Entre 1984 et 1988, Fabienne Klein-Donati a exercé les fonctions de substitut du procureur à Épinal. Elle partage ses impressions sur les débuts de l’affaire, expliquant que les magistrats ont rapidement perdu le contrôle de leur communication avec la presse.
Grégory, un petit garçon âgé de quatre ans, a été découvert noyé dans les eaux de la Vologne le 16 octobre 1984. Ce crime, demeuré sans solution, continue de faire l’objet d’une enquête par les gendarmes, presque quarante ans après les faits. Pour la première fois, Fabienne Klein-Donati, magistrate honoraire, accepte de partager son expérience concernant ce dossier. Entre 1984 et 1988, elle a exercé en tant que substitut du procureur à Épinal, dans les Vosges, et a ainsi vécu de près ce qui s’est révélé être un véritable échec judiciaire.
Fabienne Klein-Donati évoque ses débuts de magistrate à Épinal comme un exemple en temps réel de tout ce qu’il ne fallait pas faire. Dès le décès du petit Grégory le 16 octobre 1984, la forte réaction émotive du public a fait perdre pied aux magistrats, qui n’ont pas su gérer leur communication.
« À Épinal, ni le procureur ni le président n’ont pris à cœur la gestion de la communication, explique-t-elle. Il n’y a eu ni conférence de presse ni communiqué officiel, ce qui a conduit à une invasion dans la juridiction. Les gens entraient et sortaient du tribunal sans contrôle. Dans mon cas, je devais garder les volets de mon bureau fermés pour éviter d’être filmée ou photographiée par les journalistes qui s’étaient installés dans la brasserie voisine. »
« Je crois que si la communication avait été mieux maîtrisée, on aurait peut-être pu mieux encadrer le juge d’instruction. »
Fabienne Klein-Donati, magistrate honoraireà 42mag.fr
Le juge d’instruction en question est bien sûr Jean-Michel Lambert, souvent critiqué pour ses nombreuses déclarations publiques, sa gestion de l’enquête et ses relations avec certains journalistes. Ce magistrat portera ce lourd fardeau toute sa vie et mettra fin à ses jours en 2017. « Il s’est perdu dans ses investigations mais aussi sur un plan personnel. Apprendre son suicide a été un choc pour moi, car nous avons travaillé ensemble durant quatre années. Il s’est trompé lui-même et n’a pas été encadré, ni appuyé par ses supérieurs hiérarchiques. »
« Un énorme gâchis »
Un exemple marquant pour Fabienne Klein-Donati concerne l’ancien président du tribunal d’Épinal. « Il évitait les journalistes, raconte-t-elle, mais puisqu’il ne pouvait pas se soustraire à ses obligations professionnelles, lorsqu’il était accosté par un journaliste, il disait : ‘Je n’en sais rien, je ne suis pas informé, je ne suis que le commis ici, je fais les photocopies’. Cela paraît caricatural, mais c’était pourtant la réalité. Un immense gâchis. »
Ce sont là des témoignages qui illustrent le fiasco à la fois judiciaire et médiatique de l’affaire Grégory. Après son passage à Épinal, Fabienne Klein-Donati continuera sa carrière, devenant ensuite procureure de Bobigny et enfin procureure générale à Lyon. Elle n’oubliera jamais l’importance de maîtriser au mieux la communication avec les médias et de nommer plusieurs juges d’instruction pour les affaires les plus complexes, afin d’enrichir une analyse collective et minutieuse. Des leçons bien apprises de cette tragédie non résolue de la Vologne.