Le festival mondial du septième art, qui avait commencé mardi, a été touché par les répercussions du mouvement #MeToo, juste après les dénonciations concernant Harvey Weinstein à la fin de l’année 2017. Aujourd’hui, six ans et demi plus tard, on se demande où en est la situation, surtout avec l’émergence d’une nouvelle vague de témoignages qui secoue l’industrie du cinéma en France ?
Il s’agit d’un soir en juillet 2021, lors de la 74ème édition du Festival de Cannes. En raison de la pandémie, l’événement a lieu en été cette année. Une revue de cinéma organise une petite réception dans l’appartement de ses collaborateurs. Sarah*, qui travaille depuis plusieurs années comme rédactrice pour le magazine, se fraye un chemin parmi les invités. Elle veut donner une bonne impression à son employeur, qui est censé lui offrir un contrat à durée indéterminée en septembre. À la fin de la soirée, la jeune femme de 35 ans se retrouve sur le balcon de sa chambre avec le directeur d’un autre magazine de cinéma, pour terminer une conversation. Cependant, son comportement change.
« Il me saisit fermement la main. Lorsque je cesse de parler, il saisit mon visage et le presse contre sa bouche », raconte Sarah à 42mag.fr. Elle décrit ensuite les violences sexuelles qu’elle dit avoir subies cette nuit-là, « complètement pétrifiée » et coincée sur le balcon. Après avoir frappé à la porte du balcon, elle réussit à rentrer dans l’appartement « en état de choc » et à faire partir son agresseur. « Le lendemain matin, je pleure sans arrêt en répétant : ‘Je ne comprends pas, je ne voulais pas’, raconte Sarah, qui ne signera jamais son CDI. Elle porte plainte pour viol en novembre 2022 et se constitue partie civile un an plus tard, confirme le parquet de Paris à 42mag.fr.
Des violences non isolées
Cet incident n’est pas un cas isolé dans l’histoire du Festival de Cannes, dont la 77e édition a commencé mardi, en pleine résurgence du mouvement #MeToo. Lancé fin 2017 dans le monde du cinéma, ce mouvement de libération de la parole des victimes de violences sexuelles a révélé que de nombreuses agressions et viols ont été commis en coulisses lors de ce rendez-vous international du cinéma. Le producteur américain Harvey Weinstein a notamment été accusé par plusieurs actrices, dont l’Italienne Asia Argento et la Française Judith Godrèche, d’avoir mis en place un système d’exploitation à Cannes pendant trois décennies.
Patrick Poivre d’Arvor, ancien présentateur du journal de 20 heures de TF1, a également fait l’objet d’une plainte pour viol déposée en 2021 par une ancienne attachée de presse en herbe, Marie-Laure Eude-Delattre. Elle est soutenue par l’association Je suis un témoin, qui milite pour la libération de la parole des victimes de violences sexuelles.
Alors que la 77ème édition du festival commence, la tension est palpable. Les rumeurs circulent concernant une prétendue liste de personnalités du cinéma ayant fait l’objet de plaintes, et s’ajoutent aux affaires avérées qui ont émaillé la chronique judiciaire ces derniers temps. Le gérant du CNC Dominique Boutonnat, les réalisateurs Benoît Jacquot, Jacques Doillon et bien d’autres ont été cités. Lors d’une conférence de presse, le délégué général du festival, Thierry Frémaux, a déclaré que le festival avait décidé d’éviter toute polémique.
Une ligne d’écoute et des affichages
Sur un terrain plus concret, la ligne téléphonique mise en place en 2018 pour accompagner les victimes et/ou les témoins de violences sexuelles est de nouveau en service, de 8 heures à minuit. Les bénévoles formés orientent principalement les victimes, notamment étrangères, vers les services appropriés, comme le dépôt de plainte ou les services de santé. Le festival n’a pas souhaité divulguer le nombre d’appels reçus sur cette ligne, mais il a promis de renforcer la communication autour de celle-ci.
Les informations recueillies par 42mag.fr indiquent que ces mesures ont été prises suite à des réunions organisées avant le festival avec le collectif 50/50, qui militent pour l’égalité femmes-hommes dans le cinéma.
Trois principaux facteurs de risque
Les professionnels du secteur consultés par 42mag.fr identifient trois principaux facteurs augmentant les risques pour les violences sexuelles dans les festivals de cinéma, qui sont amplifiés à Cannes: l’alcool et les psychotropes, la confusion entre la vie professionnelle et la vie privée, et l’asymétrie des rapports de pouvoir.
Un mélange des genres
« Cannes n’est plus ce que c’était il y a qu’une décennie, avec ses fêtes gargantuesques, sorte de duel de puissance entre producteurs où argent et alcool coulaient à flots », tempère une professionnelle du secteur. Les rencontres informelles dans des lieux potentiellement intimistes, tels que les chambres d’hôtels ou appartements, peuvent créer des situations inconfortables. Sur ce point, le festival rappelle qu’il met à disposition des équipes de films et des journalistes plusieurs espaces au sein du palais des Festivals.
Un problème systémique
Malgré tout, l’abolition des frontières entre sphère professionnelle et sphère privée demeure un problème notable pendant le festival. Le mouvement #MeToo avait pourtant déjà commencé à agir. Sarah, par exemple, a dû renoncer à sa carrière de critique de cinéma dans les mois qui ont suivi son agression.
« Avant, on ne parlait que de cinéma »
Le pari est donc de pouvoir un jour concentrer le festival uniquement sur le cinéma plutôt que sur les violences. Outre l’objectif de faire disparaître ces violences, le collectif 50/50 souhaite aussi augmenter la présence des femmes au festival de Cannes.
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.