Plusieurs humoristes, dont Bertrand Chameroy, Akim Omiri et Charline Vanhoenacker, expliquent que les péripéties de la crise politique les stimulent autant qu’elles les obligent à remettre rapidement leurs sketches au goût du jour. Le retour de Sébastien Lecornu à Matignon devrait leur apporter encore davantage de matière pour nourrir leur travail humoristique.
Charline Vanhoenacker marque une pause au micro avant de lâcher sa punchline finale. « Moi, je ne vois plus qu’une issue, le retour de Jospin. On a 48 heures pour le rapatrier de l’île de Ré. » Le rire éclate dans le studio de France Inter. Sa chronique, jeudi 9 octobre, fait mouche. Peu avant, elle racontait cette journée mouvementée où Olivier Faure, le chef du Parti socialiste, a frôlé à trois reprises le poste de Premier ministre.
La veille, elle avait pris plaisir à comparer la crise politique à une partie de chat perché. L’avant-veille, elle avait rafraîchi les mémoires des auditeurs : « Pendant dix ans, vous vous êtes payés notre tribune avec les Belges : ‘Hahaha, toujours pas de gouvernement ?’ Et aujourd’hui ? On vous prend en exemple ! »
Charmée par les nuances de la vie politique française, Charline Vanhoenacker n’a pas manqué de souligner les aléas des nominations et des renominations, les tractations interminables, les portes qui s’ouvrent et celles qui claquent, les appuis tactiques et les essais ratés… « Aujourd’hui, on dirait qu’on touche au bout de la caricature. » observe l’ancienne journaliste, persuadée qu’une « explosion générale » se profile, annonçant la fin d’un cycle.
On ne cesse d’être confrontés à des rebondissements
La crise politique constitue une source d’inspiration inépuisable pour les humoristes, qu’ils travaillent à la radio, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. « Bonsoir, nos invités souffrent de pathologies handicapantes : comment composer avec au quotidien quand on occupe une fonction à responsabilités ? » commence-t-on souvent à les entendre ailleurs. Le concept est abordé avec humour et dérision, à travers des personnages et des micro-sketches qui prennent les dirigeants comme matières premières. Par exemple, Emmanuel, qu’on décrit comme un PDG d’un pays âgé de 47 ans, incapable de déléguer, impulsif et obstiné, est moqué sur le plateau de C à vous en faisant écho à l’esprit de l’émission Ça se discute produite autrefois par Jean-Luc Delarue.
Sur Instagram, Nicole Ferroni propose une séance de thérapie à Sébastien Lecornu, qu’elle compare à une « touillette ». « Le président joue du bout du doigt pour activer un joli coup médiatique, puis il vous laisse tomber ».
Hugues Lavigne, lui, s’est glissé dans la panoplie du responsable RH de l’Elysée. Costumé, chemise blanche impeccable, lunettes et coiffure soignée, il incarne ce personnage. « Mais bon, les contrats à l’Elysée, c’est comme les stories: ils durent à peine 24 heures ! », lance-t-il en faisant voler une pile de dossiers. « On va créer un nouveau type de contrat: le CDTD, contrat à durée très déterminée. » Résultat : près de 7 millions de vues fin de semaine pour cette vidéo 33 secondes tournée dans son appartement du Val-d’Oise. « Il y a des rebondissements tout le temps, on dirait une série Netflix qui ne s’achève jamais », confie le jeune slipped humoriste, visiblement ravi d’avoir saisi la brèche.
Le microcosme politique inspire aussi les plus hermétiques. Marie de Brauer, qui tient une chronique quotidienne dans l’émission Zoom Zoom Zen sur France Inter, explique qu’elle a dû puiser dans la matière pour éviter le déni: « J’ai réalisé une chronique sur Lecornu lundi qui s’intitulait ‘Pas inspirée par Lecornu’, afin de trouver des vannes sur l’absence d’inspiration ».
On devrait reverser une partie de nos cachets aux politiques
Adèle Barbers, quant à elle, n’a pas nécessairement eu besoin de se forcer. Cette quadragénaire a passé huit ans au sommet des arcanes du pouvoir avant de prendre le chemin des planches. Dans son spectacle Maladroite, l’ancienne assistante parlementaire dissèque, avec une précision chirurgicale, les ficelles de communication employées par les acteurs politiques. Le titre est trompeur: elle décompose les formulations et les tics de langage, les métamorphosant en scène comique. « Je pense qu’on devrait reverser une partie de nos cachets aux politiques », sourit-elle.
Jeudi encore, sur l’émission Twitch Backseat, elle analyse l’interview de Sébastien Lecornu face à Léa Salamé et dénombre onze moments où le ministre répète qu’il a démissionné. Cela lui donne cette fulgurance : « C’est une alerte à l’enlèvement. Il appelle à l’aide. Macron l’a enlevé ! »
Mais les rebondissements se multipliant à l’envi, les humoristes doivent sans cesse renouveler leur matériel et parfois réécrire leurs sketchs. Charline Vanhoenacker faisait partie des près de sept millions de téléspectateurs du 20 Heures de France 2 mercredi soir. « Lorsque l’interview s’est terminée, je n’avais que 20 % de la chronique du lendemain matin écrite », confie-t-elle. « Je n’affectionne pas particulièrement ce genre de configuration… La condition sine qua non de l’humour demeure la capacité de prendre du recul. »
Bertrand Chameroy, lui aussi chroniqueur sur France Inter, partage ce vertige: « On n’a pas dit qu’on manquait de matière; il suffit de se pencher pour en récolter. Le souci, c’est que tout évolue si vite depuis dimanche qu’un papier prévu pour 7h50 peut être périmé avant sa diffusion. » Même la période de dissolution estivale 2024 lui a semblé plus calme: « Il y a des rebondissements toutes les heures; on s’adapte jusqu’à la dernière minute. »
Le risque, c’est de tourner en rond
Si chaque journée apporte son lot d’impondérables, le blocage politique persiste et la situation paraît désormais inextricable. « Le danger, c’est de rester à tourner en rond. Les politiciens répètent les mêmes gags, mais nous ne devons pas faire les mêmes sketches », tranche Romuald Maufras, en tournée avec son spectacle Saison 3. Celui qui compte plus de 100 000 abonnés sur Instagram a fait de cette optique une ligne directrice: chaque dimanche, il met les mains à la pâle et prépare littéralement la journée d’actualité sur scène, une main sur la planche et l’autre armée d’une punchline bien tranchante.
Le public semble partager ce besoin d’exutoire. Depuis la cale de son théâtre-bateau, La Nouvelle Seine, Jessie Varin guette les rires. Depuis la dissolution, ceux-ci résonnent différemment, plus nerveux. La programmatrice aguerrie refuse d’être dans le déni de ce climat social et économique et estime qu’il faut multiplier les prises de parole politisées sur les plateaux: « c’est le dernier espace de liberté totale », affirme-t-elle.
Quoi qu’il advienne dans l’actualité politique, les humoristes n’envisagent pas de changer de registre. Leur arsenal comique conserve ses munitions prêtes à l’emploi. « On va encore rester sur ce registre, c’est sûr », prévoit Bertrand Chameroy. Lors du festival au théâtre François-Villon de Vesoul, Hugues Lavigne a repris son sketch désormais célèbre sur le « RH de l’Elysée »: « Chercher un Premier ministre, c’est comme jouer à Qui est-ce ? Est-ce une femme ? Est-il chauve ? A-t-il déjà été condamné ? »