Il a été une véritable icône, la figure emblématique par excellence. À une période où ce terme évoquait réellement une place de choix et un statut unique dans le paysage cinématographique. Cet homme était non seulement l’un des interprètes les plus séduisants, mais aussi l’un des plus charismatiques que le cinéma international ait connu. Alain Delon a quitté ce monde le 18 août, à l’âge de 88 ans.
Alain Delon s’est éteint récemment à l’âge de 88 ans, marquant ainsi la fin d’une ère pour une figure emblématique du cinéma. Le terme « star », devenu banal au fil du temps, s’applique véritablement à des personnalités d’exception qui possèdent un charisme unique, incarnant à la fois la beauté, le charme, une carrière remarquable et une incandescente connexion avec leur époque. Alain Delon se distinguait aux côtés de talents comme Romy Schneider, Yves Montand, Brigitte Bardot ou Jean-Paul Belmondo, bénéficiant d’une aura rare qui le rapprochait du public tout en rester à une certaine distance des réalités du quotidien.
Avant de devenir cet acteur âgé, qui critiquait son temps et parlait de lui à la troisième personne, Alain Delon a été l’un des comédiens les plus prisés en France. Sa carrière a été célébrée jusqu’à la fin, notamment lors de sa présence au Festival de Cannes 2019. Pourtant, rien ne le destine à la carrière d’acteur. Sa jeunesse, troublée par la séparation de ses parents et un passage en famille d’accueil, lui vaudra d’être renvoyé d’une multitude d’écoles. Né le 8 novembre 1935 à Sceaux (Hauts-de-Seine), il finit par vivre avec sa mère remariée à un boucher-charcutier, avant d’obtenir un CAP qui lui permet de travailler dans la boutique familiale.
Avant la carrière cinématographique : l’Indochine
À l’âge de 14 ans, Delon expérimente pour la première fois le monde du cinéma, tournant dans un court-métrage réalisé par le père d’un ami. Il devra, cependant, patienter jusqu’en 1957 avant qu’Yves Allégret ne lui donne un rôle, même minime, dans le film Quand la femme s’en mêle.
En attendant, le jeune homme ne reste pas à la charcuterie de la famille. À 17 ans, il s’engage dans la Marine. Comme il le confiait en 2018 au quotidien Le Monde (article payant), il est affecté à la garde de l’arsenal de Saïgon, en Indochine, mais se fait exclure après des problèmes avec la justice militaire pour avoir volé un véhicule afin de sortir.
De retour à la vie parisienne, il vit de petits emplois, traînant quelque temps dans les milieux douteux. C’est alors qu’un acteur bien établi, Jean-Claude Brialy, découvre ce jeune homme d’une beauté saisissante et l’invite au festival de Cannes, scellant ainsi son destin avec le 7ème art.
Une année décisive : 1957
Après Yves Allégret, son frère Marc le fait jouer aux côtés de celui qui sera son alter ego, Jean-Paul Belmondo. L’ascension est fulgurante. L’année suivante, il croise Romy Schneider, qui le choisit comme partenaire dans le film Christine de Pierre Gaspard-Huit.
À 23 ans, il est encore méconnu, tandis qu’à 20 ans, Romy est déjà une vedette mondiale grâce à la saga Sissi. Bien qu’ils se fiancent en 1959, le mariage ne viendra jamais. Néanmoins, leur relation continuera de les unir même après leur séparation.
La consécration
C’est avec le film Plein Soleil de René Clément qu’Alain Delon obtient enfin un rôle principal. Sa beauté est mise en valeur à tel point que le titre du film semble lui aller comme un gant. Aux côtés de Maurice Ronet et Marie Laforêt, il forge l’image d’un jeune homme séduisant, solaire et inégalé. L’année suivante, son succès se confirme au Festival de Venise avec Rocco et ses frères de Luchino Visconti.
Après quelques films moins marquants, notamment avec Brigitte Bardot, il connaît à nouveau le succès en 1963 avec Le Guépard, Palme d’or au festival de Cannes où il partage l’écran avec Claudia Cardinale et Burt Lancaster. Dès ce moment, Alain Delon s’impose comme une icône de la beauté masculine. Cette même année, il tourne avec Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol, un polar réalisé par Henri Verneuil qui leur permet de retrouver l’écran ensemble.
Un acteur incontournable
Après des collaborations fructueuses avec des réalisateurs italiens et français, la carrière d’Alain Delon prend une dimension internationale. Il tourne en Grande-Bretagne et aux États-Unis, côtoyant des stars comme Shirley MacLaine, Marianne Faithfull, Dean Martin et Anthony Quinn.
En France, le nom d’Alain Delon est désormais au même niveau que ceux de Lino Ventura, Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Les succès se multiplient, culminant en 1967 avec Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, où Delon, dans un rôle presque muet, impressionne, même ceux qui le voyaient uniquement comme un bel homme sans grand talent dramatique.
Suivent de nombreux films au succès garanti avec des acteurs de renom : Adieu l’ami aux côtés de Charles Bronson, Jeff, qu’il produit et joue avec Mireille Darc, La Piscine, qui redonne des couleurs à la carrière de Romy Schneider, et enfin Le Clan des Siciliens, où il retrouve Lino Ventura, Jean Gabin et le réalisateur Henri Verneuil.
Les années 1970 : l’ère des rôles de gangsters
Un des grands succès du cinéma français au début des années 1970 est le célèbre Borsalino de Jacques Deray, où Delon partage l’affiche avec Jean-Paul Belmondo. Il s’agit d’un policier mêlant humour et tragédie. Un autre film clé de cette période est Le Cercle rouge, encore sous la direction de Jean-Pierre Melville, où il côtoie André Bourvil, Yves Montand et Gian Maria Volonté.
En 1972, Alain Delon s’apprête à vivre cette décennie en incarnant principalement des policiers ou des criminels. Sa filmographie s’enrichit alors de productions telles que Un Flic, Borsalino and Co., Doucement les basses, Trois Hommes à abattre, Le Gang, Flic Story, Le Gitan, Deux Hommes dans la ville, Mort d’un pourri et Scorpio. Deux films emblématiques de cette période, avec Simone Signoret, La Veuve Couderc et Les Granges brûlées, rencontrent un grand succès auprès du public et des critiques.
Mais Alain Delon, tout en s’assurant des revenus stables et une légende solide grâce à ses films policiers, n’hésite pas à prendre des risques. Ainsi, il produit Monsieur Klein, un film audacieux de Joseph Losey, où il incarne un homme confondu avec un homonyme juif, qui finit par être déporté. Il avait déjà collaboré avec Losey en 1971 pour le film où il jouait Ramón Mercader, le meurtrier de Trotsky dans L’Assassinat de Trotsky.
Un déclin au fil des décennies
Les deux dernières décennies du XXe siècle ne seront pas celles où Alain Delon brille le plus, bien que des productions telles que Pour la peau d’un flic, Parole de flic, Ne réveillez pas un flic qui dort et Notre histoire rencontrent un certain succès. Grâce à ce dernier film, réalisé par Bertrand Blier, il obtient le César du meilleur acteur en 1985.
Cependant, cette décennie est également marquée par des films moins mémorables. Des œuvres comme Un Amour de Swann, Le Passage (qu’il coécrit et produit), Dancing Machine, Le Retour de Casanova, L’Ours en peluche et Un Crime ne sont pas forcément des échecs, mais jointes, elles ne parviennent pas à captiver le public. En 1990, Alain Delon tourne pour un film de Godard, Nouvelle Vague, sans grand succès. Néanmoins, sa plus grande déception restera sans conteste Le Jour et la nuit, un film intellectuel, signé Bernard-Henri Lévy, qu’il filme aux côtés de Lauren Bacall. Même le film qui devait célébrer ses retrouvailles avec Jean-Paul Belmondo, sous la direction de Patrice Leconte avec Une Chance sur deux, ne rencontre pas le succès escompté.
Un retour sur le petit écran avec « Fabio Montale »
Au début du nouveau millénaire, les apparitions d’Alain Delon se multiplient au théâtre et à la télévision, plutôt que sur grand écran. Sur les écrans, il interprète son propre personnage dans Les Acteurs, une comédie de Bertrand Blier, puis joue un Jules César très autocritique dans le film Astérix aux Jeux olympiques, qui ne fera pas l’unanimité. Sa dernière apparition sur un grand écran remonte à 2019, dans le film Toute ressemblance… de Michel Denisot, où il se livre encore une fois à une sorte d’autoparodie.
En 2001 et 2002, il campe le rôle de Fabio Montale, protagoniste d’une série éponyme sur TF1. Ce retour à la hauteur de sa carrière dans le cinéma lui redonne du panache. Puis, les deux années suivantes, il joue sous le nom de Frank Riva, continuant ainsi avec succès une carrière télévisuelle sur France 2, tout en tournant plusieurs téléfilms.
Une carrière théâtrale
Dès 1961, Alain Delon se produit au théâtre sous la direction de Luchino Visconti dans Dommage qu’elle soit une putain, une pièce de l’auteur anglais John Ford, aux côtés de Romy Schneider et Daniel Sorano. En 1968, il est présent dans Les Yeux crevés de Jean Cau.
À la fin des années 1990, il joue dans Variations énigmatiques d’Éric-Emmanuel Schmitt. En 2004, il est sur scène dans Les Montagnes russes d’Éric Assous. En 2007, il revient sur les planches avec Mireille Darc dans une adaptation de Sur la route de Madison. L’année suivante, il met en scène Love Letters, dont il partage l’affiche avec Anouk Aimée, reprenant ainsi un rôle que Philippe Noiret avait créé. En 2011 et 2013, il reprend le même rôle dans Une journée ordinaire d’Éric Assous sous différentes mises en scène.
« Je suis souvent comparé à Clint Eastwood »
À la tête de sa société de production, Adel, ou sous son propre nom, Alain Delon a su se transformer en un véritable producteur. En 2008, il confiait au Figaro : « Cela fait bientôt cinquante-deux ans que je fais ce métier (…) J’ai produit 45 films. Je connais ce métier en tant qu’acteur, producteur et réalisateur. On me compare souvent à Clint Eastwood. Lorsque j’ai dirigé Borsalino, j’étais le producteur principal. »
Il a également réalisé deux films : Pour la peau d’un flic en 1981 et Le Battant deux ans plus tard. À noter également qu’il a co-réalisé Les Granges brûlées en 1973, bien qu’il ne soit pas crédité.
Ses relations, sa famille
Les relations d’Alain Delon ne sont pas moins fameuses. Sa première liaison notoire fut avec Romy Schneider, s’étendant sur quatre ans, de 1959 à 1963. Pendant cette période, il a également eu une relation avec Nico, la chanteuse allemande liée au fameux groupe The Velvet Underground. Le 11 août 1962, elle donne naissance à un garçon, Christian Aaron, dont l’acteur n’a jamais reconnu la paternité, malgré une forte ressemblance physique.
En 1964, il épouse Francine Canovas, connue sous le nom de Nathalie Delon. Leur couple a un fils, Anthony, mais le mariage prend fin en 1969. Pendant cette période, son amitié de longue date avec Dalida évolue en une brève histoire d’amour. De 1968 jusqu’en 1983, il partage sa vie avec Mireille Darc, une relation qui compta énormément pour lui.
Il aura quelques autres relations avec Anne Parillaud et Catherine Bleynie. Finalement, il s’est installé avec le mannequin néerlandais Rosalie van Breemen entre 1987 et 2001. De cette union, il aura une fille, Anouchka, née en 1990, et un garçon, Alain-Fabien, né en 1994. En revanche, les liens d’Alain Delon avec son fils aîné, Anthony, restèrent presque inexistants jusqu’à la fin de sa vie.
Affiliations politiques
La tendance politique d’Alain Delon est bien connue. Bien qu’il soit attiré par la droite, son approche était plus nuancée. S’il était attaché à figure du général de Gaulle, il soutenait également des personnalités politiques de gauche lorsqu’il les jugeait dignes. Ami de Jean-Marie Le Pen, il avoue préférer Nicolas Sarkozy au Front national. En 2014, il a soutenu la candidature d’Anne Hidalgo pour la mairie de Paris, peu après avoir exprimé son intérêt pour le mouvement de Christine Boutin.
Lors de la primaire de la droite en 2016, il soutient Alain Juppé face à Nicolas Sarkozy, avant de se ranger derrière François Fillon pour la présidentielle de 2017. En 2018, il s’est associé à 200 personnalités pour une tribune publiée dans Le Monde, demandant aux politiques d’agir face aux défis liés au changement climatique.
Liens avec le milieu criminel
Depuis son retour d’Indochine, le nom d’Alain Delon a souvent été associé à des figures du Milieu, le crime organisé français. En octobre 1968, on découvre le corps de Stefan Markovic à Élancourt (Yvelines), qui avait travaillé pour Alain et Nathalie, un homme dont la liaison avec l’épouse de l’acteur n’est pas à négliger.
Un énorme scandale impliquant un caïd parisien, ami de Delon, François Marcantoni, fait surface à propos d’une conspiration contre la réputation de l’épouse du futur président Georges Pompidou. Ce scandale, marquant de la seconde moitié du XXe siècle, aboutit à un non-lieu en faveur de Marcantoni. Un soupçon de malhonnêteté planera autour de ce dossier.
Un autre bandit de renom, le parrain marseillais Jacky Imbert, a également été associé à Delon et à Mireille Darc lors de la création d’un haras en 1969.
Une fin d’existence tumultueuse
En juillet 2019, Alain Delon subit un accident vasculaire cérébral, entraînant une légère hémorragie cérébrale. À cette période, il était en couple avec Hiromi Rollin, une assistante réalisatrice dont il fera l’annonce publique deux ans plus tard. Originaire du Japon, elle s’est installée chez l’acteur après son incident de santé. Alain Delon a déclaré à Paris Match : « Ma compagne japonaise, Hiromi, a été très présente à mes côtés durant ma convalescence. » Toutefois, cette cohabitation s’est rapidement dégradée, selon les déclarations d’Anthony Delon.
Des inquiétudes se manifestent chez ses trois enfants, qui accusent Hiromi Rollin de vouloir isoler leur père de ses amis et de sa famille à travers des manœuvres manipulations. En juin 2023, Alain Delon a émis le souhait de voir partir sa « dame de compagnie » de son domicile, et quelques jours après, elle a été expulsée. Par la suite, les enfants ont déposé des plaintes contre Hiromi Rollin, qui a rejeté toutes les accusations, arguant que cela fait partie d’un stratagème pour l’éloigner de leur père.
Anthony Delon a partagé ses préoccupations à Paris Match concernant la santé déclinante de son père, et a même déposé une main courante contre sa sœur Anouchka pour des décisions qu’il juge irresponsables en ce qui concerne leur père. En réponse, Alain Delon a exprimé son choc face à la médiatisation de la situation orchestrée par son fils et a indiqué vouloir déposer plainte à son tour, parlant de calomnies visant non seulement lui, mais aussi sa fille. Anouchka a également évoqué des poursuites contre son frère pour diffamation et harcèlement.
« Je peux quitter ce monde sans aucun regret »
Dans une interview accordée au Figaro en 2008, Alain Delon s’est exprimé sur la mort, suite à une question sur une éventuelle retraite. Il a évoqué : « Il n’existe que deux métiers sans âge de retraite : ceux de politicien et d’acteur. Mais lorsque je ressentirai que je ne pourrai plus donner ce que les gens attendent de moi, j’arrêterai. Avec du regret sans doute, car ce travail est la meilleure thérapie qui existe. Si je ne continue plus, je meurs. La mort, je m’en moque. J’ai accompli ma mission. Je peux partir sans regret. Mais je préfère rester encore un peu pour que mes enfants aient la force de se débrouiller seuls. Mon unique peur, c’est celle de la maladie, de l’incapacité. »
Le 19 mai 2019, sa carrière est célébrée avec la remise d’une Palme d’honneur au Festival de Cannes, un moment qui suscite des échos variés. Confronté à des critiques le qualifiant de misogyne et d’homophobe, il reste une figure controversée, au point qu’une pétition a été lancée pour empêcher la remise de cette distinction.
Ému lors de cet honneur, il a déclaré : « Je comprends maintenant qu’il est difficile de partir, car je vais partir. Mais je ne partirai pas sans vous en informer et sans vous exprimer ma gratitude. »
Le lendemain, dans une lettre ouverte, il écrivit : « Alors que mon parcours touche à sa fin, je ressens le besoin de l’énoncer : j’ai connu tant de passions, d’amours, de succès et d’échecs, tant de controverses et d’histoires tumultueuses, tant d’instantanés et de rencontres inopinées qu’il ne restera que cela, une seule chose marquante et éternelle lorsque l’éclat des honneurs se sera évanoui : vous, vous seuls. »
