La justice se retrouve confrontée à un nombre conséquent de signalements et de plaintes relatifs à ce domaine, et cela lui pose problème car elle est en manque de ressources pour mener les enquêtes de manière efficace. En conséquence, les affaires qui parviennent à être jugées débouchent plus souvent sur des mesures éducatives plutôt que sur des sanctions punitives.
Le 7 janvier dernier, Lucas, âgé de 13 ans, a tragiquement mis fin à ses jours. Suite à cet événement dramatique, une enquête a été ouverte et quatre adolescents ont été jugés coupables de « harcèlement scolaire » début juin. Le tribunal pour enfants d’Epinal dans les Vosges a toutefois décidé de ne pas établir de lien de causalité entre ces faits et le suicide de l’adolescent. Pourtant, les avocats des prévenus ont fait appel de cette décision, le lundi 19 juin.
Dans le Pas-de-Calais, moins de deux semaines après le décès de Lucas, Lindsay, âgée de 13 ans, s’est suicidée le 12 mai. Cinq personnes, dont quatre mineurs, ont été mises en examen dans cette affaire. Toutes ont été placées sous contrôle judiciaire, une mesure rare dans ce genre d’affaire, selon Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats et vice-procureur du tribunal judiciaire de Melun. Les jugements rendus dans ces deux affaires et leur traitement rapide ne reflètent pas la réalité de la prise en charge judiciaire des cas de harcèlement scolaire. En effet, les parents de Lindsay avaient déjà alerté le collège à de nombreuses reprises et avaient déposé deux plaintes en février. Malheureusement, ces démarches n’ont pas abouti.
Suite à ce drame, le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, a admis qu’il s’agissait d’un « échec collectif ». Pour remédier à cette situation, la Première ministre, Elisabeth Borne, a affirmé que le gouvernement ferait du harcèlement scolaire sa « priorité absolue » à la rentrée de septembre 2023. Les parents, de plus en plus insatisfaits de la réaction des établissements scolaires, envisagent également d’avoir recours à la voie judiciaire.
Laure Boutron-Marmion, avocate représentant la famille de Dinah, une jeune Alsacienne de 14 ans qui s’est suicidée fin 2021 suite à des propos homophobes au sein de son collège, constate une augmentation des demandes de conseils de la part des parents. Ces derniers se tournent vers elle pour obtenir de l’aide après une première tentative de suicide de leur enfant. Selon elle, il y a un mouvement collectif vers une judiciarisation croissante des cas de harcèlement.
Une magistrate d’Ile-de-France en charge des mineurs indique avoir reçu de nombreux signalements de la part des établissements scolaires et des hôpitaux, faisant état de situations de harcèlement. De plus, un grand nombre de plaintes ont été déposées par les mineurs eux-mêmes ou par leurs familles. Toutefois, la magistrate souligne que la question du harcèlement scolaire revient régulièrement sur le devant de la scène depuis une dizaine d’années, principalement à la suite de certaines affaires médiatisées.
Selon Laure Boutron-Marmion, la médiatisation accrue de ce problème contribue à sensibiliser les parents à un phénomène qui passait souvent inaperçu. Elle explique que le harcèlement peut se manifester par des échecs scolaires répétés, des phobies scolaires ou encore des maux physiques.
En ce qui concerne le traitement judiciaire des affaires de harcèlement scolaire, celles-ci sont généralement confiées aux brigades locales de protection de la famille au sein des commissariats. Ces brigades sont composées d’enquêteurs spécialisés dans les violences conjugales et les violences sur mineurs. Cependant, en pratique, le manque de temps et de moyens est un obstacle à une prise en charge efficace de ces dossiers.
En effet, le harcèlement scolaire doit rivaliser avec d’autres priorités dans le domaine de la justice pénale, telles que les violences conjugales, la lutte contre les stupéfiants, la haine en ligne, etc. Selon un magistrat, les enquêtes sur les cas de harcèlement scolaire ne sont pas toujours menées de manière aussi diligente que d’autres délits. Par conséquent, les policiers interviennent souvent plusieurs mois après les faits, ce qui complique l’évaluation de la situation et peut entraîner des changements dans le contexte. Parfois, les familles ne souhaitent pas non plus que les harceleurs soient entendus, de peur de réveiller de nouveaux problèmes.
Face à la lenteur des enquêtes, Florence Rouas, avocate à Paris, conseille aux familles d’agir de leur côté en changeant rapidement l’école de l’enfant harcelé. Les enquêtes sur le harcèlement scolaire peuvent être laborieuses, en particulier lorsque les faits se déroulent en ligne. Il est nécessaire de rassembler des preuves solides, comme des captures d’écran de différentes plateformes sociales. Cependant, la plupart de ces plateformes permettent des messages éphémères qui ne laissent pas de traces. En outre, il est parfois difficile d’identifier les harceleurs, qui utilisent parfois des pseudonymes.
Prouver le harcèlement peut également être complexe lorsque plusieurs harceleurs sont impliqués. Il est donc nécessaire d’établir les responsabilités de chacun et de prouver qu’il s’agit d’actes répétés. Pour les enquêteurs, il est essentiel de caractériser le harcèlement et de démontrer qu’il a un impact sur la vie de la victime, affectant sa santé, conformément à la loi. Cependant, cela n’est pas toujours évident, car l’altération de l’état d’une personne peut être liée à plusieurs facteurs. Par conséquent, de nombreuses plaintes sont classées sans suite, faute d’éléments suffisants pour caractériser l’infraction de harcèlement.
Le Code pénal a renforcé les sanctions concernant le harcèlement scolaire avec la loi du 2 mars 2022, en en faisant un délit spécifique. Les coupables encourent jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende en cas d’incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours, et jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou