La dixième édition du Festival Ciné Palestine s’est lancée le vendredi 7 juin à Paris, rendant honneur à Gaza ainsi qu’aux efforts de conservation des cinéastes palestiniens.
« La confrontation n’a pas débuté le 7 octobre. Les œuvres cinématographiques démontrent que l’occupation est une réalité depuis longtemps », déclare le metteur en scène palestinien Rashid Masharawi, interviewé au théâtre Lumino. C’est dans ce petit cinéma parisien que s’est inauguré le dixième Festival Ciné Palestine, dont l’objectif est de favoriser le rayonnement du cinéma palestinien. Le festival permet aux artistes palestiniens de se connecter à leur public et de créer un lieu d’échanges, de rencontres et de discussions.
Lors de la soirée d’ouverture du festival, l’émotion est palpable parmi le public et les organisateurs, qui rendent hommage aux dizaines de milliers de Palestiniens ayant péri sous les bombardements de l’armée israélienne. Arborant le keffieh, ce foulard à carreaux noir et blanc devenu un symbole pendant la révolte arabe des années 1930, ils arborent un visage sérieux avant la projection des trois films.
« Images d’occupations à Gaza » (1973)
Premier pilier du cinéma palestinien, Mustafa Abu Ali est reconnu pour son œuvre intitulée Images d’occupations à Gaza (1973). Cette création est issue d’un reportage français sur la bande de Gaza, que Mustafa Abu Ali a remanié, en rajoutant des images et un commentaire. Il y est question de la vie dans les camps dans les années 1970 et de l’occupation israélienne à Gaza.
Ce documentaire de 13 minutes fait écho à l’enfance du metteur en scène de 62 ans Rashid Masharawi, à Shati, dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza. « Je reconnais tous les endroits représentés dans le film, y compris mon quartier. J’avais 10 ans, je comprends ce que ces enfants ressentent », raconte-t-il en anglais après la projection des films. « Ces images, tournées il y a 60 ans, sont identiques à celles d’aujourd’hui à Gaza. Cela souligne l’importance du cinéma et des archives pour documenter le monde« , rajoute le réalisateur palestinien Mohanad Yaqubi.
« Vibrations de Gaza » (2023)
Le documentaire Vibrations de Gaza (2023) de l’artiste palestinienne Rehab Nazzal, basée à Toronto, propose une vision des expériences des enfants sourds à Gaza, notamment les violences auxquelles ils sont confrontés lors des opérations militaires israéliennes. Nés et grandis sous les assauts fréquents des forces d’occupation, Amani, Musa, Israa et d’autres témoignent des souvenirs marquants des bombardements et de la présence constante de drones militaires dans le ciel. Les enfants racontent leur perception des attaques de missiles à travers les vibrations dans l’air, les secousses du sol et les échos des bâtiments qui s’écroulent. Cette rumeur persistante traverse leur corps jour et nuit, les empêche de dormir, « même si tu te bouches les oreilles », confient-ils.
« Ces enfants ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne comprennent pas pourquoi tout le monde s’enfuit lors des bombardements », commente Rashid Masharawi. Son frère collabore avec une association qui aide les personnes sourdes à Gaza. « Leur peur primordiale, c’est d’être blessés et avant tout de perdre l’usage de leurs mains, leur unique moyen de communication », ajoute-t-il.
« Offing » (2021)
Que racontent les récits qui échappent au contexte guerrier ? C’est la question soulévée par le film expérimental Offing (2021) de la chercheuse et artiste Oraib Toukan, qui a grandi en Jordanie. Le film a été conçu à la suite de l’offensive israélienne de 2021 dans la bande de Gaza. Il met en parallèle les récits personnels de l’artiste Salman Nawati, basé à Gaza, avec les images tournées par Oraib Toukan, qui se focalisent sur la tendresse et certains gestes de la vie rendus impossibles. Salman Nawati décrit les pénuries d’eau qui l’obligent à tirer la chasse des toilettes une fois sur trois. « L’eau qui sert à laver le bébé sert ensuite à faire la lessive, puis cette même eau est utilisée pour laver le sol et enfin pour arroser les plantes« , complète Rashid Masharawi.
Le film nous permet de ressentir une réalité, celle des bombardements qui surviennent au beau milieu des fleurs de manière imprévisible. Parfois, Salman Nawati renonce à prendre une douche pendant cinq jours, par peur de quitter ses proches quelques minutes et qu’un bombardement les atteigne brusquement. « Faire du cinéma devient un moyen de survie. Nous avons l’impression d’archiver dans l’urgence, mais nous devons raconter nos propres histoires. Le cinéma a un nouveau rôle, celui de préserver notre mémoire pour les générations futures », insiste Mohanad Yaqubi.
La dixième édition du Festival Ciné Palestine 2024 en Ile-de-France et à Paris se poursuit jusqu’au 16 juin.