Mercredi, les députés ont décidé de mettre en suspens l’application de la réforme mise en œuvre en 2023, au cours de l’examen du budget dédié à la Sécurité sociale. Le Sénat, qui dispose d’une majorité de droite, va désormais chercher à s’y opposer jusqu’au terme des discussions.
Un gel temporaire sur le texte central du second mandat d’Emmanuel Macron. Dans une victoire nette, 255 voix contre 146, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture l’article 45 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), qui prévoit de mettre en pause la réforme des retraites jusqu’à janvier 2028. « C’est une excellente nouvelle, fruit d’un travail acharné », a commenté Boris Vallaud, le chef des députés socialistes, devant la presse.
« Il faut rester mesuré: ce n’est pas la fin du chapitre, mais c’est la première concrétisation d’un compromis avec le gouvernement », estime le socialiste Laurent Baumel.
Les partisans de la suspension doivent toutefois demeurer prudents, car ce n’est pas encore une décision officielle. Pour que cette mesure devienne operative, il faudra que la suite du parcours législatif du budget de la Sécurité sociale permette de la conserver, ce qui n’est pas assuré au vu des étapes qui l’attendent au Sénat et ensuite.
Dans ce schéma, le fait que l’Assemblée n’ait pas adopté le PLFSS dans son intégralité n’est pas un obstacle majeur. Si le Sénat réintègre théoriquement le texte initial pour lancer les débats, le gouvernement s’est engagé à y reprendre les amendements qui ont été votés en séance à l’Assemblée, ce qui inclut la suspension de la réforme des retraites.
Blocage en vue
La suite se complique à présent au Sénat, où la réforme, pilotée par le gouvernement en 2023, se heurte à des résistances importantes. Les sénateurs de droite entendent s’opposer fermement à ce que les députés ont voté. « Le Sénat rétablira la réforme des retraites. Nous la votons depuis cinq ans », prévient Gérard Larcher, le président du groupe Les Républicains, dans Le Parisien fin octobre. Avec la droite majoritaire au Palais du Luxembourg, la version finale du texte reflètera inévitablement cette position. « Bruno Retailleau pourrait même proposer de porter l’âge légal à 65 ans pour se démarquer de Laurent Wauquiez », redoute un parlementaire socialiste.
« La suspension de la réforme des retraites sera complètement neutralisée au Sénat »
Un élu socialisteà 42mag.fr
Au Sénat, les formations de gauche se sont résignées à l’idée que les choses évoluent différemment, même si leurs positions sur la suspension ne coïncident pas. Les sénateurs socialistes, emmenés par Patrick Kanner, soutiendront l’ajournement validé à l’Assemblée, résultat des discussions entre les cadres du PS et le gouvernement. De l’autre côté, les communistes estiment que ce n’est pas suffisant. « On ne soutiendra pas une mascarade », prévient Cécile Cukierman, présidente du groupe communiste au Sénat, à 42mag.fr, même si les écologistes ne se prononcent pas pour une alliance avec la droite. « Le retour de la réforme des retraites va être réinjecté, et le budget qui en résultera sera vraisemblablement plus contraignant que ce qui a été présenté », souffle Guillaume Gontard, chef des sénateurs écologistes.
Si la suspension de la réforme est retirée du PLFSS au Sénat, avec un vote fixé au lundi 24 novembre, que se passera-t-il ensuite ? Une commission mixte paritaire (CMP) composée de sept députés et sept sénateurs sera chargée de trouver un compromis sur le budget de la Sécurité sociale. L’objectif de cette CMP, qui se tient à huis clos, est d’aboutir à un texte sur lequel les deux chambres puissent voter sans discordance.
Le rôle-clé de la commission mixte paritaire
« La CMP est le levier principal pour une éventuelle réécriture du texte, car ce sera probablement là que se nouera l’essentiel du bras-de-fer avec le Sénat », analyse la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. « Cependant, je doute que l’équilibre de la CMP soit favorable à la suspension. Tout pourrait être réécrit à ce stade, et des concessions devront être consenties à la droite sénatoriale et à la majorité, surtout si celle-ci est conservatrice, au sein de cette commission. » Selon une source socialiste, « Renaissance et les centristes doivent jouer le jeu ». Mais la communiste Cécile Cukierman reste sceptique.
« Le texte qui sortira de la CMP sera dépourvu de l’article 45 bis »
Cécile Cukierman, présidente du groupe communiste au Sénatà 42mag.fr
« Soit la droite sénatoriale accepte d’évoluer vers les socialistes, notamment en actant au moins la suspension, soit elle ne bouge pas », résume sur 42mag.fr le constitutionnaliste Benjamin Morel. Dans ce cas, il faut se demander s’une majorité existe à l’Assemblée pour adopter un nouveau texte. Pour l’instant, ce n’est clairement pas gagné.
Vers des ordonnances intégrant la suspension ?
En réalité, la CMP peut déboucher sur deux issues différentes. Si un compromis est trouvé, les deux chambres doivent l’approuver dans des termes identiques. En revanche, si les parlementaires échouent à trouver un accord, la navette reprend et le texte repart à l’Assemblée nationale. « Le gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée et par le Sénat, demander à l’Assemblée de statuer définitivement », énonce la Constitution. « En cas d’échec de la CMP, le gouvernement a tout intérêt à laisser le dernier mot à l’Assemblée qui peut reprendre le texte initial ou celui qu’elle a voté en première lecture », précise Anne-Charlène Bezzina.
Les parlementaires devront toutefois faire vite, car le PLFSS doit être adopté au plus tard le 12 décembre, soit 50 jours après le dépôt du texte. « Sinon, le PLFSS pourrait être adopté par voie d’ordonnance », indique Vie-publique.fr. « Ce mécanisme permet au gouvernement d’imposer son texte, possiblement avec des amendements qu’il choisira, si aucun vote n’est possible. Dans ce cas, comme dans le texte d’origine, la suspension serait inévitable », ajoute Benjamin Morel.
Toutefois, recourir à des ordonnances placerait aussitôt le gouvernement sous pression des socialistes. « Si des ordonnances, notamment sur le budget de la sécurité sociale, voient le jour, le texte sera celui qui contient le gel des prestations, le doublement des franchises et d’autres mesures combattues. Dans ce contexte, le gouvernement serait renversé », prévenait début novembre Jérôme Guedj, élu PS de l’Essonne, sur LCP. Avant cela, le PS poursuit les négociations avec le gouvernement pour éviter une censure trop brutale. « Pour l’instant, le budget n’est pas voté », rappelle Laurent Baumel.







