Des personnages d’un réalisme saisissant et des univers virtuels conçus sur simple demande : même si les promesses des outils d’intelligence artificielle (IA) générative font miroiter des jeux vidéo plus ambitieux et moins coûteux à produire, ces avancées se heurtent aux inquiétudes exprimées par les artistes et les développeurs.
Doublage, visuels, code… « l’IA générative est déjà bien plus présente qu’on ne le croit, mais à une échelle très limitée », explique à l’AFP Mike Cook, concepteur de jeux et enseignant en IA au King’s College London, estimant qu’elle demeure peu visible dans le produit fini.
Selon une étude menée par la start-up américaine Totally Human Media, près d’un titre sur cinq publié en 2025 sur Steam intègre des technologies d’IA générative dès sa phase de développement. Cela représente des milliers de jeux ces dernières années, incluant des productions très populaires comme le shooter Call of Duty : Black Ops 6 et la simulation de vie Inzoi.
Davy Chadwick, consultant en IA, affirme que l’essor rapide de l’IA générative pourrait permettre de « fusionner plusieurs métiers en un seul grâce à ces outils » et « booster la production de 30 à 40% ».
Les avancées vont vite: des logiciels permettent désormais à chacun de générer, à partir d’une simple consigne textuelle, des éléments en 3D tels que des objets ou des personnages, directement intégrables dans un jeu. « Autrefois, créer un modèle 3D de haute qualité prenait deux semaines et coûtait 1 000 dollars. Aujourd’hui, cela prend une minute et coûte environ 2 dollars », indique Ethan Hu, fondateur de Meshy.ai, entreprise californienne qui revendique plus de cinq millions d’utilisateurs.
Sujet délicat
Partenariat avec Stability AI pour Electronic Arts, développement de Muse, son modèle interne, pour Microsoft… l’industrie culturelle, première au monde (près de 190 milliards de dollars de revenus estimés en 2025 selon Newzoo), a vu ses grands acteurs multiplier les investissements dans l’IA ces dernières années. L’objectif affiché serait d’améliorer leur productivité tout « en réduisant les coûts et le temps de développement », détaille Tommy Thompson, fondateur de la plateforme AI and Games.
Mais dans un secteur qui a connu ces dernières années des vagues de licenciements, « il y a beaucoup de méfiance et de crainte » face à un outil « qui nous rendrait soi-disant plus productifs mais signifierait, à terme, des pertes d’emplois », s’inquiète, sous couvert d’anonymat, un salarié d’un studio français familier de cette technologie. Dans le cadre de la création 3D, « les objets produits par ce genre d’IA sont extrêmement chaotiques », déplore-t-il, et peu optimisés pour un jeu vidéo. « C’est franchement rédhibitoire à l’heure actuelle » car « ça prend autant de temps à reprendre qu’à faire ».
Ces inquiétudes poussent les géants du secteur à rester discrets quant à l’intégration de l’IA générative dans leurs développements. Sollicités par l’AFP, Microsoft, Electronic Arts, Ubisoft ou encore Quantic Dream ont décliné tout commentaire.
Pour Félix Balmonet, cofondateur de la start-up lyonnaise Chat3D, spécialisée dans la génération d’images 3D et qui collabore avec « deux des cinq plus gros studios du monde », le but de ces logiciels n’est pas de remplacer les artistes mais de « permettre d’accélérer leur processus de création » en automatisant certaines tâches pénibles.
La prudence s’impose
S’en passer deviendra-t-il bientôt impossible ? « Pour notre prochain jeu, il va falloir qu’on se pose la question de l’utilisation » de ces outils, confie, sous anonymat, un directeur de studio français qui vient d’achever un projet de plusieurs années « sans IA » et se dit « personnellement opposé » à leur recours.
La plupart des éditeurs et investisseurs interrogés par l’AFP affirment ne pas faire de l’IA un critère préalable au financement d’un jeu. Car « il faut faire preuve de prudence quand on l’utilise », déclare Piotr Bajraszewski, responsable du développement commercial chez 11 Bit Studios (Pologne). Leur dernier projet, The Alters, sorti en juin, a suscité la colère des joueurs en raison de l’inclusion de textes générés par IA, sans avertissement préalable. Le studio a évoqué un simple « oubli » d’un élément « temporaire », mais cela montre l’attention que certains joueurs portent au travail des créateurs.







