Chaque jour, Elodie Suigo accueille une célébrité dans son univers. Le mercredi 22 novembre 2023, c’est le réalisateur québécois, Denys Arcand, qui est à l’honneur. La sortie de son dernier film intitulé « Testament » est prévue dans les cinémas.
Denys Arcand : Un regard singulier et engagé sur le monde
Le réalisateur, scénariste, auteur et producteur québécois, Denys Arcand, fait partie de ces créateurs dont l’engagement est une véritable marque de fabrique. Cinéaste depuis plus de 60 ans, ses œuvres, plus qu’une simple forme d’expression artistique, sont le reflet de sa vision du monde, une critique sociale et politique des inégalités et contradictions de notre société moderne. Ses films les plus notables incluent Le Déclin de l’Empire américain (1986) et Les Invasions barbares (2003), tous deux reconnus par de nombreux César et un Oscar. Son dernier film, Testament, est sorti le 22 novembre dernier.
franceinfo : Testament paraît refléter votre vision du monde et les principes qui ont guidé votre vie. Quelle place occupe ce film dans votre œuvre ?
Denys Arcand : Ce film incarne ma perplexité face à l’état actuel du monde. Le protagoniste est légèrement plus jeune que moi, il constate soudainement que la civilisation telle qu’il la connait est en pleine disparition. C’est comme si le sol se dérobait sous ses pieds. Il n’est pas scandalisé, il n’est pas en colère, il essaie simplement de comprendre et c’est incroyablement complexe. Cette réflexion est également la mienne.
Est-ce que cela vous effraie ?
Pas du tout, j’ai bientôt terminé mon voyage dans ce monde et donc je ne souffrirai pas des évènements à venir. Je veux simplement exprimer que : nous sommes en présence d’un nouveau monde dont nous ne sommes pas préparés.
Dans votre film, votre personnage fait référence à une citation de sa mère, qui ressemble étrangement à une phrase que la vôtre aurait pu dire : « La vie est une vallée de larmes. On n’est pas ici pour être heureux ». Quel est le but de notre existence selon vous ?
Ma mère, à l’âge de 18 ans, aspirait à entrer dans les ordres. Elle a été novice au Carmel avant de quitter l’ordre, les raisons de son départ demeurent floues. Elle affirmait que « La vie est une vallée de larmes. Nous ne sommes pas ici pour être heureux, mais pour mériter notre place au ciel. Plus notre vie est difficile, plus notre place sera digne. Nous serons près de Jésus, près de Dieu. Les anges sont au paradis ». Elle y croyait sincèrement, j’ai été élevé avec cette philosophie de vie qui probablement explique certains de mes problèmes psychologiques actuels.
Vous parlez inévitablement de la mort, il suffit de regarder le titre Testament, et c’est un thème récurent dans votre œuvre. Quelle est votre approche ?
Je ne sais pas. J’ai longtemps craint la mort quand j’étais jeune parce que j’adorais la vie.
« J’ai eu une vie généralement heureuse, je trouvais facile de vivre et quand j’étais plus jeune, j’étais effrayé que la mort me prive de cette vie. Maintenant, étant à l’aube de la vieillesse, je ne suis plus effrayé, tout ça m’est égal. Si je disparaissait demain, ça ne me dérangerait pas. » Denys Arcand à 42mag.fr.
Est-ce difficile de consacrer toute sa vie à la réalisation ?
Non, c’est une profession que j’apprécie énormément, j’ai été instantanément comblé dès le premier jour. Le seul aspect difficile est que c’est un métier difficile à exercer en vieillissant, c’est physiquement éprouvant. Particulièrement en Amérique du Nord, où les journées de travail sont très longues, et plus précisément au Canada où la lumière du jour est assez courte ! Il faut souvent se lever à 5h30 pendant deux mois et rester debout toute la journée. Car je tourne rarement en studio, la plupart des scènes sont tournées en extérieur ce qui explique que je reste debout jusqu’à 19h. Cela requiert une condition physique qui finit par s’effriter avec le temps.
Votre œuvre est le reflet de l’évolution du cinéma québécois. Vous avez toujours porté un cinéma engagé, abordant des thèmes tels que le nationalisme et le syndicalisme, son importance. Le cinéma a-t-il été une manière pour vous de vous émanciper personnellement depuis le référendum pour l’indépendance du Québec en 1980 ?
Réaliser des films est ma manière de vivre. Les films s’enchaînent les uns après les autres. Je n’ai pas besoin de me demander si je vais réaliser un autre film. Voilà, je réalise des films et ils m’aident à me comprendre, à comprendre mes proches, la réalité, l’économie, tout.
Testament semble être votre dernier film. Est-ce le cas ?
Cela pourrait être mon dernier film. Si c’est le cas, je ne serai pas déçu. Je souhaite vivre avec contentement. Mais si je suis en bonne santé et que dans un an ou deux, tout à coup, je ressens le besoin de réaliser un autre film… Alors peut-être que vous me retrouverez ici, plus vieux et plus désabusé dans quelques années !
Quel bilan tirez-vous de votre carrière de 60 ans ?
« J’ai eu la chance de réaliser des films à petit budget dans un pays modeste, en toute liberté » Denys Arcand à 42mag.fr.
Je suis assez satisfait de la vie que j’ai menée. J’étais heureux de réaliser des films. J’ai eu la chance de pouvoir continuer à réaliser des films, ce qui est déjà une très grande chance en soi. J’ai vu beaucoup de personnes sur le bord de la route qui n’ont pas été capables de continuer. Et moi, j’ai toujours réussi à poursuivre. C’était satisfaisant, c’est une existence agréable.