Dans le cadre du mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, une troisième révision de l’assurance-chômage est envisagée. Gabriel Attal a exprimé son désir de mener cette réforme. Il s’agit de l’outil que le chef du gouvernement espère utiliser une fois de plus pour diminuer la dette de l’Etat. Nous décortiquons la situation avec l’aide du sociologue Jean Viard.
A l’occasion d’une intervention portant sur un déficit public français ayant subi une large expansion en 2023, Gabriel Attal, le Premier ministre, a fait savoir publiquement le mercredi 27 mars qu’il y aura « une refonte du régime d’assurance-chômage cette année ». Les questions budgétaires ont rarement rallié l’unanimité du public. Comment les travailleurs actifs et les pensionnés perçoivent-ils la situation des individus en quête d’emploi ? Jean Viard, sociologue, nous donne sa vision.
franceinfo : Jean Viard, quels sont les avis des travailleurs et des retraités concernant ces annonces de révision de l’assurance-chômage, étant donné que c’est le sujet central des débats actuels ?
Jean Viard :
Il faut souligner un point particulier : on assiste à un glissement d’une culture qui privilégie le chômage, largement répandue depuis trente ans, vers une culture favorisant l’inflation. Des habitudes et des cultures se sont développées, des règles ont été édictées qui ont, en effet, déterminé une approche particulière.
Comment décrieriez-vous une culture qui favorise le chômage ?
Une culture favorisant le chômage, c’est lorsqu’on octroie des droits plus étendus. On a notamment suggéré que les travailleurs d’un certain âge pourraient profiter d’une période de chômage plus longue, pouvant également faire office de préretraite. On a, en bref, mis tout en œuvre pour protéger autant que possible les employés lorsqu’il y avait un manque flagrant d’emplois. Lorsque l’on prend en considération, par exemple, la durée moyenne du chômage en Europe, qui est de 12 mois, les régimes qui sont en place ne sont pas si terribles que cela. Cela suggère que la question de la durée, par exemple d’indemnisation, est, de fait, liée à la probabilité ou non de trouver un emploi. Donc, tous ces éléments entrent en compte.
Il faut aussi souligner que, parmi les chômeurs, pour une large tranche, il existe un rapport entre le chômage et la formation. Mais, il y a aussi un lien entre le chômage et l’acceptation du changement de profession, car 50% des Français pensent, et c’est une hausse par rapport aux années précédentes, que les chômeurs, en réalité, ne sont pas réellement à la recherche d’un travail. Et 45% d’entre eux estiment que c’est la faute des entreprises si des individus sont au chômage.
Mais qui a vraiment raison ?
En réalité, les deux ont raison, car bien souvent, lorsqu’on est au chômage, on ne se précipite pas pour chercher du travail. On se dit qu’il nous reste un an, voire un an et demi, et l’arrivée au chômage est toujours un coup dur. Donc, on a tendance à procrastiner. Je ne suis pas là pour prendre position. Je suis simplement là pour faire une remarque : les temps changent, il y a un manque de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs et il faut ajouter que deux tiers des employés rêvent de changer de profession.
Il y a donc tous ceux qui changent – environ un quart – il y a tous ceux qui rêvent de le faire et ceux-ci ont quelque peu le sentiment que les chômeurs devraient également changer de profession. Et ceux-là ont un emploi qui n’existe plus ou ils avaient un emploi bien rémunéré, c’est dommage, mais bon. L’Etat est-il là pour réguler, par exemple, le fait que votre salaire passe de 2200 à 1800 euros. Ou que vous devriez aller travailler un peu plus loin, voire déménager. Je pense qu’il ne faut pas caricaturer, car parmi les chômeurs, on compte autant d’hommes que de femmes.
Parmi les femmes, beaucoup sont des mères seules avec des enfants, elles n’ont pas du tout les mêmes capacités de se former, ni de se déplacer, elles n’ont d’ailleurs souvent pas le permis de conduire. Donc, la question du travail est complexe. Mais il est vrai qu’ensuite, certains sont malheureux et cherchent désespérément du travail mais n’en trouvent pas, ou des personnes n’ont pas de formation, qu’il faudrait remettre en formation. Il n’y a pas de moyenne.
Ce qui est certain, c’est que lorsqu’on est en pleine crise financière, comme celle que nous vivons, le seul moyen de remplir les coffres, c’est d’avoir plus de travailleurs, plus de cotisations à la sécurité sociale, plus de personnes qui versent des pensions, qui payent des impôts, etc.
Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de personnes qui peinent à retrouver un emploi ou de personnes qui prennent leur temps, la façon dont ceux qui ne sont pas concernés les perçoivent change, du fait de la crise économique et de l’inflation que nous connaissons tous aujourd’hui ?
Bien sûr, car il y a une époque, nous étions tous plutôt d’accord pour dire que la France manquait énormément d’emplois. C’est toujours vrai, mais c’est beaucoup moins vrai. Cela signifie donc que les emplois qui ne sont pas pourvus sont peut-être aussi des emplois un peu plus difficiles.
Par exemple, considérez le soir dans les restaurants, les chauffeurs de camion longue durée, un certain nombre de professions, où après la grande pandémie, on a moins envie de les faire, car on a réalisé que ça contraignait la vie familiale, la qualité de vie, etc.
Les deux critères des gens pour changer de travail sont le revenu et la qualité de vie. Et parfois, la qualité de vie passe avant le revenu, c’est-à-dire le fait de passer du temps avec ses enfants, le fait de ne pas travailler la nuit, etc. Il y a tous ces enjeux, donc il y a du travail à faire pour améliorer certains emplois, c’est incontestable. Mais ne faisons pas comme si tout le monde était dans le même bateau.
On fait des moyennes, on a 7% de chômage. C’est vrai, mais il faut noter qu’il ne faut pas mettre dans le même sac celui qui a du mal à trouver un emploi dans une zone où il n’y a pas d’emploi. Pour d’autres, prenez Cherbourg, il va y avoir 4000 emplois créés dans le domaine du nucléaire. Là, on a un autre problème, c’est qu’il n’y a pas de logements disponibles. Vous voyez, le modèle n’est pas uniforme. Et je pense qu’on pourrait tous convenir d’une chose, essayons d’avoir des règles uniformes en Europe, car grosso modo, c’est quand même un marché extrêmement interconnecté.