Kurokawa se distingue comme l’un des principaux éditeurs de mangas en France, responsable de la publication de séries populaires telles que « Spy x Family » et « Full Metal Alchemist ».
Comment les mangas japonais ont-ils intégré la culture française ?
Les bandes dessinées japonaises, plus communément connues sous le nom de mangas, ont fait une percée remarquable dans la culture française, propulsant l’Hexagone au rang de deuxième patrie du manga. À l’occasion de l’ouverture du festival Japan Expo 2024 à Paris, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Grégoire Hellot, directeur général des éditions Kurokawa. Son parcours et son expérience nous offrent un éclairage précieux sur le phénomène du manga en France et ses évolutions récentes.
Franceinfo Culture : Votre parcours vers le monde de l’édition de mangas
Comment êtes-vous devenu éditeur de mangas ?
Grégoire Hellot : À l’origine, je n’étais pas du tout dans le monde de l’édition. Je travaillais dans le journalisme, spécialisé dans les jeux vidéo et la pop culture, avec des collaborations pour des magazines comme Joystick et Playstation Magazine. En 2003, la société pour laquelle je travaillais a été rachetée par un éditeur anglais avec lequel je ne souhaitais pas collaborer. J’ai donc démissionné. Par une série de coïncidences spectaculaires, j’ai rencontré le dirigeant des éditions Univers Poche, qui cherchait quelqu’un maîtrisant le japonais. J’ai ainsi été recruté après un entretien où j’avais sorti ma plus belle chemise [rires].
Votre longévité dans le secteur de l’édition
Ça remonte à longtemps ?
Effectivement, cela fait maintenant vingt ans que je travaille dans l’édition. J’ai intégré Kurokawa en 2004.
Les défis rencontrés au cours de deux décennies
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés en vingt ans d’expérience ?
Les défis ont été nombreux et variés. Dans une maison d’édition comme Univers Poche, la méfiance initiale était l’un des plus grands obstacles. Au début, les mangas étaient mal compris, et il a fallu convaincre l’équipe que ces « livres avec des images » avaient une vraie valeur littéraire. Une autre difficulté était la barrière linguistique : j’étais à l’époque le seul à parler japonais dans l’équipe. Désormais, nous avons au moins trois ou quatre personnes parlant couramment la langue, ce qui montre une nette progression.
À la recherche de l’universalité
Est-ce que vous visez une certaine universalité avec vos mangas ?
La quête de l’universalité n’est pas toujours ma priorité. Ce qui compte, c’est de pouvoir proposer une diversité de mangas susceptibles d’être distribués dans divers points de vente. C’est pour cette raison que nous publions à la fois des mangas aussi populaires que Pokémon et d’autres traitant de thématiques plus spécialisées comme la sexualité.
Les tendances actuelles dans le monde du manga en France
Quelles sont les tendances actuelles en France dans le monde du manga ?
Ces deux dernières années, nous avons observé l’émergence d’un genre de mangas très apprécié au Japon : les « intrigues de palais ». Ces histoires, situées dans des cours impériales d’une Chine médiévale idéalisée, rappellent Games Of Thrones, mais avec des personnages en kimonos. Bien que ce genre ait longtemps été boudé par le public français, il connaît aujourd’hui un succès grandissant, comparable à l’engouement pour les feuilletons japonais ou les séries coréennes appelées K-Drama.
La vocation de Kurokawa dans l’univers du manga
Quels types de mangas souhaitez-vous promouvoir chez Kurokawa ?
Dès que j’ai intégré Kurokawa, l’objectif était clair : nous devions devenir une maison d’édition grand public. Kurokawa étant lancé par le dirigeant d’Univers Poche, qui comprend également la maison très populaire Pocket (connu pour des best-sellers comme Le Seigneur des Anneaux, Da Vinci Code et Le Diable s’habille en Prada), l’ambition était de créer des mangas accessibles à tous.
Les préférences personnelles de Grégoire Hellot
Quel est votre manga favori ?
C’est une question que l’on me pose fréquemment. Mon choix se porte sur un classique d’Osamu Tezuka, L’Oiseau de feu. Cette œuvre épique, que j’ai lue pour la première fois en tant qu’étudiant, m’a profondément marqué par son mélange de nihilisme et d’humanisme.
L’évolution du manga en France sur deux décennies
Comment avez-vous perçu l’évolution du manga en France et son impact en vingt ans ?
Lors de mes débuts dans le secteur, les parents étaient souvent réticents vis-à-vis des mangas. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé : nous rencontrons maintenant des parents qui, étant enfants, ont grandi avec les premiers dessins animés japonais des années 1970. Ces parents, que l’on croise dans des salons grand public comme celui de Montreuil, sont souvent heureux de voir leurs enfants lire des mangas. En quelque sorte, cela permet de les éloigner des réseaux sociaux comme TikTok et les incite à fréquenter les librairies dès leur plus jeune âge. La réticence initiale était simplement due à une méconnaissance. À présent, les mangas et les dessins animés japonais sont pleinement intégrés dans la culture française. Cela me rappelle l’exemple du rock’n’roll : autrefois considéré comme une musique pour délinquants, c’est aujourd’hui un genre musical accepté de tous. De même, le manga est devenu un élément culturel à part entière.