En tant qu’invité politique de l’émission « La Matinale » le vendredi 21 novembre, le coordinateur de La France insoumise et député LFI des Bouches-du-Rhône appelle à augmenter les effectifs dédiés à s’attaquer au haut du spectre et à remonter les filières, tout en préconisant une police de proximité.
À l’occasion d’une marche blanche destinée à rendre hommage au jeune Mehdi Kessaci, frère du militant marseillais engagé contre le narcotrafic Amine Kessaci et assassiné jeudi dernier, le pouvoir en place veut s’attaquer de manière déterminée à la narcocriminalité. Manuel Bompard, animateur de La France insoumise et député LFI des Bouches-du-Rhône, appelle à « un changement de doctrine complet », en préconisant « d’investir davantage dans la police judiciaire » et en « tournant la page de ces opérations spectaculaires, place nette, place nette XXL. » Il confirme aussi que la formation politique de Jean-Luc Mélenchon participera au cortège prévu samedi.
Ce texte reproduit une partie de l’entretien ci-dessus. Pour regarder l’intégralité de l’interview, cliquez sur la vidéo.
Serge Cimino : Nous allons d’abord échanger avec le député représentant la circonscription des Bouches-du-Rhône. Demain, une marche blanche est organisée en hommage à Mehdi Kessaci, le frère d’un militant écologiste, Amine Kessaci, figure de la lutte contre le narcotrafic à Marseille. Vous serez présent lors de cette marche blanche ?
Manuel Bompard : Oui, évidemment, et j’espère que les Marseillaises et les Marseillais seront nombreux. Il me semble crucial de démontrer que la population marseillaise ne se laisse pas intimider et qu’elle exprime son soutien, sa solidarité, comme j’entends le faire, moi aussi, envers Mehdi Kessaci, et plus particulièrement envers Amine, mais aussi envers l’ensemble de ses proches.
On ignore encore exactement qui sera présent sur le plan politique. On sait qu’Olivier Faure, Marine Tondelier, Fabien Roussel seront là, et vous aussi. On verra s’il y aura des ministres présents. Hier, il y en avait deux à Marseille : le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux. Cela tombe presque un an jour pour jour après l’arrivée de M. Migaud et de M. Retailleau, alors garde des Sceaux et ministre de l’Intérieur du gouvernement Barnier, qui avaient lancé à l’époque la lutte contre le narcotrafic comme une grande cause nationale, avec, entre autres, la création d’un parquet à l’image du parquet antiterroriste. Que vous inspire cette visite lorsque Gérald Darmanin affirme que la menace est équivalente à celle du terrorisme ?
Écoutez, je suis député de Marseille depuis 2022, et malheureusement, il faut le dire, à chaque arrivée d’un nouveau ministre de l’Intérieur ou de la Justice, il se déplace ici, il annonce des mesures et, lorsque le ministre repart, bien souvent les annonces s’envolent aussi. Aujourd’hui, je suis triste comme beaucoup de Marseillaises et de Marseillais, mais aussi en colère. Car j’ai l’impression que depuis des années, on répète les mêmes promesses, on multiplie les déplacements spectaculaires, mais la situation ne bouge pas. Il faut donc un changement de doctrine total. Il faut que les moyens nécessaires pour lutter contre la criminalité organisée soient enfin au rendez-vous.
Et ces moyens, qu’entendez-vous par là ?
Premièrement, investir davantage dans ce qu’on appelle la police judiciaire, c’est-à-dire les forces chargées de remonter des réseaux complexes et de débusquer les filières, afin d’atteindre les pôles les plus importants de ces réseaux.
Il faut davantage de policiers sur le terrain ? On parle d’un manque, d’une baisse depuis 2017 — même si une remontée a été observée –, et la Cour des comptes évoque un déficit d’environ 190 agents sur le terrain. Mais pour vous, c’est quoi exactement ?
Bien sûr qu’il faut des policiers sur le terrain, mais il faut aussi une police de proximité et des effectifs présents au quotidien. Il faut tourner la page des opérations spectaculaires que l’on a vues il y a quelques mois, ces « places nettes », « places nettes XXL », où l’on s’attaque à un point de deal pendant une journée et où, dès que l’on part, le point de deal réapparait. Il faut cesser de croire que l’on résout le problème en s’en prenant au bas de l’échelle. Il faut s’attaquer au haut du spectre et cela nécessite des effectifs dédiés. D’autant que, ces derniers jours, les syndicats de police indiquaient le besoin de milliers d’effectifs supplémentaires pour suivre ces enquêtes. Multiplier les moyens là où cela compte vraiment. Et, par ailleurs, il faut rompre aussi avec une approche purement répressive axée sur les consommateurs. Il faut des politiques de santé publique pour aider les personnes à sortir de leurs addictions.
Considéreriez-vous qu’il est contre-productif d’insister sur la criminalisation accrue des consommateurs ? Pour vous, cela ne sert à rien ?
Oui, je pense que c’est inutile et que cela ne résout aucun problème.
Pourtant, sans consommateurs, il n’y aurait pas de trafic, non ?
Oui, mais, même si beaucoup de citoyens ont déjà consommé du cannabis, cette logique persiste depuis des années en France et ne produit aucun résultat tangible. C’est précisément pourquoi je soutiens un changement de cap. Plutôt que d’envoyer les policiers pour traquer les petits consommateurs, il faut concentrer les moyens sur le démantèlement des réseaux criminels organisés. Cela n’a pas été fait comme il aurait dû l’être pendant des années. Maintenant, nous n’avons plus le temps d’attendre.
Un mot sur les prisons de haute sécurité. Pour l’instant, deux d’entre elles ont été lancées par Gérald Darmanin pour lutter notamment contre les narcotrafiquants qui s’organiseraient depuis leur cellule. Pensez-vous que cela répond à la nécessité de les isoler pour empêcher ces trafics ?
Ces quartiers de haute sécurité existent depuis les années 80 en France, et on avait décidé de les supprimer parce qu’ils étaient totalement inefficaces. J’entends qu’on me répète aujourd’hui que ce qui n’a pas fonctionné il y a 40 ans fonctionnera peut-être mieux demain. Honnêtement, je n’y crois pas une minute. Dans les prisons actuelles, ce ne sont pas des détenus qui apportent des téléphones portables pour organiser les trafics à partir de leur cellule. Non, ils bénéficient parfois de complicités internes, de corruption, etc. Donc si l’objectif est de lutter efficacement, il faut aussi s’attaquer à la corruption et aux liens d’omettre les trafiquants plutôt que de modifier la forme des établissements. Par conséquent, je déplore ces promesses et ces coups médiatiques qui ne font pas bouger la réalité.
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