En multipliant les déclarations percutantes et les suggestions audacieuses, le nouveau ministre de l’Intérieur, omniprésent dans les médias, semble chercher à séduire le Rassemblement national. Cependant, ces actions irritent les centristes, qui forment l’élément instable de la coalition du « socle commun ».
Entouré de caméras et de journalistes, Bruno Retailleau, fraîchement nommé au ministère de l’Intérieur, se prépare à parler des retards de paiement de la gendarmerie, ce mardi 8 octobre à l’Assemblée nationale. Depuis qu’il a pris ses nouvelles fonctions il y a trois semaines, l’ancienne figure de proue des sénateurs Les Républicains attire l’attention, ainsi que la critique, même parmi les collègues du gouvernement dirigé par Michel Barnier.
« Le ministère de l’Intérieur est toujours sous les projecteurs de l’actualité, ce qui le pousse à s’exprimer en continu, » déclare son entourage, ajoutant que « pour une interview qu’il accepte, une centaine d’autres sont déclinées. » Les apparitions médiatiques se multiplient : journal télévisé de TF1, articles dans Le Figaro, émissions sur LCI, entretiens avec Le JDD et discussions sur l’immigration dans Le Parisien. Cette visibilité a porté ses fruits : d’après le récent baromètre Elabe pour Les Echos, Bruno Retailleau a gagné 6 points en popularité, atteignant 21% d’opinions favorables.
« Le ministre qui domine le paysage médiatique »
« Cela fait partie de la fonction des ministres de l’Intérieur : Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Gérald Darmanin ont tous suivi cet exemple, » souligne le sénateur LR Roger Karoutchi à 42mag.fr. « Dans un gouvernement où peu se démarquent, les figures un peu plus visibles captent naturellement l’attention des médias. » Un membre de Renaissance admet « qu’il est actuellement le ministre le plus médiatiquement actif, » mais prédit que ce phénomène pourrait bientôt changer.
« Il a su tirer parti de la période pré-budgétaire pour mettre son empreinte. Cependant, après la présentation du budget, l’intérêt pourrait s’estomper. »
Une ministre du gouvernement Barnierà 42mag.fr
Lors d’une réunion à Matignon le 23 septembre, le Premier ministre Michel Barnier avait exhorté ses ministres à faire preuve d’« humilité » et à « agir avant de communiquer. » Bruno Retailleau semble avoir réinterprété ces directives. Il utilise activement les réseaux sociaux pour partager ses visites aux forces de l’ordre, ses participations à des commémorations et ses rencontres internationales. « Le ministre de l’Intérieur doit communiquer tout au long de l’année,» justifie son équipe. « Il doit insuffler un esprit de non-fatalité et de dynamique, ce qui est une dimension essentielle de l’action politique. »
Passé proche de Philippe de Villiers et affichant des vues très conservatrices, Retailleau prend position, souvent en lien avec l’immigration. Après s’être exprimé sur la volonté de réformer l’Aide médicale d’Etat, il a affirmé que l’Etat de droit n’était « ni immuable, ni sacré, » et a décrit l’immigration comme « non essentielle. » Dans une récente entrevue avec Le Parisien, il propose une nouvelle législation sur l’immigration et vise à durcir les conditions de régularisation des sans-papiers, modifiant ainsi la circulaire Valls.
« Simplement souhaiterait-on qu’il se conforme aux directives »
Pour certains membres de la coalition « socle commun », qui réunit LR et les partis alliés au Président, chaque sortie médiatique du ministre est vue comme une provocation. « C’est la goutte d’eau, c’est insoutenable, » fulmine un député Ensemble pour la République (EPR, anciennement Renaissance) à propos des dernières déclarations de Retailleau dans Le Parisien. « Plusieurs d’entre nous commencent à douter de notre capacité à continuer de soutenir ce gouvernement… »
« Nous ne sommes pas engagés dans une compétition avec le RN. »
Un député EPRà 42mag.fr
« On peut discuter de l’immigration sans rejet des Français d’origine étrangère, » avait répliqué Prisca Thevenot sur X fin septembre. Elle, ancienne porte-parole du gouvernement Attal, accuse Retailleau d’alimenter les thèses du RN en omettant de différencier l’immigration légale de l’illégale. « On souhaite seulement qu’il suive les instructions du Premier ministre : ‘Moins de communication, plus de travail’. Actuellement, il ne fait que du spectacle, ce qui irrite beaucoup de monde, » déplore un député EPR. « Il adopte la même posture que ceux avant lui, exhibant sa force par des annonces à effet immédiat, précise un proche d’Emmanuel Macron. Il ferait mieux de se concentrer sur ses responsabilités que de multiplier les déclarations quotidiennement. »
La ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, ne reste pas silencieuse face aux propos de Bruno Retailleau. « L’État ne reviendra pas sur l’Aide médicale d’État, » déclare-t-elle, précisant : « Je tiens à rassurer tout le monde à ce sujet. » « Nous avions besoin d’une phase d’ajustement, » explique Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement à 42mag.fr. « Mais nous devons accepter nos différences et trouver des compromis ensemble. Personne ne peut prétendre à une position dominante. »
« Sa candidature n’est pas un hasard »
Bruno Retailleau semble tout de même tenir une position singulière au sein du gouvernement. Lorsque Pierre Cazeneuve, député EPR, prend la parole à l’Assemblée pour refuser la motion de censure de la gauche, il mentionne en passant apprécier moins certains membres du gouvernement. Michel Barnier et Retailleau échangent alors des regards complices. Face à l’ancien macroniste Sacha Houlié, le Premier ministre réaffirme sa confiance en Retailleau, disant que « chaque choix de Retailleau sera concerté avec l’équipe. »
L’attention de l’équipe de Retailleau souligne que Matignon approuve chaque interview. « Il semble avoir une relation de proximité significative avec le Premier ministre et obtient souvent gain de cause dans ses décisions, » note un conseiller ministériel. « Sa nomination n’est pas fortuite; il avance les priorités du Premier ministre. Il est pour ainsi dire le bras droit de Michel Barnier, » renchérit le député LR Olivier Marleix. « Les Français ont exprimé leur désir de maîtriser l’immigration, et 11 millions ont choisi le RN lors des législatives. » C’est ce qu’affirme le cabinet de Retailleau.
Les opinions fortement ancrées à droite de Retailleau ne sont pas sans avantages pour cet exécutif en équilibre précaire. « Mettre Bruno Retailleau à Beauvau rend moins aisé le soutien du RN à une motion de censure, » analyse un proche du ministre. La coalition gouvernementale, avec seulement 211 députés, est loin de la majorité absolue et compte sur le RN pour l’appuyer en cas de besoin. « Le gouvernement croit que le RN s’abstiendra toujours, mais ils se trompent! Certains d’entre nous ont des principes, » assure un député EPR de l’aile gauche.
« On peut légiférer sur l’immigration comme bon nous semble, cela ne dissuadera pas Marine Le Pen de soutenir une motion de censure potentielle. »
Une ministre de Michel Barnierà 42mag.fr
Pour l’heure, les responsables du Rassemblement national surveillent avec intérêt le ministre. « Ses déclarations ressemblent à celles d’un porte-parole RN, » note la députée Laure Lavalette sur BFMTV. Mais en interne, on doute de sa capacité à obtenir des résultats tangibles. Marine Le Pen soulève l’hypothèse d’une démission prochaine : « Je suis prête à parier qu’il abandonne vite cette tâche qu’il prétend avoir espérée toute sa vie, » rapporte-t-elle au Point.
Pour rester influent à Beauvau, Retailleau devra concrétiser certains engagements, en particulier dans la sécurité. « Tout ne se réalisera pas d’un simple coup de baguette, » avait-il prévenu lors de son entrée en fonction, succédant à Gérald Darmanin, tout en promettant de « ramener l’ordre. » Avec l’augmentation projetée de près de 600 millions d’euros pour le budget sécurité en 2025, l’arrêt sur les embauches inquiète cependant les syndicats de police, ce qui pourrait créer des fragilités si les résultats ne suivent pas les promesses du ministre.