Même si les actes de dégradation volontaire restent rares, ces « cadeaux » destinés à concurrencer les gros réparateurs agréés séduisent un assuré sur trois et font gonfler le prix des factures.
Faire remettre en état son pare-brise et repartir avec une console de jeux vidéo, une trottinette ou un robot culinaire, c’est désormais faisable. Et c’est surtout ce que pointe du doigt France Assurance, la fédération professionnelle des sociétés d’assurance en France. De petits ateliers mécaniques n’hésitent plus à offrir des cadeaux, en plus de la franchise et du remplacement du vitrage, afin de concurrencer les grands réparateurs agréés.
Ces pratiques commerciales séduisantes font grimper le montant des factures, alors que le bris de glace représente environ 37% des sinistres automobiles pris en charge par les assureurs, selon Sécurité et réparation automobiles, un organisme professionnel auquel toutes les compagnies d’assurance automobile adhèrent. En 2023, ce poste pesait près de 1,8 milliard d’euros.
Dommages délibérés
Ces cadeaux séduisent aujourd’hui un assuré sur trois, à l’image de Justin, qui rêvait depuis longtemps d’une Nintendo Switch. Lorsque qu’un petit caillou a provoqué une éclat sur son pare-brise, le Rouennais et sa compagne ont envisagé une idée: « Sur les réseaux sociaux, on voyait des témoignages affirmant qu’on pouvait changer son pare-brise et obtenir en échange une Switch. » « Pourquoi pas nous ? », se demande alors le couple.
Pour être sûr que son pare-brise soit non pas réparé mais bien remplacé et obtenir ainsi le cadeau, Justin a joué la carte de l’extrême. « Je m’en souviendrai toute ma vie de ce moment », plaisante-t-il. « J’ai sorti le marteau et les vis. J’ai inséré la vis dans l’impact et j’ai commencé à frapper. » Il pensait même que tout l’immeuble serait réveillé, et finalement, cela a fonctionné. Après avoir réglé la franchise de 40 euros, il est reparti avec un pare-brise neuf et sa console.
Tout est transparent
Les dégradations intentionnelles restent toutefois rares. « On ne cherche pas à casser délibérément son pare-brise », affirme Émilie, qui a vu le sien se fissurer alors qu’elle conduisait. « Sur l’autoroute A4, un camion m’a envoyé un petit caillou », raconte-t-elle. Mais en quelques clics, la mère de famille a découvert un garage en Île-de-France qui propose des cadeaux d’une valeur de 200 euros. « J’ai pris la Nintendo Switch », sourit-elle.
« C’est la bonne période, surtout avant Noël, ça nous fait gagner un peu d’argent. »
Émilie, mère de familleà 42mag.fr
Émilie n’a pas déboursé un centime : la facture a été envoyée directement à l’assurance, qui l’a réglée, explique Selma, la secrétaire commerciale du garage, spécialisé uniquement dans le remplacement des pare-brise. « On fait signer les papiers aux clients. Tout est clair, tout est réglé. On leur remet leur cadeau à la fin », résume-t-elle.
Pourtant, afin de dégager une marge tout en offrant des cadeaux, ces garages sont accusés d’inflationner leurs factures envers les assurances. Selma nie fermement: « Aujourd’hui, quand on envoie une facture à une assurance, on ne peut pas surfacturer car il y a des experts qui vérifient. Et puis, quand on renseigne le numéro d’immatriculation, on connaît déjà les tarifs. » Elle assure par ailleurs que son établissement « ne réalise que très peu de marge ».
Mais pour cette entité non agréée, impossible de faire autrement que proposer des cadeaux pour attirer les clients. Dans d’autres entreprises, la valeur des cadeaux peut atteindre 500 euros. C’est le cas d’un garage qui fait sa publicité sur TikTok et incite les conducteurs de moto-cross ou de trottinettes à se rendre chez lui pour empocher une PlayStation 5. La concurrence est de plus en plus féroce : en trois ans, le nombre de réparateurs de pare-brise a progressé d’environ 15 % en France.
Il faut mettre de la surveillance
Comme rien n’est gratuit, ces cadeaux pourraient rapidement se répercuter sur les primes des assureurs. Pour obtenir une marge, ces professionnels n’ont pas d’autre option que de surfacturer selon Jean-Philippe Dogneton. « Je suis sidéré », lâche le directeur général de la Macif, qui observe des factures de bris de glace nettement plus élevées ces derniers mois.
« Nous avons un coût qui peut varier du simple au double. Pour être efficace, nous devons reprendre la main. »
Jean-Philippe Dogneton, directeur général de la Macifà 42mag.fr
Mais comment reprendre la main sur un secteur aussi concurrentiel ? « Il faut instaurer une supervision », martèle Jean-Philippe Dogneton. « Cela peut constituer une solution ultime. On pourrait même fixer une valeur moyenne d’un pare-brise et, à partir de là, appliquer notre plafond », suggère-t-il.
Une hausse d’environ 5 % des primes d’assurance automobile est attendue l’an prochain afin de suivre l’inflation et pour absorber ces coûts; les assureurs n’écartent pas d’éventuelles augmentations supplémentaires des cotisations. « Évidemment, le consommateur pense d’abord aux cadeaux immédiats. Il ne pense pas à la cotisation qu’il recevra ensuite », avertit-il. C’est pourquoi le directeur général de la Macif « appelle vraiment au bon sens » — mais « sollicite aussi les parlementaires ».
« Certains ont essayé, en 2023, de faire adopter une loi pour réguler la question des cadeaux. » Cette loi, toutefois, n’a pas abouti. Néanmoins, le sujet demeure et reste bien présent sur la table. Pour éviter que l’encadrement du remplacement des pare-brise n’arrive trop tard, la Macif a esquissé une piste en rachetant Mondial Pare-Brise en 2023 pour 100 millions d’euros.