Alors que le cadre temporel imposé par la Constitution pour adopter le budget lors de la première lecture se rapproche à grands pas, plusieurs élus envisagent des solutions alternatives, telles que le recours aux ordonnances, l’adoption d’une loi spéciale… ou même l’application de l’article 49.3.
Le Parlement parviendra-t-il à adopter le budget dans les temps ? Après plus d’une semaine de débats nerveux à l’Assemblée nationale, la question animait les discussions ce lundi 3 novembre. Les échanges peinent à sortir de l’impasse et les compromis apparaissent difficiles à obtenir au sein de l’hémicycle. Dans ce contexte, plusieurs responsables politiques évoquent ouvertement des voies alternatives, telles qu une loi spécifique au budget, le recours à des ordonnances ou même le retour de l’article 49.3 de la Constitution. Voici pourquoi ces hypothèses gagnent en crédibilité.
Des échanges qui s’éternisent
Le temps presse à l’Assemblée nationale. Alors que la phase de vote en première lecture sur la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) était censée se dérouler le mardi 4 novembre, des centaines d’amendements demeurent à examiner. Les députés devront même interrompre temporairement les débats pour se consacrer, dès mardi, à l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le Premier volet de ce texte serait, en théorie, soumis au vote le 12 novembre, sauf en cas d’un nouveau report des délais. Après cela, l’Assemblée poursuivra l’examen et le vote du PLF avant de le transmettre au Sénat.
Ces retards récurrents pourraient bien compromettre l’ensemble du budget. En effet, la Constitution fixe une échéance à minuit du 23 novembre pour l’adoption en première lecture et le 23 décembre pour l’intégralité du processus budgétaire. Le calendrier est extrêmement resserré compte tenu de la lenteur des débats parlementaires depuis le début des discussions. Dans ces conditions, il semble « hautement probable » que l’Assemblée nationale ne parvienne pas à boucler entièrement l’examen du budget, a estimé dimanche 2 novembre le député des Républicains et rapporteur général du budget, Philippe Juvin, lors d’une intervention sur LCI.
Des dissensions qui paraissent insurmontables
À ces difficultés liées au calendrier budgétaire s’ajoute un fond de dissensions profondes entre les blocs qui composent l’Assemblée nationale depuis la dissolution de l’été 2024. « Le changement culturel n’arrive pas aussi rapidement dans nos esprits que ce que j’avais anticipé », a reconnu le Premier ministre devant les députés. Le « pari » du renoncement du 49.3 « fonctionne un peu, mais pas totalement », a-t-il admis. Et pour preuve, aucun groupe ne paraît assuré d’apporter son assentiment à un budget dont les dispositions affichent des couleurs politiques très diverses.
Pour les Républicains, le texte n’est « pas votable tel quel ». Le constat est du même tonneau côté Rassemblement National, qui réclame toujours une dissolution et dénonce, par l’intermédiaire de son vice-président Sébastien Chenu, « un budget bricolé, dépourvu de toute cohérence et qui ne s’attaque pas aux dépenses toxiques de l’État ». La France insoumise maintient aussi son opposition farouche et n’hésite pas à viser les socialistes, jugés plus enclins au compromis et accusés d’« avoir changé d’alliance », selon Jean-Luc Mélenchon.Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, n’a pas hésité à brandir la menace d’une censure du gouvernement si de nouvelles concessions ne sont pas consenties au nom d’une meilleure justice fiscale. Même au sein du parti présidentiel Renaissance, certains artistes politiques manifestent de l’agacement face à certaines mesures adoptées par la gauche ou par le RN.
Dans ce contexte, Sébastien Lecornu, interviewé dans Le Parisien, appelle à « changer de méthode » et à adopter une « stratégie des petits pas ». Ses ministres réuniront prochainement, loin des flashs des caméras, l’ensemble des responsables budgétaires désignés par les groupes parlementaires afin d’avancer sur « les grands principes de l’atterrissage ». Le chef du gouvernement annonce ainsi une « seconde lecture » à l’Assemblée, après le passage du texte par le Sénat, qu’il présente comme « le moment de vérité ».
Des scénarios alternatifs sur la table
Face au risque de ne pas adopter de budget d’ici la fin de l’année, certains élus commencent à envisager – voire à privilégier – d’autres options. « On sait très bien qu’on va nous infliger le coup des ordonnances », a averti Hervé Marseille, leader des sénateurs centristes, lors d’une intervention sur Public Sénat. « On part tout droit vers les ordonnances », a ajouté Marine Le Pen. Car si le Parlement reste sans décision dans un délai de 70 jours, le gouvernement peut en effet mettre en œuvre son projet initial par ordonnance, une procédure inédite sous la Ve République. « Si les débats budgétaires s’enlisent, cela pourrait nous amener tout droit vers l’usage des ordonnances », estime le constitutionnaliste Benjamin Morel dans ses analyses publiées sur X.
Une autre piste envisagée en cas de rejet du budget serait le dépôt d’une loi spéciale avant le 19 décembre, qui autoriserait l’État à percevoir les impôts existants. Les dépenses étant gelées par décret, le vote d’un budget pourrait intervenir au début de 2026. Cette option avait déjà été utilisée fin 2024 après l’échec de l’adoption du budget. Toutefois, selon Bercy, elle coûterait quelque 11 milliards d’euros à l’économie. Cette solution séduirait toutefois une partie des parlementaires du camp central, car elle permettrait d’éviter d’avoir à voter des mesures impopulaires comme des hausses d’impôt ou des dépenses supplémentaires.
Autre hypothèse évoquée : le retour de l’article 49.3, promesse du Premier ministre de ne pas l’utiliser. Marc Fesneau, président du groupe MoDem, privilégierait cette voie à l’issue des discussions budgétaires afin d’éviter que les socialistes aient à voter le budget, ce qui serait compliqué pour un groupe d’opposition. « Ce serait un 49.3 de compromis, non pas pour imposer le Parlement, mais pour acter ce sur quoi il existe un accord », estime le député dans Libération.
Alors, loi spéciale ? Ordonnances ? Retour du 49.3 ? « Il est bien trop tôt pour parler de ces hypothèses. Évoquer l’après suppose qu’on dispose déjà d’une stratégie pour éviter le Parlement. Or ce n’est pas le cas », contredit néanmoins Laurent Panifous, ministre chargé des Relations avec le Parlement, sur Public Sénat. Et jusqu’où iront-ils ?







