaux des grandes productions. Avec seulement trois développeurs pour mener l’intégralité du projet, la tâche apparaissait quasi insurmontable, alors même que les grands studios s’appuient sur des effectifs pléthoriques. Pourtant, peu après sa sortie, Hollow Knight s’est vendu à environ 15 millions d’exemplaires, selon Bloomberg, ce qui en fait l’un des jeux indépendants les plus vendus de l’histoire du jeu vidéo. En France, le titre figure parmi les 31 premières œuvres vidéoludiques les mieux notées sur Senscritique.
« Le jeu a gagné au fil des années une aura et une dimension culte, nourries par son style graphique dessiné à la main dans un univers d’insectes », confie Benoit Reinier, vidéaste et journaliste spécialisé en jeux vidéo. « Hollow Knight propose une narration « cryptique », c’est‑à‑dire que tout n’est pas immédiatement dévoilé par les dialogues. Il faut piocher des indices pour comprendre l’histoire du monde du jeu, ce qui est peu commun dans les grosses productions », précise Maxime, 24 ans, un passionné du titre.
Une suite extrêmement attendue
Suite à ce succès inattendu, des contenus supplémentaires étaient promis via une mise à jour, promettant des heures de jeu supplémentaires. Or, en 2019, face à l’ampleur de la tâche, la Team Cherry annonça que ce contenu téléchargeable prendrait la forme d’un tout nouveau jeu à part entière, baptisé Silksong.
Mais après 2020, le silence s’est installé. La suite est ainsi devenue ce que l’on appelle une arlésienne : une œuvre très attendue qui semble ne jamais sortir, malgré un enthousiasme tenace du public. « Ils n’ont pas eu besoin de faire de publicité, car le fait de ne pas en parler a justement été la meilleure publicité pour le jeu », affirme Benoit Reinier. C’est même devenu une blague en ligne. » Une communauté fidèle s’est constituée autour du projet, attendant la moindre information sur cette suite, ce qui a renforcé sa réputation.
« Au lieu d’intervenir et d’agiter les foules pour le plaisir, nous avions l’impression que notre véritable responsabilité était simplement de travailler sur le jeu », déclarait William Pellen, l’un des trois créateurs du jeu, à Bloomberg le 21 août. Après sept années de développement, la date de sortie fixée à septembre a finalement été révélée cet été. « Je pense que nous sous-estimons toujours le temps et les efforts nécessaires pour réaliser nos projets », ajoutait Ari Gibson, responsable de la direction artistique. À la Gamescom d’août 2025, l’un des plus grands salons actuels du jeu vidéo organisé à Cologne, où Silksong était jouable pour la première fois, l’AFP relatait de longues files d’attente durables, obligeant les organisateurs à réguler l’accès à son stand.
Une « anomalie » dans la production actuelle
Pour sa sortie, le jeu a été lancé à un prix particulièrement bas, au regard de l’attente considérable qui l’accompagne, dans l’espoir de booster les ventes. « De nombreux développeurs indépendants ont critiqué ce choix, le jugeant trop bas par rapport aux coûts de développement actuels et craignant qu’il soit difficile ensuite d’imposer des tarifs plus élevés », nuance Mathieu Lanz, spécialiste de l’industrie du jeu vidéo.
Quoi qu’il en soit, le titre est destiné à rencontrer un grand succès auprès du grand public, tout en étant moins ambitieux techniquement que ses concurrents. Dans un secteur en crise, où de nombreuses vagues de licenciements touchent les grands studios depuis 2024, cette réussite pourrait toutefois tracer une voie alternative en matière de production et de modèle économique, moins vorace en coûts.
« Chaque année, des succès populaires émergent chez de petits jeux indépendants. Mais en parallèle, les licenciements dans les grands studios persistent, tout comme les difficultés à obtenir des financements, et la crise demeure loin d’être finie »
Benoît Reinier, journaliste spécialiste du jeu vidéoà 42mag.fr
« Hollow Knight reste une anomalie », conclut Mathieu Lanz. « Mais peut‑être peut‑on espérer que les studios comprennent enfin que laisser du temps à leurs équipes et leur accorder une liberté créatrice pour sortir des produits qui se démarquent permet d’obtenir des jeux d’excellente qualité et du succès. »